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carrièrE & Formation - Cas pratique

Employeur et employé face à l’inaction

27 Sep 2023 | Carrière et formation

Après avoir travaillé de nombreuses années à l’étranger, Amir a été nommé directeur régional pour la Suisse, avec comme lieu de travail Genève, ce qui lui a permis de rejoindre son épouse. Après six années pourtant, l’employeur a informé Amir qu’il serait transféré en Jordanie et que son poste à Genève était réattribué. Amir a aussitôt refusé de quitter la Suisse, où sa femme était établie; il ne s’est pas rendu en Jordanie et n’a entrepris aucunes démarches nécessaires à l’entrée en fonction de ses successeurs.

Le fait de ne pas donner son accord à une modification de contrat est un droit et ne peut pas être considéré comme un juste motif de licenciement immédiat.

L’entreprise a par la suite informé une nouvelle fois Amir de son transfert, en date du 16 avril. Le 25 avril, l’employeur a sommé Amir de procéder à la remise immédiate et complète de son poste à son successeur, en le menaçant de résiliation immédiate en cas de refus. Ne voyant toujours pas son employé bouger, elle a renouvelé son avertissement et lui a donné un nouveau délai au 3 juin. Le 7 juin, elle a licencié Amir rétroactivement au 3 juin, en invoquant son absence injustifiée en Jordanie. Amir s’est opposé à ce licenciement immédiat rétroactif.

Liberté contractuelle

Conformément à la liberté contractuelle, le contrat de travail conclu pour une durée indéterminée peut être résilié de manière ordinaire avec observation d’un délai de congé, ou de manière immédiate pour justes motifs. Cette dernière est toutefois réservée aux cas où des manquements particulièrement graves ont été commis, lesquels ne permettent pas la continuation de la collaboration. La résiliation avec effet immédiat ne se justifie qu’exceptionnellement et ne peut en aucun cas être rétroactive. En cas de litige, il appartient au juge de déterminer s’il existe un juste motif de résiliation avec effet immédiat.

Organisation de l’entreprise

Dans notre cas, le tribunal a constaté que l’employeur pratique avec son personnel un «système de transfert tous les trois ans». Ainsi, les cadres employés hors Jordanie sont en principe astreints à changer de poste et de lieu de travail à intervalles de trois ans et Amir savait qu’il était soumis à ce régime. C’est donc sans déroger à ses habitudes que l’employeur a exigé ce transfert. Mais le tribunal a aussi relevé qu’un changement de poste et de lieu de travail nécessitait de spécifier à chaque fois, dans le contexte juridique et économique du nouveau lieu de travail et de séjour, les nouvelles tâches ou fonctions à assumer et les nouvelles conditions d’activité et de rémunération. Il y aura dès lors nécessairement une modification de contrat.

Le contrat de travail est bilatéral

Dans la mesure où le contrat de travail est bilatéral, celui-ci ne peut être modifié que si les deux parties donnent leur accord. Par ailleurs, les parties jouissent de la liberté contractuelle, qui inclut la liberté de ne pas contracter. Ainsi, si comme dans notre cas, l’employé refuse une modification, soit de remplacer le contrat en cours par un contrat différent (dans notre cas le transfert) exigée par l’employeur, le contrat en cours continue de lier les parties aussi longtemps qu’il n’est pas résilié. Ce refus ne peut pas être considéré comme une violation du premier contrat.
L’employeur aurait par conséquent dû signifier une résiliation ordinaire du contrat de travail, avec observation du délai de congé, aussitôt qu’elle a constaté que la modification du contrat n’obtiendrait pas le commun accord des parties. Le fait d’attendre passivement que l’employé veuille bien changer d’avis et de lui accorder de nouveaux délais pour s’exécuter ne donne aucun droit à l’entreprise. Autrement dit, le fait de ne pas donner son accord à une modification de contrat est un droit et ne peut pas être considéré comme un juste motif de licenciement immédiat. La résiliation immédiate est dès lors injustifiée. L’employeur n’avait d’autre choix que de maintenir le contrat initial ou de le résilier de manière ordinaire.

 

NICOLE DE CERJAT

Société des employés de commerce
Service juridique

 

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