La Riviera vaudoise
Une situation privilégiée
La Riviera vaudoise est une région à part. Avec un climat doux, une situation privilégiée, diverses attractions touristiques et des hôtes célèbres, son attrait est connu dans le monde entier. Et pourtant, on y construit proportionnellement moins de logements et on y recense moins de nouveaux habitants qu’en moyenne cantonale.
Jean-Pascal Baechler, économiste à la BCV.
David Michaud, responsable de l’observatoire BCV.
«We all came out to Montreux» – «Nous sommes tous venus à Montreux». Les premiers mots de «Smoke on the water» du groupe britannique Deep Purple, l’un des morceaux de rock’n’roll les plus connus au monde pour son introduction à la guitare électrique et enregistré dans un hôtel de la ville il y a 50 ans et quelques mois, résument le statut de la Riviera vaudoise: un lieu d’exception réputé dans le monde entier.
L’attachement que lui ont porté des personnalités comme l’acteur-cinéaste Charlie Chaplin ou le chanteur du groupe Queen Freddie Mercury, témoignent de cet attrait. Cette région privilégiée entre lac et Préalpes abrite aussi le monument historique le plus visité de Suisse, le château de Chillon; le siège de l’une des plus grandes entreprises du secteur alimentaire dans le monde, le groupe Nestlé; ainsi qu’un bout du vignoble de Lavaux, classé au Patrimoine mondial de l’humanité. La Riviera, c’est aussi un climat doux et bien d’autres attractions.
Paradoxe: la Riviera fait partie des régions du canton de Vaud qui ont connu la progression de la population la plus basse depuis le début du XXIe siècle. En deux décennies, le nombre d’habitants a augmenté de 22,9%, alors que la moyenne cantonale est de 32,6%. A l’échelle du district, compte tenu de l’évolution démographique du Pays-d’Enhaut (environ 6% de sa population), la hausse s’inscrit à 22,1%.
Evolution de la population.
Un territoire bien occupé
L’un des facteurs d’explication réside justement dans la situation privilégiée qui caractérise la Riviera: le territoire habitable entre le lac et les Préalpes n’est pas extensible, et une partie du vignoble est protégée par les dispositions sur la sauvegarde de Lavaux, notamment sur les territoires des communes de Chardonne et de Corsier-sur-Vevey. De plus, la région est fortement urbanisée, ce à quoi s’ajoute la situation particulière de la commune la plus peuplée du district, Montreux. Le développement de cette dernière est entravé par l’annulation de son Plan général d’affectation (PGA), à la suite d’une décision du Tribunal fédéral.
Des évolutions similaires s’observent dans d’autres régions vaudoises. En particulier, la partie «Lavaux» du district de Lavaux-Oron, soit les communes entre Pully et Saint-Saphorin – sur lesquelles se trouve la plus grande partie du vignoble de Lavaux – affiche une croissance démographique de 22,0% entre 2000 et 2021. En ville de Lausanne, un territoire déjà densément peuplé et également inextensible, la hausse a été de 21,9%.
En revanche, sur La Côte, la population a augmenté de respectivement 30,5% et 39,8% entre 2000 et 2021 dans les parties des districts de Morges et de Nyon bordant le Léman. Sur le plateau, des pieds du Jura au district de la Broye-Vully, la croissance démographique s’est inscrite, suivant les régions, entre 33,9% (Ouest lausannois) et 49,7% (Gros-de-Vaud).
Solde migratoire en retrait
La hausse plus lente de la population influence également la structure de cette dernière. Le solde migratoire, principal contributeur à la progression de la population du canton depuis le début du siècle, est proportionnellement moins élevé sur la Riviera qu’en moyenne vaudoise. Par exemple, à 0,9% par année depuis le début du siècle, la croissance démographique liée à la migration intercantonale et internationale est plus basse que dans des districts comme la Broye-Vully et le Gros-de-Vaud (1,5% dans les deux cas).
