Développement du personnel en temps de pénurie
La qualification, clé du succès
La Suisse figure parmi les économies les plus compétitives du monde, à la faveur notamment de l’excellent classement de ses indicateurs de qualification. Une précédente enquête du Crédit Suisse avait révélé à quel point ce facteur compte pour les PME suisses, qui estiment que c’est celui qui influence le plus fortement le succès de leur entreprise. Or, la pénurie de collaborateurs spécialisés est une réalité helvétique et ce, depuis plusieurs années déjà. L’édition 2022 publiée par la grande banque examine l’ampleur des difficultés de recrutement auxquelles les petites et moyennes entreprises sont confrontées et les stratégies mises en place pour lutter contre ce phénomène. Basée sur une vaste enquête, l’analyse présente des données factuelles, tout en mettant en exergue les perceptions des acteurs concernés.
Compte tenu des turbulences provoquées par la pandémie, la pénurie de main-d’oeuvre qualifiée était temporairement passée au second plan pour de nombreuses entreprises suisses. Avec la reprise amorcée en 2021, cette pénurie s’observe, depuis peu, à nouveau de façon plus marquée. Selon l’enquête réalisée par le Crédit Suisse, deux tiers des 800 PME sondées peinent à recruter. Les difficultés à trouver des collaborateurs qualifiés s’observe dans presque tous les secteurs, mais en particulier dans la construction – notamment en lien avec l’assainissement du parc immobilier suisse, l’industrie traditionnelle, ainsi que dans la santé et le social.
Relevons que la pénurie est plus forte en Suisse centrale et occidentale. La taille de l’entreprise peut également jouer un rôle dans la recherche de collaborateurs. L’enquête révèle que les microentreprises ont nettement plus de difficultés à trouver des collaborateurs que les petites ou moyennes entreprises. Diverses raisons expliquent ces différences: les petites structures disposent souvent de moins de notoriété et de moyens financiers, par exemple pour entrer en contact avec les candidats au moment du recrutement de personnel. Par ailleurs, elles sont parfois associées à une sécurité de l’emploi moins significative et à des salaires moins attrayants.
Aucune détente n’est en vue. Au contraire, la majorité des entreprises suisses interrogées – en particulier celles de taille moyenne – s’attendent à ce que la recherche de collaborateurs adaptés se complique encore à l’avenir.
Les difficultés de recrutement repartent à la hausse
Indicateur des difficultés de recrutement: part des entreprises interrogées (pondération par l’emploi) qui ont peiné à trouver de la main-d’oeuvre qualifiée ou n’en ont pas trouvé. Tension sur le marché du travail: rapport entre postes vacants (estimations basées sur le jobradar de x28 et l’Adecco Group Swiss Job Market Index) et chômeurs. Lignes en pointillé: moyenne sur quatre trimestres.
Démographie, travail flexible et système éducatif
De manière générale, l’étude explique les difficultés de recrutement notamment par le vieillissement de la population et la vague de départs à la retraite (2010-2029) des baby-boomers. Ces sorties du marché du travail ne seront pas compensées par les nouveaux arrivants, entraînant une lacune supplémentaire et des postes vacants difficiles à couvrir. La tendance à la numérisation peut être interprétée de deux manières: l’automatisation des activités pourrait réduire le besoin de main-d’œuvre qualifiée et équilibrer ainsi le phénomène démographique; à l’inverse, la mise en place et la maintenance de nouvelles technologies nécessiteraient du personnel qualifié supplémentaire.
La flexibilisation du travail a sans doute également un impact sur la recherche de personnel. La pandémie a introduit de nouveaux modèles de travail que de nombreux salariés considèrent désormais comme allant de soi. Toutefois, ces conditions de travail souples ne peuvent pas être appliquées à tous les domaines d’activités. Les PME qui ne sont pas en mesure de proposer le télétravail ou des emplois à temps partiel devraient perdre en attractivité par rapport à la concurrence. Selon l’enquête, cela est le cas pour une PME sur trois, les petites entreprises et les start-ups étant avant tout concernées.
Avec ses nombreuses filières de formation, le système éducatif suisse jouit d’une bonne réputation auprès d’une grande partie des PME. Pas moins de 76% d’entre elles sont convaincues qu’il répond bien ou très bien à leurs besoins. Le modèle de formation dual est en particulier salué. L’éducation et la formation doivent cependant évoluer pour s’adapter aux nouvelles exigences à l’égard de la main-d’œuvre. Deux critiques sont relevées: 45% des PME estiment que les contenus d’apprentissage ont un temps de retard par rapport à l’évolution de l’économie; 58% d’entre elles considèrent que le système éducatif suisse devrait davantage mettre l’accent sur l’acquisition de compétences générales (capacité analytique, résolution des problèmes, innovation, socialisation) – les soft skills – plutôt que sur les connaissances purement techniques, en rapide évolution et parfois dépassées une fois la formation achevée.
La construction, secteur où le recrutement est le plus difficile
Part de réponses* à la question de savoir à quel point il a été difficile de trouver des
candidats adéquats pour les postes vacants au cours des trois dernières années, dans
une sélection de branches, en %.
Les micro-entreprises plus souvent à la peine
Part de réponses* à la question de savoir à quel point il a été difficile de trouver des candidats adéquats pour les postes vacants au cours des trois dernières années, par taille d’entreprise, en %.
La recherche de collaborateurs, plus facile au Tessin
Part de réponses* à la question de savoir à quel point il a été difficile de trouver des candidats adéquats pour les postes vacants au cours des trois dernières années, par canton ou région, en %
* Uniquement les entreprises qui ont recruté ou tenté de recruter des collaborateurs au cours des trois dernières années.
** Résultats à prendre avec précaution du fait d’un faible échantillon.
Les PME ne restent pas passives
Nombre d’entreprises ont déployé des mesures pour remédier à la pénurie de main-d’œuvre spécialisée. Quelque 93% des PME proposent au moins une possibilité de formation continue (cours, conférences, séminaires, etc.) à leurs collaborateurs, que ce soit sur le lieu de travail ou à l’externe. Ainsi, 77% d’entre elles indiquent offrir des formations continues parce qu’elles ne trouvent pas certaines compétences spécifiques sur le marché. En plus de combler les lacunes de connaissances, la formation continue présente un avantage comparatif lors du recrutement: en effet, près de 90% des PME estiment que la formation continue accroît leur attractivité. Cependant, des facteurs de blocage, tels que le manque d’intérêt de la part des collaborateurs et la difficulté à planifier les formations sont relevés, les aspects financiers venant ensuite.
L’identification et la promotion des talents à l’interne permettent de lutter contre le manque de main-d’œuvre. Cela est en particulier le cas pour des entreprises employant de nombreux collaborateurs âgés et expérimentés, proches de la retraite. Cette question se pose également dans des entreprises familiales, bien que la succession soit souvent déjà réglée. Plus de la moitié des PME interrogées déclarent qu’elles donnent généralement la priorité à la relève interne lorsqu’elles cherchent à pourvoir des postes de direction. Cette démarche présente divers avantages: en plus des économies de temps et d’argent réalisées lors du recrutement et d’une période d’initiation plus courte, les promotions internes ont également une influence positive sur la motivation des collaborateurs, car elles leur signalent des possibilités d’évoluer au sein de la société. Certains sondés mentionnent toutefois l’absence de candidats appropriés à l’interne et relèvent qu’un recrutement externe peut apporter un nouvel élan à leur entreprise.
L’enquête du Crédit Suisse montre que, même si les temps sont durs, les PME suisses prennent le taureau par les cornes!