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tribune libre

Suppression des taxis à Genève?

18 Sep 2024 | Articles de Une

CONSEIL D’ETAT DE LA REPUBLIQUE ET CANTON DE GENEVE
2, rue de l’Hôtel-de-Ville 1
211 Genève 3

Genève, le 13 septembre 2024

 

LETTRE OUVERTE

Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs les Conseillères et Conseillers d’Etat,

Nous devons dénoncer publiquement l’attitude du Département dirigé par Mme Delphine Bachmann et celle de ses services, car votre gouvernement doit savoir, comme la population genevoise, que la profession du taxi à Genève est en train de mourir à petit feu.
La faute à l’inaction de l’Etat et le refus de Mme Bachmann de tout dialogue et de toute action. La faute à la complicité des autorités dans le dossier Uber.
La concurrence déloyale à laquelle nous faisons face de la part des VTC et d’Uber B.V. et la tolérance des autorités à fermer les yeux sur les activités illégales de ceux-ci poussent notre secteur au bord du gouffre.

Suppression des taxis à Genève: un objectif inavoué?

L’un des actuels Conseillers d’Etat, M. Antonio Hodgers, avait déclaré publiquement sur les ondes de la radio en janvier 2015, peu après l’arrivée d’Uber à Genève, qu’Uber faisait du bien, car cela donnait «un coup de pied dans la fourmilière» des taxis. Nous avons bien compris que ce Conseiller d’Etat partageait un avis assez répandu dans la population que les taxis ne sont pas toujours ni bons ni sympathiques.
Mais si ce n’était qu’un coup de pied, nous l’aurions peut-être surmonté et aurions accepté notre médiocrité. Mais après plusieurs coups, disons-le clairement: si les fourmis résistent et ne sont pas si mauvaises qu’on voudrait parfois le dire, elles commencent à manquer de pattes pour se relever. Est-ce que vous voulez vraiment nous écraser complètement pour laisser la place aux VTC et à Uber? Si c’est cela votre stratégie, merci de nous le dire sans détour!
Votre éclaircissement évitera que nous tentions en vain de comprendre pourquoi le Département de Mme Bachmann fait tout pour favoriser Uber B.V. qui travaille à Genève en totale illégalité, et pour permettre la ruée d’un nombre invraisemblable de VTC dans les rues de Genève.

Le chaos généralisé entre taxis et VTC

La cohabitation entre les taxis officiels et les VTC est devenue intenable. Les VTC immatriculés VD, VS ou FR viennent travailler à Genève en nombre, sans vergogne. De plus, les VTC envahissent les stations de taxis et les voies de bus qui leur sont pourtant interdites, et ils prennent aussi des clients sans réservation préalable, en toute illégalité, tant à l’aéroport qu’au sortir des cafés-restaurants et boites de nuit, comme s’ils étaient dans un supermarché du transport. Cette situation, qui devait être surveillée et régulée, a totalement échappé au contrôle des autorités. L’aéroport international de Genève est devenu une jungle où VTC et taxis étrangers affluent sans aucune régulation ni contrôle, les propositions que nous avons faites de contrôler les prises en charge par un bon de commande étant systématiquement refusées.
Vous a-t-il échappé que pour que les taxis officiels puissent fonctionner, il est nécessaire que chacun reste à sa place? Le taxi est à disposition du public sur la voie publique et sur appel pour toutes demandes immédiates. Le chauffeur VTC ne peut travailler que sur la base d’une commande préalable, sans pouvoir prendre de clients à la volée.

Des taxis traqués, des VTC en toute impunité

Pendant que nous devons composer avec des contrôles de plus en plus stricts, visant chaque détail de notre activité, les VTC circulent librement, souvent en toute impunité. Combien de fois avons-nous signalé des infractions aux autorités? Voies de bus utilisées illégalement, stationnement sauvage sur nos stations de taxis, prise en charge de clients sans réservation préalable… Tout cela sous les yeux des autorités, sans aucune réaction. Ces pratiques sont non seulement illégales, mais elles sapent directement notre capacité à travailler dignement.
Comment expliquer que la police ne fait rien de sérieux pour arrêter la horde de VTC venant de toutes parts et souvent sans autorisation? Pour empêcher que ces VTC roulent sur les voies de bus et prennent des clients en faisant de la maraude?
La Police du commerce a lancé la semaine dernière des contrôles de police que nous espérions être une première! Ces contrôles, dirigés avant tout contre les chauffeurs de taxis n’ont qu’alimenté un sentiment d’injustice croissant. Nous doutons fortement que ces contrôles aient été efficaces à l’égard des VTC et nous n’avons vu aucune preuve concrète montrant que des mesures réelles ont été prises contre ceux qui enfreignent quotidiennement la loi. Peut-être que ces contrôles se sont égarés en chemin, à l’instar des chauffeurs Uber?

Chauffeurs de taxi trop vieux pour conduire mais parfaits pour Uber!

