La Gara, à Jussy, un domaine d’exception du XVIIIe siècle.

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Patrimoine et énergie

Un lien intime avec la durée

21 Sep 2022 | Articles de Une

C’est au domaine de La Gara, à Jussy, que s’est tenue, le 13 septembre, l’Assemblée générale de la section genevoise de Domus Antiqua Helvetica, association axée sur la conservation vivante des demeures anciennes qui contribuent à la richesse de notre patrimoine. Dédiée aux enjeux de la transition énergétique, la réunion s’est déroulée sur ce site exceptionnel du XVIIIe siècle où l’art de longue vie s’exerce dans une parfaite harmonie entre passé, présent et avenir.

«Les demeures historiques sont des modèles de développement durable. Elles existent le plus souvent depuis des centaines d’années et ont utilisé pour leur édification des matériaux naturels et pérennes». C’est ainsi que Rémy Best, président de Domus Antiqua Helvetica Genève et propriétaire de La Gara, a introduit la thématique de l’énergie présentée par les auteurs du dernier «Cahier» édité par l’association, qui en approfondit tous les enjeux, légaux, techniques et pratiques. Dépositaires d’un héritage historique et culturel de valeur, les propriétaires n’échappent pas aux défis de l’urgence climatique. Les spécialistes soulignent toutefois la nécessité d’approches spécifiques afin de concilier préservation du patrimoine, prise en compte de sa durabilité intrinsèque et évolution énergétique. «Il y a lieu de modérer les efforts visant la transition énergétique sur ces constructions», déclarent Babina Chaillot Calame, conservatrice cantonale des monuments à l’Office du patrimoine et des sites (OPS) et Emile Spierer, ancien directeur adjoint de l’Office cantonal de l’énergie (OCEN). «Ce d’autant que les quelque 6000 bâtiments à haute valeur patrimoniale et 18 000 bâtiments situés dans un périmètre protégé totalisent moins de 30% du parc immobilier genevois. Un effort sur mesure pour ces derniers, ajouté à l’effort complet déployé sur 70% des immeubles, pourrait, dans une large mesure, soutenir les objectifs d’économie énergétique projetés à l’horizon 2030».

Le retour à la «low tech»

Les réglementations sur l’énergie sont applicables à tous les bâtiments sans distinction. Mais des dérogations doivent permettre d’intervenir sur la succession de cas particuliers qui constituent le patrimoine bâti. Assainir l’enveloppe en limitant l’atteinte à la substance protégée et alimenter les installations avec des sources non fossiles sont au nombre des interventions prioritaires relevées par les deux spécialistes. Au-delà du système dérogatoire, Babina Chaillot Calame insiste également sur la mise en place de pratiques générales et reproductibles qui permettent de mieux cibler les travaux. En collaboration avec l’OCEN, un guide sur l’assainissement des fenêtres a été publié en 2016; des solutions sont également proposées pour l’isolation des toitures et celle du sol. Un nouveau guide des installations solaires intéresse plus spécifiquement les constructions en zone protégée, les possibilités d’insertion sur les toitures des bâtiments à haute valeur patrimoniale demeurant relativement restrictives. Un chapitre sur les comportements responsables dictés par le bon sens reste à écrire. La conservatrice cantonale des monuments rappelle que les modèles de calcul des normes ou les labels de type Minergie ne peuvent s’appliquer aux bâtiments historiques. Dès lors, une certaine frugalité est de mise. «Le retour à la «low tech» reprend ses titres de noblesse, relève-t-elle. Des modes de vie de type occupation saisonnière, réduction des espaces de vie en période hivernale ou encore réduction de la température ambiante sont des vecteurs d’économie d’énergie déterminants dans ce type d’habitation».

Rémy Best, président sortant

L’Assemblée générale, qui a réuni une centaine de membres, a compté avec la présence de spécialistes. Ainsi, celles de Carmelo Stendardo, président de l’Association genevoise d’architectes, et de Cathrin Trebeljahr, membre du Comité, engagés à contribuer par leurs conseils à l’élaboration de projets de rénovation énergétique maîtrisés.
Lors de cette réunion, Lukas R. Alioth, président suisse de Domus Antiqua Helvetica, a chaleureusement remercié Rémy Best, président genevois sortant, pour son dynamique engagement depuis 2011. Le flambeau est repris par Cosina Trabichet-Castan, avocate associée dans un cabinet genevois réputé. Au Comité depuis 2019, elle a notamment permis le développement exponentiel de la NextGen, qui prépare à leur mission les héritiers présomptifs des maisons patrimoniales.

La Gara au pays de l’unique

La Gara est l’un des plus grands domaines du canton et parmi les derniers exemples de campagne genevoise du XVIIIe siècle qui présente un état aussi complet avec son ensemble d’habitations et de dépendances entouré de cours et de jardins, situé au cœur d’un domaine agricole et viticole de 45 hectares. Resté longtemps en mains des familles Favre, Thellusson puis Faesch, le domaine acquis par Rémy et Verena Best après trente ans d’inoccupation a été restauré dans les règles de l’art. Au cours du chantier mené avec élégance et respect entre 2001 et 2006 par Verena Best, architecte, la maison de maître désormais classée a été adaptée aux besoins, l’orangerie transformée en habitation et la grange aménagée en espace de réception et salle de musique. Au cours des vingt dernières années, la cour, le parc, le potager et le verger ont été réaménagés et recréés avec le concours d’Erik Dhont, paysagiste belge d’exception, tandis que l’artiste Markus Raetz a marqué l’espace de son labyrinthe végétal. Le canal, seul exemple du XVIIIe siècle en Suisse, a été restauré en 2015. Actuellement, la ferme qui abrite la cave est en cours de rénovation légère, tandis qu’une solution est à l’étude pour remplacer le chauffage à mazout par des énergies propres. La Gara reflète à merveille le caractère unique de chaque ouvrage ancien et ce qu’il peut nécessiter de sensibilité et de souplesse du politique et de l’administration pour concilier économie d’énergie et préservation du patrimoine.

 

Viviane Scaramiglia

 

Le Cahier thématique sur l’énergie peut être commandé ou consulté en ligne: www.domusgeneve.com

GROS PLAN

Gabriel Best, la Nextgen à l’honneur

 

«J’avais un an quand je suis arrivé à La Gara. Un domaine familial où j’ai grandi et que je n’ai jamais quitté. Sur les traces professionnelles de ma mère, je suis étudiant en architecture.» Membre du groupe NextGen qui réunit la jeune génération de Domus Antiqua Helvetica, Gabriel Best relève que la transmission d’une demeure historique est un sujet complexe par sa dimension affective, légale et financière auquel il convient de se préparer. Pour sa part, il est confiant dans la pérennité du domaine familial. «J’ai quatre frères et sœurs qui sont partout dans le monde, mais nous sommes tous profondément liés à La Gara par la même valeur sentimentale.»

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