Didier Lohri, syndic du village de Bassins, au-dessus de Nyon: un esprit libre, totalement inclassable et irréductible, farouchement indépendant.

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Liaison CFF entre Genève et Lausanne

Un député vaudois veut ressusciter la «Boucle» de Cointrin

22 Déc 2021 | Articles de Une

Le gigantesque chantier de l’extension de la gare Cornavin, entraînant notamment la fermeture (temporaire…) de la rue de Lausanne, devrait bientôt s’ouvrir. L’infrastructure souterraine permet d’épargner le quartier des Grottes et d’obtenir les financements fédéraux. Feu le député PLR genevois Rolin Wavre avait défendu une autre option, celle d’une «boucle» permettant d’utiliser la gare de l’aéroport autrement qu’en cul-de-sac. Aujourd’hui, un élu Vert vaudois relance le sujet, tandis qu’une pétition aboutit et que le ministre des Transports Serge Dal Busco défend l’option retenue entre autres par le Grand Conseil genevois.

Le blocage total de la ligne ferroviaire entre Genève et Lausanne, en novembre dernier, après l’effondrement du sol à côté des voies à Tolochenaz/VD, vient de relancer un débat que la direction des CFF s’efforce d’étouffer à tout prix: celui de l’aménagement à venir de la liaison ferroviaire entre Genève et le canton de Vaud qui coûtera, selon les deux variantes possibles, soit quatre milliards de francs, soir un milliard seulement. Le député Vert vaudois Didier Lohri vient d’interpeller le Conseil d’Etat de son canton pour qu’il s’oppose à un projet à ses yeux aussi coûteux que totalement irrationnel.
Le diagnostic est connu et approuvé par tout le monde: il faut favoriser les déplacements en train et non plus en voiture, et, comme le nombre de passagers est appelé à augmenter spectaculairement durant les dix ou vingt prochaines années, il s’agit de développer et de densifier au maximum le réseau ferroviaire, tant en ce qui concerne le nombre que la cadence des trains. L’exemple le plus frappant? La liaison entre Genève et Lausanne, où des dizaines de milliers de pendulaires font chaque jour le trajet dans les deux sens.
Une ligne ferroviaire absolument vitale, comme le sang qui irrigue l’organisme, mais qui se retrouve sans cesse et de plus en plus perturbée et paralysée au gré des incidents de toute sorte, qui vont des pannes et des problèmes à répétition aux accidents de personnes ou aux problèmes liés à des travaux, comme la panne historique qui a duré plusieurs jours, après un effondrement de terrain au bord des voies à Tolochenaz, à la fin novembre. Un contexte qui montre la vulnérabilité de cette liaison ferroviaire et qui relance le débat sur l’aménagement des deux gares genevoises de Cornavin et de l’Aéroport, ainsi que de leur liaison avec le canton de Vaud.
Député au Grand Conseil vaudois, Didier Lohri a été élu en 2017 sur la liste des Verts, mais il est – et restera – un électron libre. Syndic du village de Bassins, au-dessus de Nyon, il a été élu et réélu pendant vingt-sept ans avec des majorités éclatantes, autour de 70%. C’est un esprit libre, totalement inclassable et irréductible, farouchement indépendant. Tout le monde le connaît, tout le monde l’apprécie, et quand nous retrouvons au café le Perdtemps, à Nyon, les gens qui entrent le reconnaissent et viennent le saluer. Au point que je lui dis en plaisantant qu’il a engagé une troupe de figurants! Didier Lohri, donc, est un esprit indépendant, mais il est aussi ingénieur, spécialiste en informatique et en mathématiques, une tête formée et dure qui intimide. Il pourrait être un notable, mais il ne veut surtout pas! Il n’a pas de cravate, pas de veste, rien de convenu ni de contraignant.

Pour repenser la liaison
Genève-Lausanne

A 63 ans, Didier Lohri a l’âme verte, mais avec une certaine distance, une forme de quant-à-soi. Il est écolo, mais il l’est à sa manière, totalement rationnelle et pas du tout dogmatique. Ancré dans sa région, il est résolument un partisan du rail, qu’il ne cesse de défendre et de promouvoir. Il regrette et il peste contre le fait que son village de Bassins n’ait pas de liaison directe et soit à deux kilomètres de la gare la plus proche. A la suite de nombreux incidents sur la ligne Genève-Lausanne, le dernier et le plus grave étant celui de Tolochenaz, qui se sont traduits bien sûr par des retards et des désagréments pour les passagers, il vient d’envoyer une interpellation au Conseil d’Etat vaudois, le 16 novembre dernier. Cette interpellation porte sur le problème de fond qui conditionnera tout l’avenir de la liaison ferroviaire entre Genève et Lausanne, à savoir l’aménagement des deux gares de Cornavin et de l’aéroport à Genève, ainsi que leur raccordement au canton de Vaud.

