/

droit public - Vaud: remous autour de l’application du droit de préemption

Un avis de droit mandaté par l’USPI Vaud et l’ADIV fait la lumière dans des pratiques parfois troubles

7 Juin 2023 | Articles de Une

Quatre procédures juridiques sont en cours autour de la préemption par la commune de Prilly/ VD d’un terrain de 20 000 m2 au profit de la Société coopérative d’habitation de Lausanne. Pour la gauche, majoritaire à Prilly, comme pour la droite et les profesionnels de l’immobilier qui contestent cette décision, ce cas est un test de l’application du droit de préemption inscrit dans la loi cantonale sur la préservation et la promotion du parc locatif (LPPPL). Afin de disposer d’une base de discussion dépassionnée, l’Association des développeurs immobiliers vaudois (ADIV) et l’Union suisse des professionnels de l’immobilier Vaud (USPI Vaud) ont mandaté le professeur Jean-Baptiste Zufferey, de l’Université de Fribourg, pour la rédaction d’un avis de droit quant à l’étendue des possibilités que la LPPPL donne aux communes. Le Journal de l’immobilier en a obtenu la primeur.

Telle une série à succès sur une plateforme de vidéo à la demande, le feuilleton du droit de préemption dans le canton de Vaud connaît de nouveaux rebondissements, qui ne seront pas les derniers. Après qu’en septembre 2022, le Conseil communal (législatif) de Prilly votait la préemption d’un terrain de 20 000 m2 au profit de la Société coopérative d’habitation de Lausanne (SCHL), choisie sans appel d’offres. Les élus communaux PLR, UDC, Vert’libéraux et du Centre avaient recouru devant le Conseil d’Etat au motif que la loi sur la préservation et la promotion du parc locatif (LPPPL) n’autorisait pas les communes à céder leur droit de préemption sans adjudication publique.
Le 5 avril dernier, le Gouvernement vaudois annulait le vote prilliéran. Les recourants auraient cependant tort de déjà sortir le champagne: le Conseil d’Etat n’aborde pas le fond du débat sur l’étendue du droit de préemption, mais s’appuie sur des motifs formels. Le Gouvernement conclut que le nombre d’élus présents au Conseil communal de Prilly lors du vote était insuffisant au regard des règles sur le quorum fixées par la Loi sur les communes.
Nouvelle péripétie le 8 mai: la Municipalité de Prilly annonçait recourir au Tribunal fédéral et à la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal contre la décision du Conseil d’Etat. Ce dernier «s’immisce dans le mandat constitutionnel donné aux communes de mettre en œuvre une politique en faveur de la construction de logements accessibles (…) et bloque l’exercice du droit de préemption», estime la Municipalité dans un communiqué. Par ailleurs, l’autorité cantonale ne reconnaît pas aux partis politiques la qualité pour recourir, mais a néanmoins pris en considération le recours des élus prilliérans de droite, et aurait démontré ainsi une forme de partialité.

Avec la LPPPL, les communes peuvent depuis 2020 préempter des biens, pour autant que le taux de logements vacants à l’échelle du district soit inférieur à 1,50%.