L’accroissement naturel (solde des naissances et des décès) est aussi l’un des plus bas du canton, de sorte que la population tend à vieillir plus rapidement qu’en moyenne cantonale. Ainsi, sur la Riviera vaudoise, la part des 65 ans et plus s’élève à 19%, soit plus qu’à l’échelle du canton (17%).
Evolution du nombre de logements sur la Riviera.
Production de logements
contenue
La dynamique démographique contenue est un corollaire d’une production de nouveaux logements qui l’est également. Depuis le début du XXIe siècle, en moyenne, 360 nouveaux logements ont été produits annuellement dans la Riviera vaudoise, ce qui correspond à une augmentation moyenne du parc résidentiel de 0,9% par année. Sur le plan cantonal, sur la même période, l’augmentation du parc a été plus marquée, avec une croissance annuelle moyenne de 1,2%.
Cette différence s’est même accentuée depuis 2015: si la production de logements s’est maintenue dans le canton de Vaud (+1,2%), elle s’est repliée sur la Riviera (+0,8%). Bien que les chiffres soient encore provisoires, un repli de la production de logements est de nouveau attendu cette année et l’an prochain. Selon les permis de construire accordés, le parc résidentiel devrait croître en moyenne de 0,5% par année. Dans le canton de Vaud, l’évolution va dans la même direction, mais avec un affaiblissement de la production plus limité.
Malgré cela, le taux de logements vacants dans le district (1,2% au 1er juin 2022) est similaire à la moyenne cantonale. Si le marché est encore légèrement tendu, la situation est différente de celle du district de Lausanne, où le taux de logements vacants n’est que de 0,6%.
Taux élevé de propriétaires
Sur la Riviera vaudoise, la moitié des logements produits depuis le début du XXIe siècle a été constituée en PPE et 14% ont été des villas. Les logements locatifs ont représenté pour leur part un tiers du total. Avec un taux de logements en propriété individuelle d’environ 45%, en hausse de cinq points de pourcentage depuis le début du siècle, le district de la Riviera–Pays-d’Enhaut ne se distingue guère de la moyenne cantonale (44%), mais s’inscrit loin devant les deux districts de locataires, Lausanne et l’Ouest lausannois (respectivement 21% et 25%).
Le marché de l’immobilier en propriété individuelle a suivi la même évolution que dans l’ensemble du canton. Les prix des villas ont été multipliés par 2,6 à l’échelle du district (2,5 en moyenne vaudoise), ceux des PPE par 2,7 (moyenne vaudoise: 2,6), soit des hausses parmi les plus fortes sur sol vaudois.
Ces augmentations sont similaires à ce qui s’observe globalement sur l’Arc lémanique. La plupart des communes de la Riviera font partie du quart des communes du canton dans lesquelles l’immobilier en propriété individuelle est le plus onéreux.
Nombre de nouveaux logements par catégorie – Construction de logements sur la Riviera.
Report vers le canton de Fribourg
Il vaut la peine de jeter un coup d’œil au-delà de la frontière cantonale. Une partie des personnes qui n’ont pas trouvé le logement idéal sur la Riviera se sont établies dans le sud du district fribourgeois de la Veveyse. Les communes d’Attalens, Bossonnens, Châtel-Saint-Denis, Granges et Remaufens ont vu leur population augmenter de 65,3% entre 2000 et 2020, une hausse deux fois plus élevée que la moyenne vaudoise et… trois fois plus rapide que sur la Riviera.
L’augmentation a principalement été alimentée par les déménagements depuis un autre canton et, dans une moindre mesure, par l’établissement de personnes venues d’un autre pays. Aujourd’hui fortement tourné vers le canton de Vaud, notamment vers Vevey ou Lausanne, le sud du district de la Veveyse a d’ailleurs été inclus dans le Projet d’agglomération Rivelac (cf. encadré ci-contre), dans lequel la Riviera, ainsi que les communes proches du Chablais vaudois et du canton de Fribourg, souhaitent inscrire leur développement.
