Michel Morello peut se targuer d’être mandaté commme expert immobilier, recommandé par de grandes banques, assurances et promoteurs-constructeurs de la place (sur la photo avec son apprenti Emeric Wittig).

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Le monde de la construction à Genève

Un véritable parcours du combattant

9 Mar 2022 | Articles de Une

A l’aube de ses 63 ans, le directeur-fondateur du bureau «2A Expertises & Réalisations», Michel Morello, évoque les satisfactions et les difficultés ayant marqué sa carrière. Il dénonce le climat délétère qui règne à Genève, en particulier dans le milieu de la construction. Ce sont «quelques fonctionnaires des services publics inefficaces et procéduriers octroyant des passe-droits à certains», des couches administratives successives, ainsi que des contraintes spécifiques qui sont venus entraver le chemin de ce professionnel au profil atypique. Mais avant cela, il tient à saluer ceux qui l’ont accompagné et lui ont offert leur appui, des personnes qui lui sont chères.

Fils d’un père émigré italien et d’une mère française, Michel Morello est né à Genève et a grandi dans la Cité de Meyrin. Ses racines franco-italiennes ont forgé sa personnalité: un mélange d’originalité, de légèreté et de rigueur. Tout au long de son chemin de vie, certaines personnes lui ont donné des impulsions et l’ont incité à emprunter une voie plutôt qu’une autre. Michel Morello nomme ainsi sa maîtresse d’école 5e et 6e primaire, dont la gentillesse reste gravée dans sa mémoire. Vint ensuite, au Cycle d’Orientation, un enseignant de dessin technique qui provoqua chez l’adolescent rebelle un véritable électrochoc. Alors que ce dernier se destinait à une carrière sportive, il prend goût à l’art du dessin. Il entreprend un apprentissage de dessinateur en bâtiment. Quelque peu paresseux et avant tout motivé par le foot, les copains…et les filles, le jeune Michel va tant bien que mal jusqu’au bout de son CFC. Malin et débrouillard, il entre ensuite dans la vie active et compense ses lacunes scolaires par son habilité en dessin. Il enchaîne les boulots, missions de courte durée qui lui procurent une certaine expérience et un savoir-faire.

Les guides

Fort de ce bagage, il est engagé chez Jean-Jacques Mégevand Architectes, où il reste cinq ans. Il y fait la rencontre de Frank Moor, architecte et enseignant, qui devient rapidement son mentor, ami et grand frère. Ce dernier encourage Michel à s’interroger davantage, à considérer les projets sous des angles multiples, au-delà des mandats proprement dits. Plus tard, l’architecte Patrice Bezos (bureau Favre + Guth) devient un autre mentor de choix. Lorsque Michel Morello ouvre sa propre structure en 1993, il demande régulièrement conseil à ces divers mentors, reconnus de tous. M. Morello évoque également d’autres personnes qui ont compté pour lui, comme ses «vieux potes» du football ou de l’école, ainsi que leurs familles. Ce sont eux qui ont fait que Michel en arrive là, à la tête d’un bureau qui traite des projets variés et intéressants. Par ailleurs, il n’oublie pas sa longue collaboration (plus de vingt ans) avec le bureau Imagina, en particulier Benoit Guiguet, maître du virtuel, ainsi que son associé, Roland Noiset, œuvrant sur des réalisations d’exception. A ceux-là et à bien d’autres qu’il aurait omis de mentionner («la vieillesse approche à grand pas», dit-il), Michel adresse ses remerciements du fond du cœur pour leur soutien sans faille.
Morello peut se targuer d’être mandaté comme expert immobilier, recommandé par de grandes banques, assurances et promoteurs-constructeurs de la place. Ses clients, de toutes nationalités et aux budgets variés, font appel à ses services pour ses compétences et sa capacité à sortir des sentiers battus. Plutôt homme de terrain – à l’aise sur les chantiers et avec les aspects techniques – que concepteur, M. Morello apprécie la phase d’exécution et de suivi des projets. Il fonctionne également en tant qu’assistant à maîtrise d’ouvrage. Implantée à Choully depuis quelques années, sa structure à l’esprit familial comprend des collaborateurs au bénéfice de compétences diversifiées: un économiste du bâtiment, un directeur de travaux, un architecte d’intérieur, une responsable administrative et un apprenti. A l’image du sport d’équipe qu’il a pratiqué pendant plus de vingt ans, le patron de 2A Expertises & Réalisations estime que travailler seul dans son coin n’apporte rien: selon l’ampleur et la complexité de la mission, des partenariats se nouent au cas par cas. Un capitaine à la vision globale, qui sait diriger son navire!

