LA CHRONIQUE JURIDIQUE DE Me FLAVIEN VALLOgGIA - Piqûre de rappel pour sociétés anonymes
Vérifiez vos statuts et tenez vos AG à temps!
Avec l’arrivée du printemps, la convocation et la tenue des assemblées générales ordinaires des sociétés anonymes qui présentent un exercice comptable calqué sur l’année civile devraient être à l’ordre du jour de tous les conseils d’administration. En effet, depuis plusieurs jurisprudences rendues par le Tribunal fédéral en 2021 et en 2024 – qui sont souvent méconnues des administrateurs de sociétés – il est aujourd’hui vivement recommandé, suivant la teneur des statuts de la société, de tenir annuellement une assemblée générale dans le délai légal de six mois à compter de la fin de l’exercice social précédent et ce afin de renouveler les mandats des administrateurs. A défaut, leurs mandats pourraient expirer et la société n’être plus valablement organisée!
En décembre 20211, notre Haute Cour avait déjà rendu un arrêt important qui devait clarifier la durée des mandats d’administrateur, à savoir que ceux-ci ne se prolongeaient pas automatiquement jusqu’à la prochaine assemblée générale tenue et qu’ils devaient donc être impérativement renouvelés par une assemblée générale des actionnaires, sous peine de carence organisationnelle. Après avoir rappelé le caractère intransmissible et absolu de la compétence de l’assemblée générale d’élire les membres du conseil d’administration, le Tribunal fédéral avait tranché le fait que toute clause statutaire prévoyant la réélection automatique des administrateurs était nulle, excluant par là toute possibilité de réélection tacite des membres d’un conseil d’administration. Et les juges de Mon-Repos de conclure alors que la charge d’un administrateur prenait fin à l’expiration du sixième mois suivant la clôture de l’exercice social si aucune assemblée générale n’était tenue dans le délai prévu à l’article 699 al. 2 CO ou si l’élection des membres du conseil d’administration n’était pas portée à l’ordre du jour de ladite assemblée. Restait alors encore ouverte la question des conséquences concrètes de l’omission du conseil d’administration de convoquer une assemblée générale dans le délai légal précité.
Rigueur confirmée
La rigueur de la position des Juges fédéraux a suscité des sueurs froides dans certains conseils d’administration et chez les praticiens de la société anonyme, certains s’engouffrant dans la brèche ouverte pour aller plaider l’absence de validité de décisions prises par les administrateurs ou pour faire constater la carence d’organisation de sociétés dont les actionnaires étaient en conflit.
Dans un arrêt du 2 mai 20242, le Tribunal fédéral est revenu sur la question et a confirmé les conséquences juridiques de la non-tenue d’une assemblée générale dans le délai légal de six mois, tout en précisant la portée de l’expiration des mandats d’administrateurs. A cet égard, les juges ont considéré que, faute d’administrateurs valablement élus ou confirmés par l’assemblée générale, ceux-ci ne pouvaient plus engager valablement la société, ce qui a pour conséquence que tous les actes juridiques passés par ces derniers sont alors potentiellement invalides ou du moins annulables.
De plus, le Tribunal fédéral a rappelé dans cet arrêt que les décisions prises par une assemblée générale qui n’a pas été valablement constituée sont absolument nulles. Or, pour qu’une assemblée générale soit valablement convoquée, elle doit l’être par des membres du conseil d’administration dont le mandat est encore en vigueur. Si leur mandat est expiré, ils ne peuvent donc plus valablement convoquer une assemblée générale. La seule possibilité qu’il reste aux actionnaires avant de saisir le juge3 est d’organiser une assemblée générale dite universelle lors de laquelle tous les actionnaires doivent être présents ou représentés4 ou d’adopter une résolution à l’unanimité pour renouveler ou élire de nouveaux administrateurs5. Dans des sociétés qui ont un grand nombre d’actionnaires ou en cas de litiges entre actionnaires, cet exercice peut s’avérer extrêmement difficile, voire voué à l’échec.
A la lecture de cette seconde décision, les conséquences de situations très fréquentes vécues par nombre de sociétés anonymes suisses semblaient alors inéluctables.
Les décisions prises par une assemblée générale qui n’a pas été valablement constituée sont absolument nulles.
Petite atténuation
Le Tribunal fédéral a ensuite heureusement atténué les effets de cette problématique et la dureté des considérants des arrêts de décembre 2021 et de mai 2024.
