De pierre et de terre, le Ksar d’Assa réhabilité dans le Maroc présaharien.

/

architecture - Construction vernaculaire

Salima Naji, la sobriété heureuse

29 Nov 2023 | Articles de Une

Invitée par la Fondation Pavillon Sicli à Genève, l’architecte et anthropologue marocaine Salima Naji s’engage de longue date dans des projets de protection du patrimoine oasien. Son combat pour la reconnaissance d’une architecture vernaculaire qui réinvestit les matériaux premiers et biosourcés prend un sens particulier à l’heure de la reconstruction après le séisme qui a secoué le Maroc en septembre dernier.

Une architecture conçue en adéquation avec son territoire ainsi qu’avec ses habitants, des biens construits ou reconstruits avec des matériaux locaux, selon des techniques anciennes à redécouvrir et à adapter: tels sont les fondements de l’alternative au tout-béton standardisé décrié par la bâtisseuse. «Bien construire et reconstruire, dit-elle en évoquant le récent séisme qui a meurtri le Maroc, c’est ouvrir un vrai horizon de dignité et non proposer des modèles inadaptés. Les demeures de montagnes du Haut-Atlas doivent faire face aux extrêmes climatiques. Il fait très chaud l’été et très froid l’hiver; le béton rend les maisons invivables, tandis que celles en pisé sont ventilées naturellement. Aujourd’hui, penser que la terre est moins performante que le béton n’est pas crédible. Nous avons la chance d’avoir une architecture millénaire capable de résister à des techniques importées et mal maîtrisées».
Salima Naji relève par ailleurs que beaucoup de constructions modernes ou récentes en béton n’avaient pas tenu le choc. A contrario, en dirigeant l’opération de restauration de la forteresse d’Agadir, elle a pu observer que les remparts avaient très bien résisté au tremblement de terre de 1960. «Evitons la perte de mémoire! Grâce à des techniques de construction parasismique ancestrales, des bâtiments, de par le monde, traversent les siècles».

La tradition réinventée

Née à Rabat d’une mère française et d’un père marocain, l’architecte et anthropologue évoque son engagement aussi architectural que social, qu’elle articule depuis 2004 entre la restauration du patrimoine collectif, tels des villages fortifiés et des greniers communautaires, et l’écoconstruction. Installée dans la médina de Tiznit, cité de terre crue, elle a conçu à ce jour une trentaine de bâtiments bioclimatiques dans le Sud marocain. Pisé, pierre, chaux, bois de palmier, elle refuse de tourner le dos à ces matériaux locaux, étroitement liés à des méthodes traditionnelles et à des savoir-faire qu’elle tient à sauver et à revaloriser.
Ils sont, rappelle-t-elle, le produit de plusieurs siècles d’innovations empiriques. On ne peut que s’incliner en découvrant les photos de l’ingénieux système constructif d’un grenier collectif qu’elle a réhabilité, où le blé, les dattes, l’huile et le miel profitaient d’un circuit d’air qui assurait en toutes saisons une atmosphère tempérée. «Le passé, dit-elle, est une source d’inspiration pour réfléchir à la durabilité des constructions contemporaines». Persévérante, elle livre des batailles, s’érige contre les préjugés qui font de l’argile le matériau destiné au pauvre, tient tête aux maîtres d’ouvrage jusqu’à les convaincre du bien-fondé de ses propositions sans voile de béton ni calepinage.
«Il faut du temps à la prise de conscience et au changement des mentalités, dit-elle, tout en rendant hommage aux architectes, de plus en plus nombreux, qui œuvrent en faveur d’une sobriété heureuse, tel le Burkinabé Francis Kéré, prix Pritzker 2022, qui privilégie les compétences et les matériaux locaux pour concevoir une architecture élégante, écologiquement responsable, ancrée dans son environnement et axée sur la participation communautaire.

 

Viviane Scaramiglia

GROS PLAN

La Fondation Pavillon Sicli

 

La conférence de Saima Naji a inauguré le cycle «Simplexité» 2023-2024. En octobre, la Fondation Pavillon Sicli – Architecture et Arts du Bâti – a pris officiellement la succession des associations Maison de l’Architecture de Genève et Pavillon Sicli dont elle est issue. Cette nouvelle structure entend développer une programmation exigeante de conférences, expositions et actions culturelles autour de la question du bâti.

 

www.pavillonsicli.ch