Le projet de réseau Weibel: un axe Aéroport – Genthod et deux raccordements du Vengeron et
de Blandonnet. En rouge: aménagements à réaliser; Bif. : bifurcation ; Racc.: raccordement.
Le projet de réseau des pouvoirs publics: deux demi-gares souterraines Cornavin 2 et 3, puis un tronçon Cornavin 1 – Nations – Aéroport 2 – Zimeysa complémentaire du réseau Léman Express.
En rouge : aménagements à entreprendre; Bif.: bifurcation.

Deux options pour Genève

Le dossier est technique, très sérieux, fastidieux, un peu terre-à-terre à vrai dire, mais il se ramène au fond à un choix très simple. Le développement du trafic ferroviaire étant ce qu’il est, il est nécessaire de renforcer et d’étoffer les possibilités des CFF. A Genève, il existe pour cela deux solutions radicalement différentes. La première, celle qui est retenue par les CFF et approuvée par le Grand Conseil, consiste à reconstruire totalement la gare de Cornavin, en sous-sol, et à agrandir et à doubler quasiment celle de Genève-Aéroport, ces deux gares étant destinées à être toujours reliées à la sortie de Genève à la même ligne vers le canton de Vaud. si souvent perturbée et qui constitue évidemment un goulet d’étranglement. «A la moindre avarie, tout s’arrête», constate Didier Lohri.
La deuxième variante, c’est celle que le député vaudois défend avec quelques autres, à commencer par l’infatigable ingénieur retraité Rodolphe Weibel. Le principe: il faut créer une voie directe entre Genève-Aéroport et Coppet, une boucle qui éviterait Genève-Cornavin et qui pourrait donc garantir la liaison entre Genève et le canton de Vaud en tout temps. Pour dire les choses de manière très concrète, les trains n’auraient pas besoin de repasser par Genève-Cornavin pour aller à Lausanne.
Pourquoi les CFF tiennent-ils mordicus à la première variante, qui semble pourtant plus fragile et qui coûte surtout terriblement plus cher, autour des quatre milliards de francs, alors que l’autre variante ne coûterait qu’un milliard de francs? Pourquoi veulent-ils absolument imposer une variante qui exigera des tonnes de béton, un matériau très peu écologique, alors que l’autre n’en demandera que très peu? Didier Lohri remarque que les gares, qui étaient jusqu’ici des lieux où les gens se croisaient pendant leurs déplacements, deviennent de plus en plus des centres commerciaux. «L’objectif d’une gare, remarque Didier Lohri, c’est quand même d’offrir aux gens la possibilité de se déplacer, ce n’est pas de leur fournir des magasins pour faire leurs courses».
Mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué? Pourquoi faire bon marché quand on peut faire très cher? Pourquoi dépenser quatre milliards pour une liaison fragile alors qu’on peut n’en dépenser qu’un milliard pour un système plus fiable et plus maniable? Didier Lohri attend, d’ici trois ou quatre mois, la réponse du Conseil d’Etat vaudois qui pourrait aussi concerner, au fond, l’ensemble des citoyens genevois. Faut-il vraiment refaire la gare de Cornavin qui vient d’être refaite il y a quelques années, et la transformer en une gare souterraine, ce qui exigera des années de travaux d’une extrême lourdeur? Faut-il vraiment agrandir la gare de Genève-Aéroport qui se situe dans un environnement très dense et très complexe?

Echos genevois

L’interpellation de Didier Lohri s’adresse aussi, sans le dire, aux responsables genevois, qui soulignent que changer, si l’on ose dire, de train en marche, c’est perdre plusieurs milliards de financement fédéral et se mettre en porte-à-faux avec les nécessités d’horaire évoquées par les CFF.
Dès lors, du côté genevois de la Versoix, les partisans d’un réexamen approfondi de ce dossier se réveillent: alors qu’une pétition a été lancée par Mario Jelmini (un habitant du Val de Joux vaudois qui a fait ses études à Genève), accompagnée d’un mémoire technique complet, le député genevois
Patrick-Etienne Dimier a repris le flambeau de son collègue Rolin Wavre, brusquement décédé au printemps 2020 et ré-interpelle le Gouvernement.

 

Robert Habel

Serge Dal Busco: «Des études qui ne sont ni professionnelles, ni crédibles».

