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Marché de l’électricité

Transition énergétique et sécurité de l’approvisionnement

10 Mai 2023 | Articles de Une

Le cabinet Colombus Consulting publie la 7e édition de son étude annuelle consacrée à la santé financière des énergéticiens et aux tendances en matière de production d’électricité. Les pays européens baissent leur consommation d’électricité, tout en continuant à favoriser l’installation de nouvelles capacités de production d’énergies renouvelables afin de réduire leur dépendance aux importations et de limiter les tensions sur l’approvisionnement. Comment se comporte le marché suisse de l’électricité face au reste de l’Europe?

En 2020, 58% des ressources énergétiques européennes étaient importées, dont 24% de gaz, en majorité russe, utilisé pour alimenter en partie les centrales électriques. Ainsi, la coupure progressive des importations en provenance de Russie a accentué encore l’augmentation du prix de l’électricité et fait craindre une pénurie. En conséquence, plusieurs pays comme l’Allemagne ou la France ont eu recours au charbon cet hiver, malgré leurs perspectives de sortie de cette énergie.

La Confédération lance diverses initiatives pour faire face aux difficultés en matière d’énergie

Que ce soit l’Initiative nationale «économie d’énergie hiver», la création d’un état-major de crise en cas de pénurie d’énergie ou la préparation à la possible activation du Plan dit «Ostral», la Confédération se dit prête à faire face à une situation de crise grave. Ces plans visent à réaliser des économies d’énergie, produire une énergie propre et diversifier les ressources d’approvisionnement pour limiter la dépendance aux importations et à l’utilisation d’énergies fossiles.
La Suisse enregistre une impressionnante baisse de la consommation d’électricité par rapport à la période avant la crise sanitaire, avec -1,9% entre 2021 et 2022 et même -2,9% entre décembre 2021 et décembre 2022. Cette diminution s’explique par plusieurs facteurs: des actions de sobriété énergétique sont engagées par les particuliers et les entreprises; la hausse du coût de l’énergie menace la demande et impose à certaines industries de réduire voire d’interrompre leurs activités; les températures clémentes au début de l’hiver 2022.

Les producteurs d’électricité continuent leurs investissements dans les énergies renouvelables

Le contexte économique, géopolitique et réglementaire favorise l’installation de nouvelles capacités de production d’énergies renouvelables. L’Europe (UE + UK + Suisse) a vu, entre 2020 et 2021, une baisse des capacités de production thermiques installées (-1%) au profit d’une hausse importante des capacités liées à l’installation de nouveaux moyens de production renouvelables et hydroélectriques (+12%). La filière nucléaire continue sa décroissance avec une baisse de 2% de sa capacité installée. En 2022, les pays de l’Union européenne ont augmenté leurs capacités installées pour continuer leur transition vers des énergies renouvelables.
Pour l’Union européenne, le déploiement des énergies renouvelables devrait s’accélérer: le Conseil de l’Union européenne a adopté un cadre temporaire permettant de faciliter l’installation de moyens de production pour les énergies ayant le plus grand potentiel de déploiement rapide et le moins d’incidence sur l’environnement. De cette façon, l’installation de moyens de production d’énergie solaire sera facilitée, ainsi que l’augmentation de la capacité de production d’installations existantes.

Evolution de la consommation d’électricité et des capacités de production en Europe – (UE, UK et Suisse).
Evolution de la capacité installée en Europe en 2020 et 2021 (données Entso-E 2021).
Variation du chiffre d’affaires (CA) et EBITDA entre le premier et le second semestre 2022.

Spectaculaire croissance du chiffre d’affaires des énergéticiens

Le chiffre d’affaires cumulé des énergéticiens a augmenté de 88% entre 2021 et 2022. Ce constat concerne la totalité des énergéticiens, même si la croissance cache de fortes disparités. Cette augmentation est presque dix fois supérieure à celle constatée entre 2020 et 2021. En revanche, la rentabilité ne suit pas la même tendance. En effet, l’EBITDA (Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation and Amortization) cumulé des énergéticiens a chuté de 11% au premier semestre 2022.
La très forte volatilité des prix de l’électricité observée ces dernières années ne bénéficie ni au consommateur ni au producteur. La stabilisation du marché est une équation complexe et plusieurs stratégies ont été envisagées par les Etats membres pour atténuer les effets de la hausse brutale des prix: plafonner le prix du gaz, financer des boucliers tarifaires non ciblés et/ou des dispositifs tarifaires ciblés, opter pour le système de l’acheteur unique, et enfin taxer les superprofits.

