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rénovation - Rénovation exemplaire à Genève

«Rhône 4»: entre patrimoine et modernité

2 Oct 2024 | Articles de Une

Situé dans les Rues-Basses genevoises, l’immeuble au 4 rue du Rhône jouxte le célèbre passage des Lions et sa splendide verrière. Appartenant à un ensemble protégé du début du XXe siècle, cet édifice de standing a fait l’objet d’une rénovation complète, visant à la fois à valoriser sa dimension patrimoniale et à intégrer les nouvelles technologies. Un défi relevé en seize mois seulement grâce à la conjugaison des compétences du Comptoir Immobilier (CI Durabilité), des bureaux d’architectes Favre+Guth et PHD Concept, ainsi que des experts du Service cantonal des monuments et sites.

Une équipe soudée composée de Sabine Planchot (Service des Monuments et des sites), Stéphane Biagi (CI Durabilité, bureau d’architectes du Groupe Comptoir Immobilier),
Philippe Duc (PHD Concept) et Daniel Margari (Favre+Guth).

Construit en 1906-1907, l’immeuble de la rue du Rhône 4 est composé de six étages et d’un niveau de sous-sol, pour une surface d’environ 4000 m2 (dont 900 m2 de surfaces commerciales); jusqu’à récemment, il était occupé dans sa totalité par le célèbre magasin de chaussures Aeschbach, fondé à Genève en 1904. L’édifice représentait une prouesse technologique, puisque tous les planchers intérieurs ont été réalisés en béton armé, un produit pionnier pour l’époque. Cependant, au fil du temps, il a été passablement dénaturé par ses occupants (six interventions en tout).
Le projet (2021-2022) portait sur la transformation et l’aménagement intérieur du bâtiment pour accueillir le siège de la banque Reyl & Cie  SA, ainsi que des commerces. Il comprenait également la rénovation des façades, dans la continuité des modifications apportées aux bâtiments adjacents et du passage des Lions. Enfin, les travaux visaient à remettre l’édifice aux normes et à favoriser les énergies renouvelables.

L’obsolescence, une occasion
à saisir

Le chantier s’est ouvert en juillet 2021, en pleine pandémie, avec une livraison planifiée un an et demi plus tard: à cette échéance, cent trente collaborateurs de la banque privée – future locataire des lieux – devaient pouvoir travailler dans leurs bureaux et bénéficier de salons clients d’un standing élevé. Sous la houlette de Daniel Margari, le bureau Favre+Guth architecture SA a assuré la direction architecturale jusqu’à la dépose de l’autorisation de construire; PHD Concept, représenté par Philippe Duc, a conduit la direction des travaux. Pour les phases d’exécution, le propriétaire s’est fait accompagner d’un assistant à maîtrise d’ouvrage (AMO), soit CI Durabilité, une division du Comptoir Immobilier dirigée par Stéphane Biagi et ciblée sur la gestion des gros travaux de valorisation, tant au niveau de la transformation ou de la surélévation qu’à l’entretien lourd des immeubles, notamment historiques. A Rhône 4, ses architectes se sont chargés de la planification du chantier, du suivi des coûts et des délais. Enfin, le Service des monuments et des sites (SMS) de l’Etat de Genève – et plus particulièrement Sabine Planchot, architecte conservatrice – s’est largement investi durant toute l’opération.
Le projet consistait en la rénovation complète des façades de l’immeuble, permettant la conclusion de la campagne de travaux de rénovation entamée en 2011 sur les bâtiments adjacents, rue du Rhône 6-8, passage des Lions 6-8 et rue de la Confédération 3-5. Il s’agissait notamment de rétablir l’harmonie architecturale du socle jusqu’à l’intérieur du passage. Le projet a inclus la restitution des principaux éléments caractéristiques des façades, altérés ou disparus. «Avec cette opération, la dernière partie du passage des Lions – celle dont l’image ancienne était la plus détruite – a pu être rénovée», souligne Sabine Planchot, qui travaille sur ce site depuis une quinzaine d’années.
Les équipes ont dû faire face à des problèmes structurels majeurs. «En effet, à la fin du XIXe siècle, les notions structurelles étaient très différentes des nôtres, explique Philippe Duc. Les dalles existantes pouvaient supporter 100 kg/m2 sans aucune norme Incendie valable. Pour normaliser l’ouvrage (300 kg/m2), il fut nécessaire de déposer les parquets et plafonds existants, une intervention approuvée préalablement par le SMS». Afin de reprendre la statique du bâtiment, l’entreprise de maçonnerie a exécuté plus de 1500 percements dans les dalles, avant de coffrer, armer et bétonner. Ces travaux ont été entrepris par phase, étage par étage, exigeant une organisation minutieuse.

Les artisans ont apporté leur savoir-faire spécifique.

