L’immobilier résidentiel doit faire face à une offre limitée et à une demande toujours soutenue.

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logement - Immobilier résidentiel suisse

Un marché toujours tendu en 2025

19 Mar 2025 | Articles de Une

Entre la rareté des terrains constructibles, une réglementation contraignante et des conditions de financement plus strictes, le secteur de l’immobilier résidentiel doit faire face à une offre limitée et à une demande toujours soutenue. Julien Scarpa, Research & Consulting Suisse romande chez CBRE (expert international en immobilier), livre son analyse sur les perspectives du marché.

– En ce début d’année, comment se porte le marché immobilier résidentiel suisse?
– Le marché reste dynamique, soutenu par des fondamentaux solides. La croissance démographique continue d’alimenter une demande constante de logements. Cependant, l’offre demeure limitée, avec des taux de vacance très bas, avoisinant 1%, alors que l’équilibre théorique se situerait à 1,5%. En quête de rendements locatifs stables, les investisseurs perçoivent le marché résidentiel suisse comme une opportunité à la fois attrayante et sécurisée, malgré quelques nuances.

– La pénurie de terrains constructibles semble plus marquée que jamais. Qu’en est-il?
– Effectivement, la rareté des terrains constructibles, accentuée par la Loi sur l’aménagement du territoire (LAT) qui restreint les zones de construction, constitue un facteur structurel de limitation des potentialités constructives. Ce contexte se traduit par une pénurie marquée de logements disponibles. La situation reste la plus tendue dans les grandes métropoles (Genève, Lausanne, Zurich, Bâle), même si des cantons en forte croissance démographique, comme Fribourg et le Valais, enregistrent également une baisse significative des taux de vacance depuis quelques années. Cette tension varie selon la gamme de prix: la vacance diminue davantage pour les logements avec des loyers dans la fourchette basse et médiane, tandis que l’offre de logement plutôt haut de gamme reste stable, voire en augmentation. Le véritable enjeu est donc de répondre à la demande des ménages, qui se tournent majoritairement vers des logements abordables ou à prix moyen.

– Quels sont les autres principaux obstacles au développement immobilier?
– Les projets résidentiels se heurtent fréquemment à des oppositions en Suisse, largement attribuées à l’attitude nimby (not in my backyard) de riverains résistants à la densification. Des exemples marquants ont été observés dans l’Ouest lausannois et, plus largement, dans l’Arc lémanique. En outre, les délais liés aux procédures administratives, entre le dépôt du projet et sa réalisation allongent le temps de la planification, si bien que les besoins d’aujourd’hui sont souvent remis à plus tard. Enfin, la réglementation en vigueur constitue un frein, notamment la Loi sur les démolitions, transformations et rénovations (LDTR) à Genève et la Loi vaudoise sur la préservation et la promotion du parc locatif (L3PL). Ces lois limitent la possibilité de répercuter les coûts de rénovation sur les loyers, rendant ainsi les travaux moins rentables. Enfin, la question du financement par les banques entre en jeu.

– Quelle est la position des établissements bancaires?
– Depuis l’entrée en vigueur du dispositif finalisé de Bâle III, le 1er janvier 2025, qui adapte les exigences de fonds propres en fonction du risque, les banques adoptent une approche plus restrictive en matière d’endettement. Pour les développeurs et promoteurs, les conditions de financement et les taux bancaires sont désormais moins favorables qu’ils ne l’étaient par le passé. Concernant les investisseurs institutionnels (fonds immobiliers, fonds de pension, assurances, fondations, etc.), d’importantes levées de capitaux ont été effectuées en 2024. Bien que ces fonds puissent servir au développement de nouvelles constructions, une part substantielle est en réalité consacrée à la rénovation du parc immobilier existant, tandis qu’une autre est destinée au désendettement.

 Investissement de l’immobilier résidentiel de rendement en Suisse.
Evolution de l’offre et demande de logement en Suisse.

– Quelles sont les attentes de la population en matière de logement?
– De manière générale, la tendance montre une augmentation du nombre de locataires et une diminution du nombre de propriétaires en Suisse. La part de la population capable d’acquérir un bien immobilier reste restreinte. Par ailleurs, les locataires ont tendance à conserver leur logement plus longtemps qu’auparavant, principalement en raison de la différence marquée entre les loyers existants (faible marge d’augmentation sur les baux en cours) et les loyers proposés sur le marché lors d’un déménagement. Toutefois, les changements de locataire sont plus fréquents dans les centres urbains, en lien avec une population jeune et plus mobile. D’ailleurs, certains concepts de logement flexible qui répondent à ce type de demandes rencontrent un franc succès, notamment le coliving et la location d’appartements meublés pour de courtes durées, en particulier dans les grandes zones urbaines.

– Le taux d’intérêt de référence des prêts hypothécaires pour les contrats de location a été abaissé le 3 mars 2025, passant de 1,75% à 1,5%, une première depuis mars 2020, retrouvant ainsi son niveau de septembre 2023. Quelles en sont les implications?
– A condition que le locataire l’exige, cette baisse devrait entraîner une légère diminution des loyers, bien que des facteurs comme l’inflation et les coûts liés aux travaux de rénovation puissent en limiter l’effet.

– Et du côté des acquéreurs potentiels?
– Pour les futurs propriétaires, l’acquisition d’un bien immobilier redevient une option financièrement intéressante. Plusieurs études indiquent que le coût de la propriété est désormais inférieur à celui de la location. Par ailleurs, le projet de suppression de la valeur locative pour les résidences principales et secondaires, voté au Parlement en décembre 2024, rendrait l’achat immobilier plus séduisant; les déductions pour entretien ne seraient toutefois plus autorisées (voir page 11).

– Quelles sont vos prévisions pour les prochains trimestres?
– A l’avenir, la situation géopolitique actuelle devrait avoir des répercussions négatives sur l’économie suisse, en particulier les exportations, avec, à terme, des effets en chaîne sur l’emploi et par conséquent sur la demande en logements et le marché immobilier.
Pour 2025, comme je l’ai mentionné, les capitaux destinés à l’investissement dans les immeubles de rendement seront abondants, malgré la part importante allouée aux travaux de rénovation et au désendettement. L’offre d’immeubles limitée devrait entraîner une hausse des prix. La concurrence sera plus forte que jamais entre les acteurs cherchant à acquérir les biens les plus prisés, notamment ceux situés dans des zones centrales ou répondant à des critères énergétiques et environnementaux élevés. Bien que représentant une faible part de la construction totale, les projets de reconversion ou de démolition-reconstruction susciteront un certain intérêt auprès des investisseurs, dans une logique de renouvellement urbain.

– Le mot de la fin?
– La planification urbaine devrait, à l’avenir, offrir plus de flexibilité. Il sera essentiel de concevoir des immeubles capables de s’adapter à différents usages, en intégrant un potentiel de réversibilité. A titre d’illustration, à Bordeaux, un permis de construire avait été accordé pour un immeuble sans affectation spécifique, permettant une utilisation aussi bien en bureaux, en logements qu’en commerces. Suivons cet exemple!

 

Propos recueillis par
Véronique Stein

Julien Scarpa (CBRE).
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