André Lortie.

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Urbanisme: comment échapper au déterminisme industrialiste?

14 Fév 2024 | Articles de Une

Dans le cadre du cycle «Prospective de la vie future. Regards sur nos sociétés dans trente ans», André Lortie a présenté son ouvrage «De quoi l’urbanisme est-il le projet?» (Editions de l’Aube, 2023). Au fil des pages, le lecteur découvre les liens qui ont uni, de tout temps, l’industrie et l’urbanisme. L’auteur dresse ensuite un état des lieux critique au début du XXIe, avant de tracer des pistes pour le futur. L’événement – qui s’est tenu à Paris – a été organisé par la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale (voir encadré) et le Cobaty, association regroupant des professionnels de l’acte de bâtir.

L’urbanisme est le produit d’une société industrialiste à la recherche d’optimisation; en d’autres termes, l’industrialisation a, depuis son avènement, imposé ses solutions aux grandes villes. Pour expliquer ce constat et tenter de comprendre comment l’urbanisme assume cette fonction encore aujourd’hui, André Lortie mène une rétrospective basée sur divers cas d’étude, dont Paris et Montréal.

Des choix déterminants

Durant le XVIIIe et au début du XIXe siècles, période de pré-urbanisme, une division se fait sentir entre culture et artisanat d’un côté, progrès et industrie de l’autre. Au tournant des XIXe et XXe siècles, l’urbanisme naissant se met au service de la société industrialiste. Cette industrie de première génération – fondée sur l’énergie du charbon et l’acier, ainsi que sur la concentration capitaliste – façonne les territoires. «C’est pour en maîtriser les effets que les premiers urbanistes mirent au point leurs approches. En France, hygiène, circulation, esthétique forment une trilogie qui se manifeste dans tous les manuels d’urbanisme de l’époque», souligne André Lortie. Les villes sont envisagées comme de vastes ateliers de travail où chaque élément a sa place (taylorisme appliqué à l’organisation urbaine). L’efficience économique est visée avant tout, donnant lieu à une division spatiale et fonctionnelle (zonage), rendue possible grâce au réseau de chemin de fer.
Rationalisation, optimisation et organisation sont les maîtres mots. «L’urbanisme contribue au développement de cette industrie, en même temps qu’il lui offre les moyens d’une accélération ou d’une intensification caractéristique du capitalisme et dont les excès sont susceptibles de provoquer des dysfonctionnements, impliquant un nouveau diagnostic et la recherche de nouvelles solutions», relève l’orateur pour expliquer ce cercle vicieux. En parallèle, il s’agit d’offrir des conditions de vie décentes à la population: l’habitat s’étend en périphérie, alors que la production occupe les centres urbains.
Les deux guerres mondiales et la crise financière ébranlent non seulement les populations, mais aussi les territoires. Le milieu du XXe siècle est marqué par la présence d’îlots insalubres dans les centres urbains et une importante désorganisation en périphérie. La question du confort domestique se substitue progressivement à celle de l’hygiène: l’urbanisme accompagne cette mutation avec le développement important d’équipements (dans les ménages et au sein des territoires). La concentration au centre et la dispersion en périphérie nécessitent le remplacement des voies ferrées par des infrastructures routières.

Où en sommes-nous aujourd’hui?

Le bilan carbone et l’empreinte écologique insoutenables constatés dans les grandes métropoles sont le résultat des pratiques urbanistiques antérieures, en particulier celles des années 1960 à 1990. En réponse aux problématiques actuelles (environnementales, mais aussi sociales et économiques), un rapprochement des lieux de travail, d’habitat et de loisir est préconisé, impliquant une incitation à la densification autour de certains pôles (stations de gares, métros, etc.). «Cependant, les approches de l’urbanisme restent déterminées par les ressources techniques que l’industrie met à sa disposition», insiste André Lortie en montrant que le Grand Paris Express – nouveau métro qui reliera les principaux lieux de vie et d’activité en banlieue sans passer par Paris – permettra de servir les industries conventionnelles du bâtiment, des travaux publics et du rail.
Pour André Lortie, les technologies de l’information et de la communication (TIC) représentent l’industrie qui monte aujourd’hui en puissance, procurant un espoir de changement de paradigme. Toutefois, l’intégration des systèmes urbains est extrêmement complexe, ce qui décourage bien des opérateurs. «Les dispositifs qui relèvent les données, ceux qui les relaient et les stockent, constituent la nouvelle grande infrastructure d’optimisation de notre société industrialiste et de son environnement urbain», remarque l’auteur avant de mettre en garde: invisible aux yeux des habitants, cette infrastructure (smartcity) n’en est pas moins un important moyen de contrôle; elle risque de provoquer un nouveau cycle de dysfonctionnement, auquel devra répondre l’urbanisme. L’implication de citoyens vigilants, parties prenantes de la production de leur propre territoire, pourrait être l’antidote au prochain emballement industrialiste, voire le vecteur d’une remédiation environnementale.

 

Véronique Stein

GROS PLAN

Réunir les entrepreneurs pour le renouveau industriel

 

La Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale (SEIN) est une association fondée en 1801 par les trois consuls, Bonaparte, Cambacérès et Lebrun. Reconnue d’utilité publique dès 1824, elle vise à stimuler le développement industriel de la France, à favoriser l’innovation technologique et à encourager l’entrepreneuriat. Elle a apporté une contribution directe au développement économique de la France au XIXe siècle, dans des domaines très variés.
La Société d’Encouragement a établi son siège dès 1852, 4, place Saint Germain-des-Prés, à Paris dans le 6e. L’Hôtel de l’Industrie a été aménagé pour accueillir ses membres et exposer des inventions. La SEIN poursuit depuis deux siècles les mêmes objectifs: encourager les bâtisseurs de l’industrie de demain; transmettre les innovations et les savoir-faire; conserver la mémoire du patrimoine industriel. La Société est aujourd’hui organisée en huit comités – dont le comité Constructions et Beaux-Arts (président: Bertrand Lemoine) – qui couvrent toutes les activités économiques de France.

 

www.industrienationale.fr

GROS PLAN

Un chercheur qui connaît le terrain

 

André Lortie est architecte, docteur en urbanisme et professeur à l’ENSA de Paris-Belleville. Il agit aussi comme conseil auprès des collectivités, après avoir exercé la maîtrise d’œuvre architecturale et urbaine. Ses travaux de recherche concernent l’histoire et l’actualité de l’urbanisme et la contribution des architectes aux débats sur la grande ville, du XIXe au XXIe siècle, en Amérique et en Europe. Depuis 2018, il est directeur de l’équipe de recherche IPRAUS/AUSser CNRS.

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