Les amis du «bien commun» sont une minorité privilégiée.

/

carrière & formation

Comment voler dans l’air du temps

15 Déc 2021 | Carrière et formation

Le jeu de mots est facile, entre les deux sens du mot «voler»; mais il est ici tentant, face à ces anges qui – ils nous l’ont dit et redit à chaque session – incarnent le «bien», parlent du «cœur», portent l’«esprit»… bref, qui ont paradé tout une semaine (buildingbridges.org, impacthub.net et undp.org) pour une «finance éthique» au service du «développement durable». Ou au service du développement de leurs carrières par une… déformation peu professionnelle?

Première question: a-t-on le droit de mettre en question des gens si purs et des causes si nobles… au point de se «désolidariser » des tenants de la «solidarité»? Que peut-on bien dire contre cette union sacrée des diplomates, des banquiers, des professeurs, des consultants, des militants? Est-il vrai que seuls les pauvres «pensent à long terme» et que les riches «voient à court terme»? Et que le rôle de la communauté financière soit – malgré un sinistre précédent historique – de «servir de courroie de transmission entre les souhaits des pouvoirs publics et l’activité économique sur le terrain» (cité de mémoire)?

Inspecteurs des travaux finis

Deuxième question: d’où viennent les dix-sept «maux» du millénaire que veulent contrer les dix-sept «Objectifs du développement durable» des Nations Unies qui inspirent «Building Bridges»? Prenons déjà le plus urgent desdits «Objectifs», «mettre fin à la faim»: remplir son ventre est bel et bien une priorité depuis qu’il y a des estomacs sur Terre… et même avant. Pourquoi donc est-ce encore un problème des temps modernes, même hors du Sahara ou de Sibérie? Certes jadis, lors des sièges de villes, on usait sans vergogne de «l’arme alimentaire»; et si le chat fut tant aimé au pays des «vaches maigres», c’est qu’il était l’ange gardien des récoltes. De nos jours – disent les apôtres du «bien commun» – les rats sont les actionnaires, et les vaches meurent du carbone. Et tout au long du forum, on a vu les experts «solidaires» sortir le fouet contre les patrons «pas dans la ligne» (sic). Car ça va sans dire: c’est aux grands méchants banquiers à régler ce que les gentils petits militants ont si mal géré depuis deux siècles (les grandes famines furent le plus souvent «rouges»). Tout prêcheur vit aux dépens de celui qui croit aux miracles… et nos prêcheurs des «Objectifs» en ont plus d’un dans leur manche.

Apprentis sorciers

Face à ces légions de confesseurs de péchés (souvent) imaginaires, rares furent – au Forum – les incroyants… ou juste du bout des lèvres: pour faire chic, un ou deux experts (qui y ont jadis fait leur beurre) ont osé mettre le doigt là où le bât blesse. «Les campagnes menées depuis des âges pour les planteurs du Guatemala n’ont pu donner – en fin de compte – que trois dollars de plus par famille et par année». «La dénonciation – en son temps – de Walmart a plongé des milliers d’enfants du Bengale dans la misère». Par mégarde, les orateurs ont aussi admis que le «fair trade» marchait surtout quand on n’en avait pas besoin: plutôt que dans les champs de soja ou de banane, c’est dans ceux de cacao – «aux mains de familles ou de coopératives» – que la certification est la plus forte. On a aussi appris que les grandes firmes du pétrole – souvent exclues des portefeuilles bancaires – étaient celles qui faisaient le plus pour les brevets solaires. Le Forum était d’ailleurs cadré par le thème du climat, le treizième des «Objectifs»… hélas! plus mal ciblé encore que les premiers.
Plus de place pour un
«my way» d’artiste

Mais douter n’est plus de saison quand on a mis la main (ou la langue) sur tous les «bons» mots du vocabulaire: on a vu plus haut tout le bien que les développeurs durables «engagés» et «visionnaires»… seuls à œuvrer pour «un monde meilleur»… disaient d’eux-mêmes tout au long des sessions, sans guère de temps pour le débat… mais avec un ton sévère pour les firmes qui «ne comprennent pas» assez vite la «valeur» de ce trafic des indulgences. Même la Ministre de l’économie de notre République – qui disait se livrer hors langue de bois – n’a pas eu un pouce de recul face aux «bonnes valeurs» venues de ses parents… missionnaires. «Le banquier anarchiste» de Fernando Pessoa pense sans doute – comme les ingénieurs Rüdiger Urbanke et Jean-Michel Dépraz – que les «bonnes intentions» sont juste le contraire de la «bonne éthique». Il n’est pas le seul: le regretté André Baladi – humaniste s’il en fut – à dit que le profit d’une firme aussi avait une valeur éthique… surtout si on en faisait un usage plus «social» que le donner en bonus a des employés planqués ou en subsides à des mouches du coche.

Des ponts pour se tenir la
barbichette?

A «Building Bridges», les seuls sincères étaient les banquiers… Patrick Odier en tête. Ne ferait-il pas mieux de donner du blé à… Wikipedia… qui crie famine chaque jour sur sa page de garde? Wikipedia – malgré ses débuts loufoques – est la «lunette de Galilée» de notre époque… le dernier recours des «vérités qui dérangent» la pensée unique. A quoi bon «construire des ponts» entre gens du même bord? Pour voir l’autre versant de la vérité, on doit plutôt forer des tunnels… ou lancer des fusées vers Sirius.

 

Boris Engelson