carrière & formation

Apprentissage rime-t-il avec remplissage?

13 Oct 2021 | Carrière et formation

Le lecteur trouvera étrange que dans «Le Journal de l’Immobilier», la rubrique «Carrière et formation» ne parle ni d’immo ni d’écoles. Dans ces premiers numéros, on a abordé la formation par la bande… de la culture et des musées. Ce n’est pas par oubli: depuis l’avènement de la «société du savoir», la formation et les carrières font la course… sans recul; vu du dehors, une «fuite en avant». Tout le monde a désormais une «maîtrise»… et aura bientôt un implant avec la bibliothèque nationale en tête: ouvre-t-on ainsi des débouchés, ou rend-on les étudiants bouchés? C’est la fameuse blague des pantalons revendus d’un grossiste à l’autre mais qui n’avaient qu’une jambe: «Des pantalons à vendre… pas des pantalons à mettre», répondit le grossiste au boutiquier qui se plaignait en fin de chaîne.

«Pour savoir ce que nous mesurons au juste, ne faudrait-il pas commencer par reformuler l’objectif de la formation?». Cette question – candide à première vue – posée lors d’un débat en ligne d’experts en éducation (norrag.org) en dit long. Oui, l’éducation est en crise, depuis… cinq mille ans, et on n’en voit pas le bout. Au contraire, plus les sources de savoir abondent, plus elles ont du mal à trouver leur place. Ecole, livres, musées, presse, Web… chaque acteur peine à tenir compte des nouveaux venus qui le complètent ou le surclassent… et la formation «initiale» dure désormais jusqu’à l’âge adulte (sans laisser trop de traces). A la Société des Arts, un récent colloque a montré comment – au XIXe siècle – les mécènes de la science créaient des musées complétés de cours, faute de pouvoir ouvrir des académies: «L’Etat n’est guère enclin à aider des instituts qu’il ne contrôle pas» (cité de mémoire). A la rigueur de nos jours, le «chèque formation» fera-t-il prospérer les vendeurs de «soft skills». A la palette de la formation dans les grandes ou petites écoles s’ajoutent les séminaires dans les associations, et surtout, ceux sur le lieu de travail… souvent offerts par les boîtes qui ont vendu le matériel. Pendant ce temps, les hautes écoles tombent dans les bas fonds de la «woke» culture, sous couvert de «awareness». Bref, le présent article pose le cadre des suivants: le rôle des médias est de défier l’académisme. Pour tout ce qui est classique, on trouve la bonne parole à la Cité des métiers ou aux Universités, qui – en Europe – sont étatiques. A noter que – même et surtout en haute tech – les savoirs sont démodés à peine acquis… mais qu’importe: de 5 à 55 ans, les gens veulent des «crédits» sur leur carnet de notes. Quitte à payer une fortune la «Formcont» qui brille comme de l’or mais est pauvre en carat. Face à cette «troisième glaciation » que dénonce l’historien Jacques Julliard, il faudrait à l’Europe un zeste d’Universités… libres! Bref, le mal est profond, de la maternelle au supérieur… mais la crise sanitaire est venue à point pour masquer tous les problèmes derrière celui du «présentiel».

Sous la direction des meilleurs

Le désarroi de l’éducation se voit aussi à son vocabulaire: quand faut-il parler d’éducation, d’instruction, de formation… de compétences, de qualifications? «Bien élevé», est-ce «bien éduqué»… et est-on «barbare» ou «ignare» quand on est «malpoli»? La question est encore plus cruciale pour l’apprentissage: le «Skills Day» (unevoc.unesco.org) – qui se tient chaque été – est traduit par Journée des «compétences». Mais «savoir-faire»… sinon «compagnonnage»… est plus parlant (sans même évoquer le «talent», qui précède ou suit la formation). D’ailleurs, cette année à ladite Journée, on a surtout eu droit à l’énumération des titres des orateurs «de haut niveau» qui récitaient les procédures qu’ils avaient mises en œuvre… sans qu’on puisse apprendre au juste comment on avait répondu à quel besoin. Normal: le logo de l’Unesco est un temple! Et si le pire était encore ailleurs? Si haute «érudition» rimait avec grande illusion… si à force d’être «calé» on devenait statique… si les réformes étaient juste l’art de «faire la leçon» au lieu de «donner un cours»… si donner de l’info vérifiée n’arrivait plus à «parler vrai»… si au lieu de semer des questions ouvertes, on plantait l’esprit d’«initié»? Une experte de l’échec scolaire a dit son effroi en voyant que ce n’étaient pas les mauvais profs qui avaient le plus peur des réformes, mais les meilleurs… qui craignent de perdre leur statut de modèle. Choisir entre le bourrage de crâne à l’abri de la pluie et la libre pensée au risque du vent: est-ce la «leçon» à tirer de cette impasse de l’éducation? Jadis, les mères envoyaient un enfant chez les curés et un autre chez les pirates…

 

Boris Engelson

Ce qui est académique est-il toujours carré?