D’une part, il a précisé que tout tiers doit pouvoir se fier aux informations inscrites au Registre du commerce aussi longtemps qu’il ignore que les mandats des administrateurs inscrits ont de facto pris fin. Ainsi, un tiers contractant avec une société en carence, représentée par un administrateur dont le mandat s’est éteint, demeure néanmoins protégé dans son engagement contractuel, tant que cet administrateur figurait en tant que tel au Registre du commerce lors de la conclusion du contrat.
D’autre part, un nouvel arrêt, rendu le 9 juillet 20246, a admis la validité d’une clause statutaire d’une société qui prévoit que les membres du conseil d’administration sont nommés par l’assemblée générale pour la période s’écoulant jusqu’à la prochaine assemblée générale ordinaire. Dans ce cas, dès lors que la tenue de l’assemblée générale ordinaire dans les six mois qui suivent la clôture de l’exercice n’est qu’un délai d’ordre et que les statuts ne fixent pas en mois la durée des mandats desdits membres, les statuts ne violent pas l’article 710 CO. Pour rappel, cette disposition prévoit, pour les sociétés non cotées et à moins que les statuts ne prévoient autre chose, que la durée des fonctions des membres d’un conseil d’administration est «par défaut» de trois ans7.
Alors que le non-respect du délai de six mois de l’article 699 al. 2 CO n’entraÎnait, avant les jurisprudences précitées, aucune sanction – si ce n’est une éventuelle responsabilité du conseil d’administration en cas de situation de surendettement et de faillite – celles-ci en ont changé matériellement la portée dès lors que, en fonction de la teneur des statuts d’une société anonyme, les conséquences pratiques d’un non-respect de ce délai peuvent être importantes et ne doivent plus être sous-estimées.
Vérification opportune
Compte tenu des éléments précités, les conseils d’administration seraient bien avisés de contrôler leurs statuts et vérifier si la durée des mandats de leurs administrateurs est fixée en années ou jusqu’à la tenue de la prochaine assemblée générale.
A défaut, il existe différentes manières pour une société de prévenir toute situation de défaut d’organisation liée à l’absence d’élection ou de réélection de son conseil d’administration; ces mesures sont assurément de la responsabilité du conseil d’administration. La première mesure consiste à planifier rigoureusement une assemblée générale des actionnaires chaque année, dans le délai de six mois dès la fin de l’exercice pertinent et à y prévoir à l’ordre du jour le renouvellement et/ou la nomination des administrateurs8. Si les états financiers de la société ne sont pas encore disponibles à l’approche de l’échéance du délai légal précité, la solution peut être de convoquer une assemblée générale extraordinaire ayant pour unique objet le renouvellement des membres du conseil d’administration. Il est également possible de modifier les statuts de la société et de prévoir des mandats de plus longue durée qu’une année, par exemple de deux ou trois ans, ce qui permet de limiter les risques de «perte» des mandats par inadvertance ou d’introduire une clause telle que celle examinée dans l’arrêt du mois de juillet 2024.
Alors que de nombreuses sociétés suisses ne respectent pas le délai de six mois pour tenir leurs assemblées générales annuelles, il est vivement recommandé aux conseils d’administration d’adopter les mesures précitées de contrôle, cas échant de correction, afin de garantir une gouvernance continue et conforme aux exigences légales, évitant ainsi les risques associés à une carence organisationnelle de la société, laquelle peut voir des conséquences fort dommageables sur la conduite des affaires de celle-ci.
Flavien VALLOGGIA
Avocat associé chez Reiser Avocats Genève
1. ATF 148 III 69.
2. Arrêt du Tribunal fédéral, 4A_387/2023, 4A_429/2023 du 2 mai 2024.
3. Dans le cadre de l’action de l’art. 731b CO, tout actionnaire ou créancier peut demander à ce qu’il soit remédié à une situation de carence dans l’organisation de la société, en requérant notamment du juge qu’il nomme l’organe qui fait défaut, désigne un commissaire o, en ultima ratio, prononce la dissolution et la liquidation de la société.
4. Art. 701 al. 1 CO.
5. Art. 701 al. 3 CO.
6. Arrêt du Tribunal fédéral, 4A_508/2023 du 9 juillet 2024.
7. Durée qui ne peut toutefois être supérieure à six ans.
8. A priori, selon notre appréciation, une assemblée générale convoquée dans le délai de six mois mais tenue après ce délai devrait être néanmoins valide.