«L’agilité en entreprise s’applique essentiellement aux branches du tertiaire. Pour les autres, c’est plus compliqué, mais pas impossible» (Véronique Kämpfen).

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entreprises - Stratégie globale du changement

Réinventer le modèle entrepreneurial

1 Fév 2023 | Articles de Une

Depuis un certain temps déjà, l’agilité organisationnelle est un concept que nombre de dirigeants intègrent à leur structure. Ils sortent ainsi d’un cadre strict qui consiste à définir des actions exécutées de manière linéaire, pour s’ouvrir à un modèle évolutif valorisant les idées à tous les échelons de l’entreprise. Le point sur la question avec Véronique Kämpfen, directrice de la communication à la Fédération des entreprises romandes Genève (FER Genève), par ailleurs députée au Grand Conseil genevois et candidate aux prochaines élections.

– Un changement profond est en train de s’opérer dans la manière d’organiser les entreprises. De quoi s’agit-il?
– Même si on en parle beaucoup en ce moment, le concept d’agilité date des années 1990; il visait, dans un premier temps, le développement de logiciels informatiques. Cette idée s’est ensuite étendue à l’ensemble des processus d’une entreprise, pour devenir, dans les années 2000, une approche globale de management. L’agilité signifie la capacité à changer pour faire face aux évolutions du marché et aux turbulences. Il s’agit aussi d’une manière d’organiser son entreprise dans le but de mobiliser l’ensemble des parties prenantes. L’écoute des clients, des collaborateurs, des actionnaires et même des concurrents est devenue centrale, favorisant des notions de co-création et d’itération.
Plutôt que d’exécuter un planning de A à Z, sans dévier de leur trajectoire et en espérant que les projets soient profitables au bout du compte, les dirigeants déterminent le but à atteindre, insufflent une vision, puis progressent, avec leurs équipes, en avançant par scénarios, en testant, voire, si nécessaire, en reculant. Comme une valse à quatre temps! Travailler de manière transversale est également primordial. Le but de l’agilité est certes d’augmenter la productivité et la qualité des produits et des services, mais aussi d’attirer, motiver et garder les meilleurs talents. En résumé, l’agilité en entreprise repose sur une culture partagée dont les valeurs clefs sont l’adaptation, la réactivité, la coordination et l’innovation.

– Entre dire et faire, il y a un écart. Que faut-il concrètement pour être agile dans ce monde en mutation? Comment construire des équipes efficaces?
– L’agilité n’est pas une panacée et peut conduire à des dérives. En ce sens, la formation en management agile ou en accompagnement du changement est primordiale, car on ne naît pas agile, on le devient. L’agilité est un processus structuré à suivre, bien que cela semble contradictoire avec le terme d’agilité (dans son sens de souplesse). C’est une démarche volontariste qui doit être portée par les instances dirigeantes et couvrir l’ensemble des strates de l’entreprise. Même si tout n’est pas parfait, que le chemin n’est pas entièrement balisé, on peut se lancer, pour autant qu’on dispose d’un certain niveau de connaissance. C’est la règle des 40-70 de Colin Powell. Selon le célèbre général américain, il faut entre 40% et 70% de l’information totale pour prendre une décision; au-delà, cela porte préjudice au projet, car le processus s’en trouve ralenti. En Suisse, on est souvent perfectionniste et beaucoup de dirigeants attendent d’acquérir entre 90% et 100% de certitude avant d’aller de l’avant. En agissant ainsi, ils tendent à oublier que la planification évolutive inclut – entre autres – le droit à l’erreur! D’autres données (étude «Future of Work and Skills» de PwC) mettent en lumière que les dirigeants suisses sont moins susceptibles que la moyenne mondiale de recourir à la planification «dynamique».

– Ces principes sont-ils applicables à tous les secteurs?
– L’agilité en entreprise s’applique essentiellement aux branches du tertiaire. Pour les autres, c’est plus compliqué, mais pas impossible. Prenez le cas d’un agriculteur: il n’a pas le choix quant au moment de faire les foins ou de traire ses vaches. Apporter davantage de flexibilité dans la gestion de ce type particulier de tâches sera donc difficile; cependant, des innovations, notamment en lien avec la numérisation ou la robotisation, pourront amener des changements profonds dans la gestion de son exploitation et permettre une agilité accrue. Et quel que soit le secteur concerné, en privilégiant la transversalité, on pourra partager de bonnes pratiques et s’inspirer les uns des autres. Changer et s’adapter rapidement à la demande du marché est désormais requis si l’on souhaite tirer son épingle du jeu. Il s’agit également de faire face à la pression normative, qui s’est largement accentuée ces derniers temps, notamment dans le secteur de la construction et du bâtiment, et qui tend à empêcher l’agilité. Seules les entreprises qui y parviennent survivront: il y a encore 50 ans, leur durée de vie moyenne était de 100 ans. Elle s’est progressivement réduite, pour atteindre aujourd’hui 17 ans!

– Est-ce que la pandémie a eu un impact sur l’agilité en entreprise?
– Difficile de vous répondre. La demande de flexibilité (souplesse des horaires, du lieu de travail, etc.) s’est certainement accentuée; en témoignent les inquiétudes actuelles autour du maintien du télétravail. La crise sanitaire a surtout permis d’effacer le frein technologique, jusqu’alors très important. Les problèmes informatiques ou de communication étaient les premiers arguments donnés aux collaborateurs en quête de flexibilité. «C’est trop compliqué, c’est trop cher», entendait-on couramment. Avec la Covid, les entreprises ont été contraintes de surmonter cette difficulté, une situation particulière qui est devenue la norme.
A noter cependant que pour des d’activités créatives, la distance peut être un frein à l’agilité, ce qui est à prendre en considération pour le travail d’équipe. Un autre aspect est la pénurie de main-d’œuvre qui sévit dans certains secteurs (inadéquation des profils): la guerre des talents est une réalité et les dirigeants réfléchissent à deux fois avant de décliner les requêtes de leurs employés. Un réel rééquilibrage est en train de s’opérer: les salariés bénéficient d’une écoute plus attentive sur des enjeux tels la rémunération, le travail à distance et hybride, le sens accordé à son activité, l’épanouissement personnel et enfin, la conciliation entre vie professionnelle et vie privée. Mais l’agilité et la flexibilité ne conviennent pas à tous. N’oublions pas qu’une entreprise est composée d’individus qui ont chacun leur propre mode de fonctionnement: alors que certains apprécient davantage de flexibilité, d’autres sont rassurés par un cadre clair (pointage des heures par exemple). Un bon manager doit savoir concilier ces diverses manières d’être. Soulignons enfin que les questions liées à la responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE) et les engagements en matière de durabilité sont devenues incontournables.

– Pour terminer, pouvez-vous nous dire quelques mots sur la situation en Suisse?
– Dans les classements internationaux, les entreprises suisses sont très compétitives, en termes de qualité de produits et de services; elles sont également à la pointe de l’innovation. C’est notamment le cas pour celles de l’Arc lémanique et de la région zurichoise. Cependant, pour rester agiles, pour continuer à répondre aux besoins du marché, les entreprises ont besoin de conditions-cadres propices, sans trop de contraintes administratives, d’une fiscalité légère, d’un droit du travail souple… bref, un cercle vertueux qui vous permettra de vous concentrer sur votre activité.

 

Propos recueillis par
Véronique Stein

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