Frédéric Ducret.

/

La Chambre des notaires de Genève - par Me Frédéric Ducret, Notaire - Chambre des notaires de Genève

Un outil au service de la politique foncière

18 Juin 2025 | Articles de Une

A Genève, comme dans d’autres cantons suisses, l’Etat et les communes disposent d’un outil juridique particulier pour intervenir sur le marché immobilier: le droit de préemption. Il s’agit d’une faculté qui leur permet, dans certaines circonstances, d’acheter un bien immobilier en priorité, aux conditions convenues entre le vendeur et un acquéreur privé. Ce mécanisme, souvent méconnu du grand public, joue pourtant un rôle central dans la planification du territoire et la politique du logement.

Qu’est-ce que le droit de
préemption ?

Le droit de préemption permet à une autorité publique (dans cet article) d’acheter un bien immobilier avant un autre acheteur, généralement, à un prix égal et aux mêmes conditions. Il ne s’agit donc pas d’une expropriation: le vendeur conserve la liberté de vendre ou non, mais s’il choisit de le faire, la collectivité publique peut se substituer à l’acquéreur initial.

Quels sont les fondements légaux à Genève ?

Dans le canton de Genève, plusieurs bases légales organisent les différents droits de préemption:
• La Loi d’application de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire (LaLAT) institue un droit de préemption général en faveur de l’Etat ou des communes dans les cas où la réalisation d’un projet d’aménagement l’exige.
• La Loi générale sur le logement et la protection des locataires (LGL) introduit un droit de préemption en faveur de l’Etat et des communes pour les biens situés en zone de développement. L’objectif est de permettre une planification cohérente et la réalisation de logement, en particulier d’utilité publique.
• La Loi générale sur les zones de développement industriel ou d’activité mixtes (LZIAM) prévoit un droit de préemption en faveur de l’Etat qui peut l’exercer ou qui peut alternativement être exercé par la Fondation pour les terrains industriels de Genève (FTI). Le but étant de favoriser la mise en valeur des zones de développement industriel et d’activités mixtes et lutter contre les ventes à des prix excessifs.
• La Loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites (LPMNS) prévoit également un droit de préemption en faveur de la commune du lieu de situation de l’immeuble, subsidiairement du canton. Ce droit de préemption s’applique aux immeubles classés.
• Enfin, les communes peuvent bénéficier d’un droit de préemption dans le cadre de la Loi sur l’administration des communes (LAC). La commune du lieu de situation a un droit de préemption sur tout immeuble propriété de l’Etat dont la vente ne sert pas un but d’intérêt public ou général. L’Etat, quant à lui, dispose d’un droit de préemption sur tout immeuble propriété d’une commune.

Dans quels cas s’appliquent ces droits ?

Un droit de préemption n’est pas automatique: il s’exerce dans un périmètre défini par la loi, et seulement à l’occasion d’une vente. Lorsqu’un bien est concerné, le notaire chargé de l’acte doit notifier l’intention de vendre à l’autorité compétente. Celle-ci dispose alors d’un délai, généralement de 30 à 60 jours, pour faire valoir son droit.
Il existe aussi des restrictions: par exemple, en zone de développement, l’Etat peut exercer son droit uniquement si le bien n’est pas déjà affecté à une utilisation conforme ou si la vente risque de compromettre un projet d’intérêt public.

Pourquoi ces droits existent-ils?

L’objectif principal est de préserver l’intérêt général. Dans un contexte de pression foncière élevée, les autorités cantonales et communales cherchent à garantir un développement équilibré du territoire, à favoriser la mixité sociale et à répondre aux besoins en logement.
Le droit de préemption leur permet ainsi de constituer des réserves foncières, de contrôler l’évolution de quartiers sensibles ou encore de favoriser des projets d’habitat durable.

Un équilibre entre liberté et
intérêt public

Si certains y voient une forme d’ingérence, le droit de préemption est encadré par des conditions strictes et vise un équilibre entre les droits des propriétaires et l’intérêt public. Il ne bloque pas le marché, mais oriente certaines transactions stratégiques vers des objectifs collectifs.
Pour le vendeur, cela signifie simplement qu’une vente peut être reprise par l’Etat ou une commune. Pour les acquéreurs, il s’agit d’un point à vérifier lors d’un projet d’achat, en particulier dans certaines zones sensibles.
Le notaire joue un rôle central dans cette procédure: il doit identifier les cas où le droit de préemption s’applique et veiller au respect des délais et des formalités. Le notaire contribue ainsi à la sécurité juridique de la transaction.