Un avis dépassionné

Qu’en est-il vraiment de l’étendue du droit de préemption tel qu’inscrit dans la loi vaudoise? Comment ce droit s’articule-t-il avec le droit fédéral et avec la garantie du droit de propriété? L’incessibilité du droit de préemption, prévue par le droit fédéral, s’applique-t-elle aussi à la préemption par des entités publiques ou d’utilité publique?
L’Association des développeurs immobiliers vaudois (ADIV) et l’Union suisse des professionnels de l’immobilier Vaud (USPI Vaud) ont posé ces questions hors tout contexte polémique à Jean-Baptiste Zufferey, professeur de droit public économique et financier à l’Université de Fribourg, qu’elles ont mandaté pour la rédaction d’un avis de droit sur l’exercice du droit de préemption accordé aux communes par la LPPPL.
Cette étude examine notamment la question de la conformité du droit de préemption avec le droit fédéral et la légalité du transfert d’un bien préempté sans préalablement en acquitter le prix. Autrement dit, les communes peuvent-elles préempter pour le compte de tiers, fussent-ils d’utilité publique?
A la première question, le professeur Zufferey répond que le droit fédéral autorise les cantons à fixer un régime de cessibilité plus souple pour des motifs d’intérêt public. Pour la seconde question, la réponse est claire: la LPPPL autorise uniquement les communes à céder à l’Etat un objet préempté. L’auteur rappelle que lors de l’élaboration de la
LPPPL, la possibilité d’une cession en faveur de la Société vaudoise pour le logement, qui est détenue à 55% par le Canton et à 45% par la Banque cantonale, avait été explicitement écartée. Par ailleurs. La cession doit être annoncée aux parties, c’est-à-dire également au vendeur, lequel peut alors estimer que les conditions de la préemption ne sont plus remplies et refuser la vente ou la contester par voie juridique.
Cela est le cas à Prilly, où les trois acheteurs écartés par la commune et le vendeur du terrain ont chacun déposé un recours auprès de la Cour vaudoise de droit administratif public. Il ne devrait pas y avoir de jugement avant la fin de l’année.

Adjudication publique
indispensable

Toute action communale qui sortirait de ce cadre violerait le droit fédéral sur la question de l’incessibilité du droit de préemption, estime le professeur Zufferey. Par ailleurs, si l’Etat, sollicité par une commune, refusait la cession du droit de préemption qui lui est proposée, toute cession à une autre entité devrait faire l’objet d’une adjudication publique. Enfin, un acquéreur évincé au profit d’une commune qui exercerait son droit de préemption aurait droit à une indemnité pour les frais engagés dans le développement d’un projet sur le terrain qu’il convoitait.
«Cet avis confirme que le vote de Prilly ne respecte par la LPPPL et détourne le droit de préemption de son but, qui est la construction de LUP (logements d’utilité publique)», souligne Frédéric Dovat, secrétaire général de l’USPI Vaud et de l’ADIV. «Il est en effet choquant que la commune transfère le droit de préemption sans appel d’offres». La LPPPL contient des instruments plus rapides, plus efficaces et n’attentant pas ou moins au droit de propriété pour créer des logements répondant aux besoins de la population, ajoute Frédéric Dovat. Il mentionne notamment les bonus de construction ou la fixation de quotas. En outre, les partenariats publics-privés sont à privilégier, car ils aboutissent rapidement à la construction de logement, et sont sans risque financier pour la collectivité publique.
«Les conclusions de cet avis de droit confortent les critiques émises au sujet de l’application actuelle du droit de préemption», commente Olivier Feller, directeur de la Chambre vaudoise immobilière et Conseiller national. L’absence d’adjudication publique dans le cas de Prilly est clairement une entorse à la loi. Par ailleurs, relève-t-il, l’article 35 de la LPPPL privilégie la cession en droit de superficie par les communes des objets préemptés. Dans le cas de Prilly, le terrain aurait été vendu à la SCHL. Cela n’est pas interdit, mais ne peut intervenir que dans des circonstances exceptionnelles qui restent à définir».

Jurisprudence attendue

Avec la LPPPL, les communes peuvent depuis 2020 préempter des biens, pour autant que le taux de logements vacants à l’échelle du district soit inférieur à 1,50%, selon une liste publiée annuellement par le Canton. La finalité de la préemption doit être la réalisation de LUP, tels que définis par l’article 27 de la loi: logements pour personnes âgées ou étudiants, ou logements à loyer abordable ou logements bénéficiant d’une aide à la pierre.
A noter que le transfert par une commune à la SCHL d’un terrain préempté n’est pas une première dans ce canton, où la décision de la Cour administrative aura valeur de jurisprudence.

 

Cesare Accardi