Beaucoup de nos collègues ont perdu leur concession pour des délais administratifs ou de simples erreurs de circulation. Et pour ceux qui ont atteint 75 ans, la sanction est sans appel: trop vieux pour continuer. Mais alors, que leur propose-t-on? De continuer à travailler comme chauffeurs pour Uber B.V.! Il faut avouer que c’est un joli paradoxe: trop âgé pour être taxi mais parfaitement apte pour Uber. On marche sur la tête, mais à force, on s’y habitue presque…

Uber B.V.: Un acteur illégal toléré par les autorités genevoises

Depuis des années, nous assistons à un spectacle ahurissant de tolérance à l’égard d’Uber B.V.: cette entreprise dont le siège est aux Pays-Bas, continue à exploiter des chauffeurs à Genève malgré une législation très claire stipulant que seules les sociétés ayant leur siège en Suisse sont autorisées à travailler sur notre territoire. Nous avions cru, à un moment, que les choses allaient s’améliorer. Après tout, l’arrêt du Tribunal Fédéral en mai 2022 laissait espérer qu’Uber B.V. serait enfin contrainte de respecter les règles. Mais rien n’a changé. Pire encore, la filiale suisse d’Uber, Uber Switzerland GmbH, qui a reçu des autorisations d’exploiter, ne joue qu’un rôle de façade. La véritable activité se déroule toujours sous la houlette d’Uber B.V., en violation directe de la loi. Comment se fait-il que les autorités ferment les yeux sur cette situation? Le problème est d’autant plus grave qu’Uber B.V. n’a pas rattrapé le paiement des cotisations sociales arriérées pour les années antérieures, cotisations qui auraient dû être régularisées avant que la société puisse continuer à envoyer des courses à ses chauffeurs. Non seulement cette situation aurait dû bloquer son activité, mais Uber B.V. continue d’exploiter ses chauffeurs sans régulariser ces dettes. Pire encore, le système mis en place par Uber B.V. maintient une exploitation honteuse de ses chauffeurs, qui affluent dans la riche Genève, souvent de l’étranger, et qui ne sont pas payés en respect du salaire minimal cantonal.
Ce dumping social permet à Uber B.V. de proposer des tarifs anormalement bas pour ses courses, ce qui fausse complètement la concurrence et précarise également les chauffeurs de taxi.

Des sociétés-écrans pour échapper aux obligations sociales et fiscales

Pour contourner les régulations, Uber et d’autres entreprises du secteur ont mis en place des schémas de sociétés-écrans, transformant des chauffeurs en pseudo-indépendants via des petites sociétés à responsabilité limitée (Sàrl). Ces structures permettent à Uber d’échapper à ses obligations d’employeur et à ses obligations sociales et fiscales, tout en maintenant les chauffeurs dans une précarité extrême. De plus, ces chauffeurs, devenus faussement «indépendants», perdent toute protection sociale, et sont rémunérés bien en dessous des salaires minima.
Ces sociétés écrans permettent aussi à Uber et à ses partenaires d’échapper au paiement de la TVA, ce qui représentent des centaines de milliers de francs.

Les conséquences sociales: les genevois passent
à la caisse

La concurrence déloyale d’Uber B.V. et des VTC précarise l’ensemble du secteur. Les chauffeurs VTC, sous-payés et exploités, sont souvent contraints de se tourner vers les aides sociales pour survivre. Cela signifie que le contribuable genevois paie, en réalité, pour soutenir indirectement Uber B.V., une entreprise qui fait fi des lois et des règles fiscales et sociales suisses. C’est une situation non seulement injuste pour les chauffeurs de taxi, mais aussi pour l’ensemble des citoyens genevois.
Les citoyens genevois ont-ils conscience qu’en prenant une course Uber au rabais, ils paient en plus de leur poche, par leurs impôts et leurs propres cotisations sociales, l’AVS du chauffeur qui n’est pas payée, son chômage, et les aides pour payer son logement et son assurance-maladie?

Uber interdite ou limitée à l’étranger

Votre Conseil d’Etat a-t-il pris conscience que dans de nombreux pays, régions ou villes de l’étranger, des actions ont été entreprises par les autorités pour empêcher de telles pratiques. Quelques exemples, non-exhaustifs:
Londres, Royaume-Uni: en 2017, Transport for London (TfL) a refusé de renouveler la licence d’Uber, mais après des batailles juridiques, la société a finalement récupéré une licence en 2020 sous des conditions strictes, avec des régulations renforcées sur la sécurité et les pratiques d’emploi.
Barcelone, Espagne: en 2019, la ville a introduit une réglementation obligeant les VTC, comme Uber, à attendre au moins 15 minutes avant de prendre un passager après la réservation. Face à cette règle, Uber a suspendu son service dans la ville.
Bruxelles, Belgique: Uber a été interdit à plusieurs reprises à Bruxelles, notamment en 2015, en raison de la législation locale interdisant les services de VTC non professionnels. En 2021, la Cour d’appel de Bruxelles a décidé que le service de VTC devait cesser dans la capitale belge.
Italie: Uber a rencontré des obstacles dans certaines villes italiennes, notamment en raison de la pression des associations de taxis. Par exemple, à Rome et Milan, des interdictions ont été imposées.
Danemark: en 2017, Uber a quitté le pays après l’introduction de lois exigeant que les véhicules de VTC soient équipés de taximètres physiques et de sièges détecteurs de passagers, ce que la société considérait comme incompatible avec son modèle d’affaires.
Hongrie: en 2016, Uber a été contraint de cesser ses activités après que le Parlement hongrois a voté une loi permettant de bloquer l’accès à des services internet non conformes à la législation locale sur les taxis.
Bulgarie: Uber a été interdit en 2015 après qu’un tribunal bulgare a estimé que ses services violaient les règles sur le transport de passagers.
Allemagne: Uber a fait face à des interdictions dans plusieurs villes allemandes, notamment à Berlin et Hambourg, en raison de violations de la réglementation des taxis.
Genève, siège de nombreuses conventions internationales et mère-patrie des droits de l’homme est-elle si faible et incapable de résister aux avancées de cette multinationale qui n’a aucun respect des travailleurs, mais cherche à maximaliser ses bénéfices?