Michel Morello: «Au sein de certains services de l’Etat sévit une grappe de fonctionnaires, qui, tels vêtus de la cape du chevalier blanc, n’hésitent pas à nous faire la morale, chercher la petite bête».

Coup de gueule
de Michel Morello
Lettre à ma petite maman

Tu te demandes peut-être pourquoi je ne dors pas bien la nuit, que je suis souvent de mauvaise humeur ou que j’ai mal au ventre? Je vais essayer de t’expliquer ma réalité quotidienne. Sache que je ne m’en prends pas à l’ensemble de l’administration publique, même s’il est communément partagé que les fonctionnaires sont bien payés (cela ne me dérange pas quand ils font simplement leur travail) et que pour une partie, ils «se la coulent douce». Je parle de ceux qui oublient qu’ils sont salariés grâce à nos impôts et qui profitent de leur position pour s’octroyer des prérogatives dépassant clairement leur fonction. Manifestant un sentiment de supériorité, ils ne sont pas là pour appliquer la loi, mais pour l’interpréter à leur guise. Dans des situations similaires, comment expliquer que certains bureaux (architectes, ingénieurs, etc.) obtiennent plus facilement que d’autres des autorisations de construire? Pourquoi les mandats sont-ils attribués toujours aux mêmes structures? Eh bien voilà: Genève est un microcosme où les copinages sont monnaie courante. Les appartenances politiques, religieuses et familiales font toute la différence entre les bien servis et les candidats lambda.
Au sein de certains services de l’Etat sévit une grappe de fonctionnaires, qui, tels vêtus de la cape du chevalier blanc, n’hésitent pas à nous faire la morale, chercher la petite bête. En toute impunité, des réglementations ou des articles de loi – qui semblent inventés ou modifiés – viennent bloquer nos projets. Dans d’autres circonstances, certaines constructions illicites échappent à ces mêmes autorités et des autorisations de construire (ou de transformer) sont prestement accordées… J’ai été personnellement confronté à plusieurs situations de ce type où, par un surprenant hasard, toute la procédure était validée dans les plus brefs délais via un dossier déposé directement par mes clients, ceci en compensation de services divers et variés…dont je n’évoquerai pas la teneur pour ne pas choquer ta pudeur.
Dans le cas des marchés publics (projets équivalents ou supérieurs à CHF 100 000.–), la méthode du saucissonnage de l’offre est couramment utilisée, car elle permet de décerner de «gré à gré» les mandats. Autre dérive: le programme est élaboré de manière à correspondre parfaitement au profil (points forts, expérience, etc.) du mandataire que l’on souhaite avantager. Et que se passe-t-il ensuite: des dizaines de candidats s’évertuent à monter des dossiers, alors que les dés sont d’ores et déjà pipés. Quelques entreprises se partagent ainsi le marché, particulièrement pour des projets engagés par des collectivités connues de la place genevoise. Pour certaines, je les ai pratiquées et j’ai pu constater ces dérives.
Comme stipulé plus haut, je suis certain qu’une grande partie des personnes travaillant dans ces divers services font leur travail. Je demande simplement que les départements et services étatiques appliquent la loi sans distorsion. Car des clients dont les chantiers ne démarrent pas sont des clients frustrés; cela représente un manque à gagner pour tous, entreprises locales de construction et bureaux tels que le mien. Autre cas de figure que j’ai rencontré: les travaux sont stoppés avant la fin du chantier pour une quelconque raison, alors que j’ai suivi toutes les démarches usuelles (rapports et études y compris). Ces défaillances dans le processus s’expliquent par la lenteur et l’incompétence des services concernés. En résultent des frais importants (travaux non budgétisés, procédures juridiques complexes, etc.) qui, bien sûr, reviennent à notre charge. Au cours de l’un de mes projets, j’ai ainsi dû débourser la belle somme de plusieurs dizaines de milliers de francs. En résumé, je considère que les fonctionnaires des services auxquels je fais allusion outrepassent leur rôle, interprètent