Aide aux médias
La muselière n’est pas là où on croit!
Une «aide», ça sonne aussi bien pour les médias que pour la culture, les écoles ou la santé… trois mondes pour qui c’est un droit d’office. Et là, on est déjà devant la grande question: les médias doivent-ils être scolaires, comédiens et salutaires? L’«indépendance» des médias se joue là, bien plus que face au coup de fil ou de ciseaux d’un ministre. Est-ce pourquoi ni Wikipedia, ni Chaplin ou Tintin, ni Beat Kappeler… n’ont jamais réclamé de subsides?
Un journaliste a-t-il le droit de dire «je» et citer son propre cas? Si c’est un cas «d’école», oui, et ces jours, il m’en est arrivé un qui résume – à mes yeux – tout le drame de l’info.
Peut-on se nourrir de vide?
«Posez de vraies questions!»: cet ordre – avant même le début de la séance – donné d’un ton abrupt par un officiel suisse qui avait foncé droit sur moi à peine assis… m’a laissé sans voix. Surtout quand on voit après coup ce que «vraie question» veut dire pour la presse «officielle» (swissinfo.ch/fre/toute-l-actu-en-bref/cassis–une-nouvelle-crise-en-europe-serait-désastreuse-/47282330: le lecteur qui trouvera fût-ce une info dans ces deux mille signes a droit à un abo à vie à jim.media; leur auteur n’en est en rien coupable… c’est la loi du genre). «Qu’est-ce qu’une question?»… est bel et bien la question première et dernière du métier. Si, sous les régimes totalitaires, la liberté d’expression est brimée pour cacher l’information, en démocratie, c’est la liberté de penser qui est tuée dans l’œuf… car une fois éclose, c’est trop tard. Une des «Sept Sages» de Berne en charge de la «communication» le sait bien, elle qui disait un jour «Je sens (…) dans mon parti comme une interdiction de penser». Si c’est vrai du parti le plus «progressiste»…
Les vieux censeurs sont-ils blasés?
On ne va pas ici citer dans le détail tous les cas où mes questions – écrites ou orales – aux officiels ont buté sur un silence ou sur un «Je ne vois pas la question»: en général, tout ce qui peut mettre en cause les banquiers et les cimentiers, la police ou les despotes… a droit à «excellente question»; tout ce qui égratigne la société civile, la culture, les zadistes, la coopération ou les chercheurs… est perçu comme «maltraitance à vache sacrée». Dans ces pages, on en a donné moult exemples au fil des ans, mais un miracle se produit parfois… comme à l’UniL au siècle passé; lors d’un colloque, un prof avait pris ma défense: «Ce monsieur n’a peut-être pas posé une question, mais il en a à coup sûr soulevé une». Ce matin-même, autre miracle lors d’un colloque sur les «Villes in/exclusives» à la Haute école (genevoise) de travail social, pourtant coutumière de la censure par omission. J’avais voulu d’emblée forcer la dose: «Votre exposé se moque des bobos avides de «diversité»… mais ce discours formaté n’est-il pas aussi celui des profs de cette école?». Un pas de plus dans la provoc: «Un parti populiste accuse les urbains d’être des parasites: je ne vois pas ce thème au programme du colloque… la question est-elle pour autant hors sujet?». Je m’attendais à être mis au cachot comme d’hab… j’ai eu droit à un sincère «Excellentes questions»… comme quoi on ne peut même plus compter sur ses ennemis.
On pose un lapin mais on lève un lièvre
Mais c’est là l’exception qui confirme la règle: en général, les questions «posables» au sens de l’officialité médiatique et scientifique plus que politique… servent avant tout à éviter qu’on en «soulève». De même, le «journalisme d’investigation» contre Poutine ou Pfizer sera applaudi par ceux qui – aux deux Palais, à la Tour Télé, à la Croix-Rouge – n’aiment guère être mis en question. Pour ma part, je préfère les questions toutes bêtes… elles coupent court aux réponses toutes faites: «Comment la Chine – au sommet – voit-elle le monde dans trente ans?». Quand l’ambassadeur de Chine vit cette question dans la «chatbox», il sauta dessus: «Tiens… voilà qui mérite examen». La seule différence entre la Chine et la Suisse, est-ce que chez nous, le parti au pouvoir est… le quatrième? C’est ce que semblait penser Alessia Lefébure, qui parlait des Universités chinoises à l’Institut Confucius… mais avec liberté: «Il y a une opinion publique en Chine… et même l’Université du Parti doit se remuer». En Suisse, les émules d’Ernst Cincera semblent être les seuls à se remuer encore: «Je vous connais!», avait d’emblée clamé l’homme de Berne. Bref, la Suisse a bien plus de liberté d’expression que la Chine… mais pas sûr qu’on y ait plus de liberté de penser.
La questionologie, une science qui a de la classe
Pour boucler la boucle: c’est moins par les ciseaux que par le malentendu que passe la censure dans nos démocraties. «Nous sommes bien d’accord!?», avait d’ailleurs insisté le menaçant diplomate du début. Comment se comprendre entre l’officialité – politique ou médiatique – qui plane au ciel de la pensée… et les pigistes qui plongent dans une presse gratuite qui ne «mérite» même pas d’«aide», dit la loi soumise au vote?