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La réponse de Serge Dal Busco

Des arguments fallacieux pour défendre une vision erronée

Pour permettre à nos lecteurs de se forger une opinion, nous avons communiqué au président du Conseil d’Etat genevois Serge Dal Busco l’article des pages 38 à 40, afin que nos lecteurs disposent des éléments nécessaires à se forger eux-mêmes une opinion. (Réd.)

Depuis un certain temps, quelques résidents du canton de Vaud férus de chemin de fer s’échinent à promouvoir un développement des connexions ferrées entre Genève et Lausanne fondé sur la mise en place d’une «boucle» passant par la gare de l’aéroport. C’est parfaitement leur droit de défendre coûte que coûte leur idée, quitte à rester sourds aux arguments solides que leur ont opposé à maintes reprises les CFF comme les autorités fédérales et cantonales concernées, qui ont démontré l’impraticabilité de leur vision. En revanche, je ne saurais laisser passer les arguments fallacieux, voire mensongers, que ces amateurs du rail ressassent sans relâche.
Je voudrais tout d’abord rappeler une nouvelle fois que le Grand Conseil du canton de Genève a été amené à se prononcer à deux reprises sur ce dossier. Dans ce cadre les députés ont auditionné aussi bien les défenseurs du projet de «boucle» que les représentants des CFF, de l’Office fédéral des transports et du Canton. A chaque fois, cette idée a été rejetée à une très large majorité, étant rappelé en outre que seule la Confédération aurait été compétente pour retenir éventuellement un tel projet si elle l’avait jugé pertinent.
Les analyses des experts de l’OFT et des CFF ont démontré le caractère irréaliste de la solution de boucle, dès lors qu’elle ne peut pas fonctionner dans le système cadencé suisse qui constitue le fondement du réseau ferré helvétique. L’absurdité de l’offre commerciale qui en découlerait a également été mise en exergue (notamment: illisibilité des horaires, allongement des temps de parcours).
Les études menées par ces gens ne sont ni professionnelles, ni crédibles. Les chiffrages qu’ils mettent en avant sont farfelus et les concepts qu’ils avancent sont largement chimériques, avec notamment 11 «sauts de mouton» (des ouvrages gigantesques rendus nécessaires pour permettre le croisement des voies) à construire dans le centre-ville de Genève!

Utopie

Ces personnes, qui ne représentent que leur propre avis, font totalement fi des règles qui régissent les développements ferroviaires au sein de la Confédération (avec notamment le programme PRODES, approuvé par le Parlement fédéral). Ils n’hésitent pas à avancer des éléments de planning totalement utopiques.
Malgré les nombreuses réponses officielles de l’OFT et des CFF, les promoteurs de cette boucle continuent de diffuser des propos fallacieux sur les réseaux sociaux au sujet de la solution officiellement approuvée par le Conseil fédéral. Par exemple, il est fait référence à un budget de 4 milliards de francs, alors que le chiffrage officiel de la gare souterraine est d’environ 1,7 milliard, couvert en grande partie par un subventionnement fédéral. Affirmer en outre que la variante officielle impliquerait le doublement de la gare de l’aéroport relève de la pure invention.
Enfin, je trouve intellectuellement malhonnête de se servir désormais de l’incident de Tolochenaz pour à nouveau promouvoir la solution de la «boucle», alors que celle-ci serait raccordée à la voie ferroviaire Lausanne – Genève avant Versoix et que la réponse aux lacunes de cette liaison ferroviaire suppose la réalisation d’une voie supplémentaire entre les deux grandes villes lémaniques.
Cette nouvelle voie, qui n’a donc strictement rien à voir avec la «boucle», c’est la solution pour assurer durablement une offre fiable et de qualité. Les cantons de Vaud et de Genève, soutenus par les autres cantons romands, la défendent avec toute leur énergie auprès de la Confédération.
En tant que magistrat chargé des infrastructures, ma tâche est de mener à bien des projets réalistes dans des délais cohérents et dans un cadre de financement assuré auprès de la Confédération.
En tant qu’ingénieur civil de formation, je suis convaincu que la bonne réponse est bel et bien de poursuivre jusqu’à son terme le projet d’extension souterraine de la gare de Cornavin, qui permettra à l’horizon 2030 une nouvelle étape de développement ferroviaire en offrant 11 fois par heure des liaisons entre Genève et le reste de la Suisse.
En matière de mobilité, et à l’heure de l’urgence climatique, le développement du rail est une priorité absolue pour le gouvernement de notre canton. Nous nous y employons avec méthode, sérieux et conviction.

 

Serge Dal Busco
président du Conseil d’Etat, chargé du
Département des infrastructures