Remise à neuf du bâtiment

«Les façades en aluminium du rez-de-chaussée ont été démolies pour pouvoir disposer de nouveaux piliers (pilastres) en pierre pesant plusieurs tonnes chacun, indique l’architecte Daniel Margari. Il fallut également restituer les doubles devantures, composées de vastes fenêtres cintrées. Les façades en pierre ont été entièrement rafraîchies et tous les joints teintés reconstitués». En outre, la cage d’escalier monumentale intérieure, avec son décor, boiseries, moulures et terrazzo, a été restaurée avec soin. A noter que les sondages préliminaires ont permis de relever les typologies des appartements existant autrefois.
«Toutes les fenêtres historiques ont été rénovées à l’ancienne, avec l’intégration de doubles vitrages évitant toute déperdition thermique, indique la spécialiste du SMS. Les fenêtres de la montée d’escalier ont reçu, quant à elles, des vitrages spécifiques à l’ancienne. Les autres, sans intérêt historique, ont été remplacées». Il a également été nécessaire de scier ou démolir les contrecœurs de certaines fenêtres afin de pouvoir redonner accès aux balcons existants.
L’ensemble de la toiture a été déconstruite, consolidée, isolée et habillée en tuiles et en cuivre. Sa consolidation a permis d’installer les équipements de ventilation pesant plusieurs tonnes, ainsi qu’une superstructure accueillant quelque 80 m2 de panneaux photovoltaïques. Les brisis ont été entièrement rénovés, car leurs structures porteuses, ne permettaient pas l’intégration de grandes fenêtres de toit. Les éléments de ferblanterie ont été changés et adaptés au nouveau réseau d’eau pluviale.
«Initialement, la terrasse formait la toiture du 3e étage avec, en prime, un stockage anarchique de certains appareils de climatisation, propriétés de locataires riverains, relate Stéphane Biagi. Les architectes ont créé une belle terrasse végétalisée pouvant accueillir une centaine de personnes, collaborateurs et clients de la banque». Pour ce faire, il a été nécessaire de démolir la dalle existante et ses composants, de mettre en place une poutraison métallique et d’exécuter une nouvelle dalle pouvant recevoir les charges attendues, cela sans déconnecter les appareils de climatisation des chambres froides du restaurant mitoyen.

Intervenir dans un environnement délicat et répondre aux exigences énergétiques

L’étroitesse de la rue du Rhône fut un critère prédominant dans la gestion du chantier: les dimensions et le trafic de la rue du Rhône ne permettaient pas l’exécution de chantier en vis-à-vis. «Cependant, le chantier en face, Rhône 7, avait pris du retard, se souvient Philippe Duc. Une parade fut donc trouvée avec l’OCT et les TPG, qui comprirent l’enjeu et autorisèrent de mettre en place un tunnel piétonnier le long de la rue du Rhône, sur plus d’une vingtaine de mètres». Aucun commerce ou société environnant n’a dû cesser son activité pendant les travaux, ceci malgré la caisse de résonnance et l’entonnoir à poussière que représentaient le passage des Lions et sa verrière.
Pour la production de froid et chaud, la pose de panneaux solaires et le raccordement au réseau Genilac (station de pompage des eaux du lac) ont été effectués. La restauration des fenêtres existante fait également partie des améliorations énergétiques apportées.

Un esprit constructif, clef
du succès

Malgré les nombreux imprévus, les budgets alloués furent respectés et le bâtiment restauré dans les temps. «Chaque acteur a été un partenaire précieux, du manœuvre à l’ingénieur en passant par l’architecte, sans oublier les artisans (plâtriers, menuisiers, serruriers, tailleurs de pierre, etc.) qui ont apporté leur savoir-faire spécifique», souligne Stéphane Biagi. En tout, cent septante ouvriers ont œuvré avec professionnalisme et réactivité sur ce chantier colossal. Enfin, l’engagement du propriétaire fut déterminant pour le succès de l’opération.
Alors que dans bien des cas, les porteurs de projets se heurtent aux autorités, ce qui a comme conséquence de ralentir les travaux, il faut relever ici une collaboration fructueuse, notamment avec le SMS et la Police du feu. Philippe Duc conclut avec malice: «L’orchestration d’un chantier est nettement simplifiée quand vous êtes accompagnés de musiciens hors pair!».

 

Véronique Stein

Avant, pendant et après les travaux.

GROS PLAN

Une page d’histoire

 

La construction du passage des Lions, reliant la rue du Rhône à la rue de la Confédération, s’inscrit dans le cadre d’une vaste opération immobilière menée dès 1903 par le vicomte d’origine française Gabriel de Fontarce. Propriétaire d’une bonne partie de l’îlot, ce dernier confia le projet à l’architecte genevois Adrien Peyrot, qui releva le défi d’insérer un complexe immobilier et commercial au cœur d’un ensemble d’habitation datant du XVIIe siècle. Selon le modèle parisien, la création du passage des Lions avait pour but d’offrir des liaisons piétonnes rapides, tout en procurant le confort de se promener à l’abri des intempéries et à la lumière des becs de gaz. Ces passages furent aussi le lieu privilégié du commerce de luxe, exprimé par une architecture audacieuse, notamment dans le traitement du verre et du métal.
Le passage des Lions est venu remplacer une ancienne allée qui traversait la maison de Chapeaurouge, dont il reprend l’emblème armorié des lions surmontant les portes. Les deux paires de lions sculptés en forme de balcons encadrent les entrées. La galerie couverte, bordée de boutiques, dessine un coude; elle est éclairée par une verrière à deux pans, portée par des cintres de ferronnerie et surmontée d’une coupole à l’articulation. Lors de son ouverture en 1911, le passage totalisait 34 boutiques prestigieuses (extrait de l’étude historique sur le passage des Lions, réalisée par Babina Chaillot Calame et commandée par le DCTI, 2007).
Le passage des Lions est aujourd’hui inscrit à l’inventaire du patrimoine genevois et les immeubles qui l’entourent appartiennent à un ensemble protégé.

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