Le Pays-d’Enhaut, une autre
réalité
Le contexte de l’autre partie de la Riviera-Pays-d’Enhaut est très différent. Les trois communes des Préalpes vaudoises du district, Château-d’Œx, Rossinière et Rougemont, représentent les trois quarts de sa superficie, mais moins de 6% de sa population. Moins denses et moins urbanisées (27 habitants par km2 contre 836 sur la Riviera), leur population a aussi moins progressé: +11,0% entre 2000 et 2021, contre +22,9% pour la Riviera et +32,6% pour la moyenne vaudoise.
Dans le Pays-d’Enhaut, l’augmentation des prix des logements en propriété individuelle a été plus contenue: ceux-ci ont progressé d’environ 115% depuis le début du siècle, alors que la hausse avoisine 150% sur la Riviera et 130% en moyenne vaudoise. Ils sont aussi plus bas d’environ un quart que sur la Riviera et d’un cinquième que dans le canton.
David Michaud, Economiste immobilier, Banque cantonale vaudoise
Jean-Pascal Baechler, responsable de l’Observatoire BCV de l’économie vaudoise.
GROS PLAN
Rivelac: inscrire le développement dans un projet d’agglomération
A l’instar d’autres régions suisses et vaudoises, la Riviera cherche à inscrire son développement dans un projet d’agglomération afin, notamment, de bénéficier d’une participation de la Confédération au financement de nouvelles infrastructures.
Le projet Rivelac s’inscrit à cheval sur les cantons de Vaud et de Fribourg et couvre un territoire abritant plus de 100 000 personnes, ce qui en fait la troisième agglomération romande, derrière le Grand Genève et Lausanne-Morges. Le périmètre comprend les communes de la Riviera vaudoise (Blonay–Saint-Légier, Chardonne, Corsier-sur-Vevey, Corseaux, Jongny, Montreux, La Tour-de-Peilz, Vevey et Veytaux), des localités proches du Chablais vaudois (Noville, Rennaz, Roche et Villeneuve) et le sud du district fribourgeois de la Veveyse (Attalens, Bossonnens, Châtel-Saint-Denis, Granges et Remaufens).
Une première version du Projet d’agglomération (qui n’incluait du côté fribourgeois que Châtel-Saint-Denis) n’avait pas été retenue par la Confédération en 2014, le rapport entre les coûts et les bénéfices n’ayant pas été considéré comme suffisamment favorable. Les études ont repris et un nouveau projet devrait être déposé à Berne à l’horizon 2025. Les principaux objectifs de Rivelac sont de:
• densifier le tissu urbain autour des axes de transport public et des gares;
• favoriser l’usage des transports publics et de la mobilité douce (marche ou vélo);
• développer l’emploi en priorité près des gares principales et des grands pôles de développement (Villeneuve Sud, zone industrielle de La Veyre-Fenil à côté de l’échangeur d’autoroute au nord de Vevey et Châtel-Saint-Denis);
• préserver les paysages agricoles et viticoles.
La politique actuelle en matière d’aménagement du territoire tend à freiner l’étalement urbain et à en limiter le mitage. Dans cette vision durable, l’augmentation de la capacité résidentielle d’une région doit s’effectuer par un développement de la densité des tissus urbains à proximité des axes de transports publics et de mobilité douce. Les études menées dans le cadre des projets d’agglomération permettent notamment de cibler les améliorations à entreprendre au niveau des infrastructures de transport.
Cela a aussi un impact sur la densification du bâti. Par exemple, dans le canton de Vaud, le Projet d’agglomération Lausanne-Morges (PALM), qui regroupe 26 communes des districts de Lausanne, de Lavaux-Oron, de Morges et de l’Ouest lausannois, a bénéficié à plusieurs reprises des financements de la Confédération. Même s’il n’y a pas forcément de lien de cause à effet, il convient de constater que la construction de logements a été dynamique dans ce périmètre: +60% depuis 2015.