Qui roule qui? (sous «antique banker» en ligne, on trouve surtout des images de «banker chair»).

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La banque tire plus vite que son ombre

16 Fév 2022 | Carrière et formation

L’industrie financière a beau être un pilier de l’économie, elle est aussi insaisissable qu’une ombre. «Nouvelles technologies et (…) relation client»: tel fut le titre d’une table ronde à Uni-Mail… en produit d’appel pour un cycle à suivre toute l’année (cdbf.ch/cas-digital-finance-law/). Ce qui permet de poser à nouveau la question – éternelle mais mouvante – «qu’est-ce qu’une banque et quel est son rôle?».

La Loi «sur les banques» commence par en définir le contour… et en exclut d’emblée le simple courtage et le pur conseil. Ce qui ne veut pas dire que les passeurs d’ordre ou les gérants de fortune soient francs de toute loi. Mais chacun voit midi à sa porte, et la «banque» au sens de la loi suisse (fedlex.admin.ch/eli/cc/51/117_121_129/fr#chap_1) prend les dépôts du public.

Quel imprévu veut contrer la loi?

L’histoire des débâcles financières et des faillites boursières a fait vivre le législateur sous l’ombre de la solvabilité et des ratios prudentiels. Pas facile de savoir, face à un revers de fortune, si cet «aléa» veut dire «impondérable » ou «aveuglement »… et la solidarité des aveugles rend notre société plus amène aux faux prophètes qu’aux vrais joueurs. Ces jours, la presse s’est faite l’écho de gens détenus en Orient pour dette: même chez nous et sans fraude, jadis la faillite a relevé du pénal. Ce fut, d’une certaine manière, l’enjeu du débat entre les Rothschild et les Pereire au XIXe siècle: le premiers clamant qu’on ne devait prêter que son propre argent. Par contre, un Björn Borg ou un Enrico Macias – mis sur la paille par les bons «conseils d’amis» – ont peu de recours. Mais loin des définitions juridiques, la littérature voit plutôt le banquier comme un coffre d’acier ou un requin sans cœur. Alors, quand Bill Gates disait – il y a un demi-siècle déjà – qu’avec un ordi sur chaque bureau ou dans chaque ménage – «la banque, c’est fini», on doit se demander de quelle fonction bancaire il parlait et pourquoi sa prophétie tarde tant à se réaliser.

Le banquier, un électron libre?

«Qui doit payer quand des fonds sont «hackés » en ligne… la banque ou son client?»: tel est le genre de nœuds que le législateur doit dénouer (à l’aide du cours signalé au début). Ce qui pose à nouveau – par le défaut de l’ombre plus que par la clarté du débat – la question clef du cœur de métier. Une banque, est-ce surtout un coffre? Si oui, un donjon ou un temple est une banque (et le fut dans le passé). Ou est-ce surtout un témoin muet? Si oui, le secret d’avocat est plus solide. Ou est-ce un convoyeur de fonds? En tel cas, une équipe de gros bras fait mieux. Est-ce une agence de services… juridiques, comptables ou électroniques? Là aussi, la fiduciaire ou l’ingénieur sont des rivaux gagnants. Si la «numérisation du secteur financier» dessine de nouveaux «enjeux juridiques» (pour reprendre l’intitulé du cours), c’est qu’elle redessine surtout les frontières entre le coffre solide, le transfert sûr, le secret protégé, la compta rigoureuse… Bref, le savoir-faire du banquier est de plus en plus caché par ou dissous dans la modernité: son rôle idéal sinon réel est de juger la «valeur» des choses et de placer les fonds – comme dit l’adage – «au son du canon» et vendre «au son du clairon». Un banquier qui dirait – garantie à l’appui – «j’ai toujours donné dix pour cent… et je peux prouver qu’il en sera toujours ainsi»… sera dispensé par ses clients de toute autre garantie avec ou sans «blockchain».

La valeur absolue, une notion relative

Le hic, c’est qu’un tel banquier ne peut exister en tant que tel, pour des raisons de logique… qui le ferait plutôt rentier. Car un banquier infaillible n’aurait même pas besoin de clients: il ferait des emprunts à cinq pour cent chez ses confrères enchantés… et raflerait l’excès d’intérêt après avoir rendu le principal, pour parler comme La Fontaine. Ce n’est pas sans raison qu’un George Soros eût donné sa fortune pour être un Karl Popper. Ce qui mène à la plus simple et la plus dure des questions en finance: dix ou mille pour cent… c’est par rapport à quel actif absolu? Alors, si des banques affichent ces jours des bénéfices insolents, c’est dû à une tout autre cause que leur juste vision. Leurs clients – bref, «les riches» – sont de gentils moutons qui se laissent tondre. Comme avec les fonds «éthiques» par lesquels le banquier prend la place du curé. Le vrai banquier n’existe plus: c’est celui qui – membre d’une ou l’autre minorité vulnérable sinon misérable – craint pour sa vie s’il ne sert pas bien le public!

 

Boris Engelson