Assurer un système énergétique suisse durable

La sécurité d’approvisionnement suisse passe par l’articulation réussie du déploiement des modes de production décarbonés. Il s’agit par conséquent de faciliter les procédures pour atteindre les objectifs du renouvelable. Le rythme actuel de développement du photovoltaïque et de l’éolien en particulier n’est pas suffisant au regard des ambitions 2050. Les besoins en électricité, dus au remplacement des énergies fossiles dans les transports et la production de chaleur, augmenteront d’au moins 25% (Avenir Energétique 2050). Plus de 13 000 nouvelles installations photovoltaïques ont été installées entre 2021 et 2022: elles représentent près de 270 MW en plus, soit une augmentation de 8% des capacités solaires installées. La production photovoltaïque couvre à présent 6,3% des besoins suisses.
De son côté, le développement de l’éolien est au ralenti, puisque, entre 2021 et 2022, aucune nouvelle installation n’a été mise en production. Le pays dispose depuis 2020 de 88 MW de capacité répartis sur six installations. Certains projets initiés il y a vingt ans restent en attente d’approbation fédérale ou cantonale. L’enjeu est de taille, car cela correspond, en cumulé, à une production annuelle estimée de 493 GWh, en plus des 1,2 TWh en début de procédure ou planification. La géothermie a également un rôle à jouer. Elle pourrait produire 2 TWh d’électricité par an en 2050, mais la prospection de sites appropriés demande du temps.

Production annuelle d’électricité en Suisse en GWh.

Augmenter les capacités de production pour anticiper l’avenir

Aujourd’hui, 4/5es de l’énergie primaire consommée en Suisse est importée. L’électrification des usages (transports, production de chaleur) offre l’opportunité de gagner en souveraineté énergétique en substituant une partie de ces importations par de la production électrique indigène (hydraulique, photovoltaïque…). L’augmentation des capacités de production électrique devient dès lors indispensable pour répondre à cet enjeu. Si les énergies renouvelables permettent d’obtenir une électricité bas carbone et peu chère, leur intermittence reste un frein majeur pour garantir une production sûre.
Elles doivent donc être couplées à des moyens de production alternatifs qui soient pilotables, c’est-à-dire activables à la demande pour compenser les périodes de faible production du renouvelable. Pour cela, et dans le but de limiter les risques de pénuries sur les hivers prochains, le Conseil fédéral a approuvé en janvier 2023 la mise en vigueur d’une Ordonnance établissant des centrales de réserve. La première centrale, à gaz et construite en un temps record, devrait voir le jour au premier semestre 2023 dans le canton d’Argovie. Elle équivaut au quart de la puissance de la centrale nucléaire de Leibstadt, soit 250 MW. Il n’est toutefois ni certain que cela permette d’augmenter la souveraineté énergétique de la Suisse, puisqu’il faudra encore s’approvisionner en gaz à l’étranger, ni que cela réponde convenablement aux enjeux écologiques.

 

Carla Angyal

GROS PLAN

Samy Belaïba, consultant Energie chez Colombus Consulting, répond à nos questions

 

– En quoi consiste le projet de réforme de l’énergie accepté en mars dernier par le Conseil national?
– Ce projet de réforme vise à faciliter la construction de centrales hydrauliques, solaires ou éoliennes, via des mesures telles que la limitation des recours en justice, des contributions aux investissements, une prime sur la rétribution ou encore des obligations à installer du photovoltaïque sur les bâtiments et parkings.

 

– Cela suffira-t-il à répondre aux objectifs fédéraux fixés à l’horizon 2050?
– Un sentiment d’urgence ressort de ces mesures. Les difficultés d’approvisionnement hivernal et la fin programmée du nucléaire en Suisse nous obligent à implémenter rapidement de nouvelles capacités de production. Pour atteindre les objectifs, il faudrait cependant dix fois plus de solaire et vingt fois plus d’éolien.

 

– Ce nouvel élan permettra-t-il d’augmenter la rentabilité des énergéticiens?
– Oui, deux facteurs l’expliquent: la mise en place de subventions aux investissements sur ce type de projet et une prime d’injection sur le réseau de 2,3 centimes/KWh. Cette augmentation tarifaire sera couverte par les consommateurs.

 

– Selon vous, quels sont les principaux blocages – dans les mentalités et la culture suisses – au déploiement des modes de production décarbonés?
– En Suisse, nous sommes très attachés à la préservation du paysage et beaucoup estiment qu’un champ éolien ou un parc solaire vont altérer celui-ci. Les initiatives s’organisent pour lutter contre ces projets et les ralentissent considérablement. Le projet de réforme vise à limiter ces initiatives.