la loi selon leurs humeurs et arrangent leurs petits copains(ines…). La politique des transports publics dans notre Canton mérite également qu’on s’y attarde quelques instants. Comme tu le sais, ma petite maman, chaque jour, des entreprises de la construction, entre autres, n’ont d’autre choix que d’utiliser leurs véhicules motorisés pour tout simplement pouvoir travailler. Cependant, chicanes et bouchons viennent freiner les déplacements et les «bien-pensants» encouragent le recours aux transports publics. Mais je te défie seulement, avec ton échelle et ton sac de plâtre, d’aller faire ton travail en tram ou en bus! S’il est vrai que ce mode de transport est nécessaire pour une partie de la population, que fait-on des autres? Il faut reconnaître que cela donne du travail aux divers corps de métier et sous-traitants de cette «régie», cette dernière représentant une grosse machine pécuniaire, synonyme d’emplois, de financements et enfin, de subventions qui, soit dit en passant, sont payées par les contribuables. Ainsi, des problèmes de circulation sont créés de toute pièce pour justifier les solutions délivrées ensuite avec «générosité» par les autorités et les administrations, comme la mise en œuvre à outrance de lignes de bus à travers notre canton….qui sont, hors les heures de pointe, presque vides.
Il y a également les parkings, «gracieusement» mis a disposition par le Canton et les communes, afin que nous puissions nous garer, nous les «méchants travailleurs en véhicules motorisés». Manne financière importante, ces parkings sont dotés d’horodateurs qui n’ont pas le même fonctionnement entre canton et communes. Si, si.. fais-en l’expérience, tu verras c’est vraiment intéressant, pour ne pas dire plus. Sans parler des changements du sens de la circulation ou des présélections supprimées en catimini…ou encore de la gestion des feux qui sont calqués sur les horaires des trams et des bus: le moyen parfait de rester bloqué pendant dix minutes dans ta voiture en regardant passer deux à trois fois les «petits» trams et bus. Relevons enfin les places de parking supprimées sur l’autel de la sacro-sainte pollution!
Un autre exemple du serpent qui se mord la queue: les prix et les délais d’approvisionnement des matériaux, qui, au final, ont un impact sur la construction. Pendant des années, nous avons négligé les entreprises régionales et délocalisé l’ensemble de notre chaîne de production – notamment vers la Chine – pour des questions de rentabilité; dans certains secteurs d’activité, nous avons «inventé» les marchés publics. Alors, ne nous étonnons pas aujourd’hui, qu’avec la «crise sanitaire», ces industries étrangères – qui ont le monopole sur de nombreux produits – en profitent pour augmenter leurs prix et que les délais de livraison s’allongent indéfiniment! Bien que nous soyons maintenant en pénurie, nous restons dans une totale dépendance. En effet, dès que «cela repart», surtout chez eux, nous nous empressons de leur commander 80% à 85% des produits nécessaires, uniquement pour la construction. Sans parler de tout le reste, car la liste risquerait d’être longue comme le bras. Ce ne sont que des illustrations de toutes les incohérences et absurdités qui foisonnent par ici.
Maman, je sais que tu t’inquiètes pour tes enfants, tes petits-enfants et arrière-petits-enfants, quant à leur avenir et le sort de cette belle planète. En ce sens, lors de nos rencontres nous discutons de mon métier qui est en évolution constante; nous évoquons en particulier l’électrification des constructions, en lien avec le boom des voitures électriques et le développement de bornes de recharge dans les bâtiments et les parkings publics.
