En tout cas, il y a un marché pour les conseillers ès solitude de l’entrepreneur…

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carrière & formation

Face au seul marché ou seul face au marché?

17 Nov 2021 | Carrière et formation

Le bien et le mal… le vrai et le faux… les idéologues aiment distribuer les bons points ou les coups de règle. Mais dans le «secteur marchand», le père fouettard, c’est le marché… sans préjugé: même Lénine a appris à ses dépens que la popularité des meneurs peut trébucher sur «les faits têtus». Bref, lancer puis gérer une «entreprise» est souvent un exercice à contre- courant et peu social. On l’a bien vu (et ouï) à la Semaine de l’entrepreneuriat (liberezvosidees.ch pour la version suisse)… aux propos moins normés qu’aux autres «Semaine» ou «Journée» du bien-penser officiel. A preuve, deux sessions à surprises: l’une sur le thème classique de la communication, l’autre sous le titre étrange des «non-dits».

L’«entrepreneur» a de nouveau mauvaise presse en ce début de millénaire (après un retour de faveur à la fin du XXe siècle, quand Jacques Séguéla publiait son livre «Ne dites pas à ma mère que je suis dans la publicité… elle me croit pianiste dans un bordel»). N’empêche, les enjeux de l’entreprise sont… existentiels: on l’a bien entendu à la séance sur les «non-dits», qui n’a pas tout à fait traité le sujet, mais où il fut beaucoup question de solitude, et un peu de liberté. Avant d’aller plus loin, toutefois, le mieux est de commencer par cerner la notion d’entreprise et d’entrepreneur, qui ne tient pas juste dans un statut juridique ou une grille salariale: le patron de La Poste est-il un entrepreneur ou un fonctionnaire… celui de Nestlé est-il plus rentier que celui de Tesla… Bell, Icahn ou Bolloré furent-ils plus chanceux que Gernelle, Laker ou Maxwell… et quid des Tapie ou des Soros? Pour passer à l’autre extrême, l’«entrepreneur» de base n’est-il pas le plombier ou le boulanger, qui a «plus de talent pour tenir boutique qu’un roi pour mener son pays», dirait Beaumarchais.

Homme (et femme) de quelle affaire?

A la séance sur les «non-dits», les trois «entrepreneurs» (Matthieu Salvy, Tafsir Bah et Nehanda Mauron-Mutambirwa) se montrèrent tels plus par leur esprit que par leur statut. Tous trois sont des poulains de la Fondetec… donc encore protégés par des fonds publics. L’un est un homme d’expérience, qui a travaillé en maints domaines, dont le négoce de matières premières. L’autre – il m’a fallu attendre deux heures pour le savoir, car j’étais arrivé cinq minutes en retard – fait des logiciels immobiliers: ce n’est pas pour taquiner l’orateur ni pour me laver du péché que je signale l’anecdote des nonante moins cinq minutes, mais parce qu’elle trahit bien le «méta » de maint débat d’experts… travers vite contré ce jour-là: l’homme a toute la vivacité de l’entrepreneur et a pour règle d’éviter la dispersion. La troisième est juriste et a sa propre étude… ce qui soulève une autre question: un(e) avocat(e), un(e) docteur(e), voire un(e) architecte… est-ce un(e) entrepreneur/euse: ces «professions libérales» aux titres assez «protégés» ont un marché plutôt «captif»… et – pourrait-on ajouter – «avec garantie du Gouvernement». Mais nos trois poulains semblaient bel et bien avoir la fibre d’entreprise… et même celle de l’aventure solitaire, ce qui est synonyme ou antonyme selon l’angle ou on l’observe.

Esprit d’équipe ou routine de couple?

«Plus jamais»: tel fut le cri du cœur de la juriste, quand on lui demanda si elle serait prête à faire équipe avec des consœurs /frères, comme elle l’avait fait à ses débuts. Malgré sa «solitude», l’entrepreneur/euse individuel(le) qui y a goûté ne peut plus se passer de la liberté des horaires, et surtout de celle des décisions sans avoir à se justifier face au groupe: «J’étais en train de devenir une personne en qui je ne me reconnaissais plus». Devoir être bien vu des autres… non juste de ses clients, mais de ses collègues… pose une nouvelle question: un entrepreneur doit-il être «gentil»… comme le clergé d’une Eglise, comme le service social, ou comme des fiancés? On dit que Steve Jobs était odieux comme un général ou comme un artiste: un entrepreneur est un mélange de l’un et de l’autre, plus d’un comptable… et Jobs fut un temps remplacé par le champion des chiffres venu de Pepsi – John Sculley – avant qu’on fasse revenir l’artiste. Le mythique critique Etienne Dumont ne disait pas autre chose, l’autre jour à la Société des Arts, quand il ironisait sur le moralisme d’un marché qui se prend pour Max Havelhaar: «On voudrait que les brillants collectionneurs soient tous des acteurs de l’économie solidaire». Sans doute que ce qu’il faut le plus à un «entrepreneur» pour ne pas faillir, c’est un «consultant» encore plus caustique le fou du roi.

Vente, pub ou comm’?

Ce qui nous mène à l’autre session à surprises: celle sur la comm’… par Michael McKay (tenue hors ville chez Fongit, fondation sœur de la Fondetec). Un one-man-show, certes, mais par un homme qui sait de quoi il parle… d’autant qu’il a connu le succès et l’échec dans «l’économie réelle» (une affaire de soupe, si j’ai bien entendu). Il voit donc que le «public» qui l’ovationne chaque matin – lui-même dans le miroir du rasage – n’est pas celui qu’il doit convaincre; et que le grand patron applaudi dans un auditoire plein de ses propres employé(e)s risque tout autant l’illusion d’optique ou d’oreille. Mais il y a pis: l’illusion d’avoir fait passer un message à coups de «Powerpoint» surchargé d’information, même en image. Malgré la pub, la comm’ est une chose, la vente, une autre… et le client est roi quand il dit – face à l’une ou l’autre – «I don’t buy that!». Bref, la comm’ bien comprise n’est pas un art terre-à-terre: Michael McKay est plus fort que les puissances célestes: il croit qu’une bonne comm’ doit s’en tenir à trois points, pas plus. Est-ce pour avoir voulu en faire passer dix d’un coup que Dieu ne sait plus à quel saint vouer l’humanité pécheresse?

 

Boris Engelson