Le couvercle sur une marmite qui bout

Les Tribunaux refusent que les chauffeurs de taxi s’immiscent dans les procédures d’autorisation et les recours des taxis contre les pseudo-autorisations d’Uber ont été refusés car les taxis n’auraient pas la «qualité pour recourir». Les services de l’Etat gardent de leur côté leurs dossiers bien secrets, en refusant de donner toutes explications quant à leur manière de gérer les dossiers, notamment celui d’Uber.
Les chauffeurs de taxis, pourtant au premier chef concernés, sont ainsi tenus à l’écart de toutes les procédures. Alors même que la marmite bout, les autorités maintiennent fermement sur elle le couvercle et cachent leurs actes.
Est-ce là votre vision d’une société transparente et respectueuse d’une profession? Faut-il attendre que la pression dans la marmite soit si forte qu’elle éjecte le couvercle?

Dialogue avec les autorités: est-ce trop
demander?

La Conseillère d’État Bachmann, qui serait la mieux placée pour initier un dialogue et apporter des solutions, se refuse à toute rencontre avec les représentants des taxis et leurs avocats. Doit-on comprendre qu’elle préfère éviter les discussions inconfortables? Son seul credo est celui de possibles rencontres au sein d’une Commission où sont également représentés les VTC et Uber! Autant dire un lieu où il est impossible d’avoir un quelconque dialogue. Cette absence de communication alimente notre frustration et renforce l’impression que nous sommes laissés pour compte.
Du côté de l’Office Cantonal de l’Inspection et des Relations du Travail (OCIRT), sa directrice Mme Stoll, que nous avons récemment sollicitée, ne fournit aucune réponse utile à nos nombreuses récriminations. Sa dernière réponse reste vague, vide de tout contenu, et ne permet en aucun cas d’avancer vers une solution. Et pourtant, c’est son Office qui devrait veiller à ce que les chauffeurs VTC et Uber perçoivent un véritable salaire au montant minimal fixé par la loi. Que fait-elle? Il en va de même pour M. Stacchetti, directeur de la Police du commerce, dont les interventions se limitent à chercher des poux aux taxis et à leur retirer leurs concessions pour des broutilles, alors qu’il laisse les VTC travailler en toute illégalité.
Comment pouvons-nous espérer une amélioration de la situation de notre profession lorsque ceux qui sont censés la réguler refusent de collaborer avec nous?

Un appel à l’action: avant que les taxis ne posent les plaques

Il est temps d’agir. Ce n’est plus une simple demande de notre part, c’est un appel désespéré à l’action. La situation ne peut plus durer ainsi sans que des conséquences graves n’en découlent. Nous vous demandons de faire respecter les lois, de mettre fin à cette concurrence déloyale, et de protéger les chauffeurs de taxi qui, eux, respectent les règles du jeu.
Nous avons épuisé toutes les voies possibles de tentative de dialogue. Nous avons été patients, mais cette patience a ses limites. Si vous ne prenez pas de mesures immédiates pour rétablir l’ordre dans ce secteur, nous ne pourrons plus contenir la frustration des chauffeurs. Le chaos est à nos portes, et vous en porterez l’entière responsabilité.
Peut-être pourrez-vous aussi ouvertement répondre à la question posée en début de ce pli: avez-vous délibérément choisi de supprimer les taxis genevois au profit de géants technologiques qui n’ont aucune attache ici, et dont l’unique intérêt est de maximiser leurs profits au détriment des travailleurs locaux? Si tel est le cas, dites-le clairement, car il est inutile que les chauffeurs de taxis tardent à poser leurs plaques.
Nous sollicitons par ailleurs qu’une délégation du Conseil d’Etat reçoive des représentants de notre Fédération et ses avocats, ce qui sera le signe d’une volonté de rétablir le dialogue.

Nous vous prions d’agréer, Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs les Conseillères et Conseillers d’Etat, l’expression de nos sentiments respectueux.

Fédération Genevoise des Taxis Officiels

Fédération genevoise des taxis officiels.

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