A ce sujet, je te confirme que les voitures électriques ne produisent pas de gaz d’échappement; est-ce qu’elles ne «polluent» pas pour autant? T’es-tu posé la question d’où proviennent et comment sont fabriquées les «piles» qui permettent à ces voitures de ne pas polluer? Je te propose d’examiner les désastres écologiques causés sur d’autres continents. Extraction des minerais avec d’énormes camions et machines en tout genre qui fonctionnnent…à l’électricité. Il en va de même pour ces gigantesques bateaux qui traversent les océans et les mers. Enfin, quand tout le processus arrive à terme et que ces piles sont utilisées, il faut encore les recharger. Avec quoi? De l’électricité. Qui produit de l’électricité? Eh ben…des centrales nucléaires ou à charbon principalement! «Mince alors, ces sublimes voitures électriques ne sont pas aussi propres que ce que l’on veut bien nous le faire croire. Je vais devoir en discuter avec mes petits-enfants», t’exclames-tu, chère maman. Ce que je cherche à te dire, ce n’est pas que je fais l’apologie de la voiture fonctionnant au moteur à combustion et explosion, mais j’aimerais que tu préviennes «les petites» qu’elles ne doivent pas croire tout ce que l’on peut lire et voir aux infos. En effet, j’estime que les «bien-pensants» de ce monde ne nous disent pas toute la vérité et que pour des raisons qui leur sont propres, ils nous baladent gentiment!
Je vais éviter de m’attarder sur la Covid et les innombrables «mises à jour», qui ont pénalisé, et pénalisent encore aujourd’hui mon travail et surtout une grande partie de la planète. Je te propose de prendre le temps de visionner «Hold-Up» sur Internet et de te faire ta propre opinion. Dans ces moments difficiles de pandémie, je tiens à exprimer mon soutien et à adresser une chaleureuse pensée envers toutes les familles qui ont été impactées de près ou de loin par la crise. Mes remerciements vont également à l’ensemble des personnes qui œuvrent pour sauver et aider les malades.
J’aurais pu encore te parler de bien d’autres choses concernant ce monde, ainsi que des parasites qui l’habitent, mais je vais terminer par la formation. La formation des jeunes et en particulier ceux qui effectuent un apprentissage de dessinateurs en bâtiment, car c’est par cette filière qu’il y a bien longtemps, j’ai découvert ce beau métier.
En tant qu’entreprise formatrice depuis plus de vingt ans, j’apprécie certainement d’avoir des apprentis au sein de mon équipe; j’ai à cœur de leur transmettre ma passion. Cependant, j’ai constaté que depuis quelques années, des dysfonctionnements importants étaient apparus. J’ai actuellement un appprenti en 2e année. Pendant plus d’une année et demie, je n’ai jamais vu son commissaire d’apprentissage. Je me suis donc interrogé et j’ai pris contact avec un responsable des services concernés, qui m’a informé que le précédent commissaire avait été remplacé par une autre personne. J’ai donc patienté pour enfin pouvoir recevoir le, ou la nouvelle commissaire d’apprentissage, dans la perspective d’aider au mieux mon apprenti. Charmante personne qui m’a fait son speech et qui m’a transmis les documents par mail, ainsi qu’un plan dit «de formation». Je ne t’explique même pas. Malgré un écran de 65 pouces, je n’arrive pas à visualiser tout le tableau. Il faut avoir un Master en Excel et de grosses loupes pour y comprendre et y voir quelque chose. Par ailleurs, je ne sais pas quel est «l’imbécile» qui a décidé d’instaurer deux demi-journées à l’école…l’on ne pourrait pas condenser les cours en une seule journée ? Cela éviterait d’avoir, deux fois par semaine, des étudiants qui courent le matin à l’école et doivent se rendre l’après-midi au bureau.
J’ai de grands doutes sur la réelle implication de certains enseignants. En effet, j’ai eu l’occasion de demander des réponses au sujet de certaines annotations faites sur des épreuves; très rarement, j’ai obtenu un retour. Une fois, j’ai eu une réponse… en latin. Très amusant, mais si je rencontre un jour ce professeur, je me ferai un plaisir de lui botter les fesses, que ce soit en latin ou en italien. Je conçois bien, que pendant cette période douloureuse, il n’a pas été facile de diffuser les cours, mais là aussi, cela a permis à certains de se «planquer» sous le sceau de la Covid. En résumé, je pense qu’une partie des professeurs feraient mieux d’arrêter d’enseigner, car ils causent du tort aux apprentis et portent préjudice à notre magnifique métier.
Suite au prochain coup de gueule!

 

Propos recueillis par
Véronique Stein