La science infuse ne vient pas du Chat Noir.

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carrière & formation

Qui fait la loi dans les Universités?

28 Mai 2025 | Carrière et formation

Le mouvement d’occupation de bâtiments universitaires par des groupes d’étudiants pose la question (pas tout a fait neuve) de la légitimité des divers enfants de l’Alma Mater. Les jeunes qui animent ledit mouvement n’ont aucun doute sur la réponse: «C’est notre maison»… «Nous sommes les enfants chéris de la Mater».

Cet aplomb est d’autant plus décomplexé que «nous» sommes l’avenir de la société et que «l’Uni doit être au service de la société». En pratique, lors de la présente crise, les mots d’ordre se font plus précis: «Face au génocide à Gaza, nous ne voulons pas que le Rectorat emploie notre écolage pour aider les Universités criminelles» disent en toute candeur les jeunes révoltés. Cette candeur est touchante, mais c’est là le hic: être savant n’est pas être candide. «Le Courrier» a publié un article bien ficelé sur la présente épreuve de force autour du Rectorat, mais il pourrait se fourvoyer sur ce dernier point.

Le malentendu, art ou science?

Quand on cherche en ligne des sources sur le sujet, on tombe sur un document d’enseignants du Québec, qui pose la question mot pour mot, «A qui appartiennent les Universités?»; et de répondre en gros «A tous: professeurs, assistants, étudiants, public… bref, à tous les Québécois». Ce qui ne fait que déplacer la question, car les divers groupes de la liste sont souvent en conflit frontal. Mais un ennemi commun les soude, selon ledit document, car après la liste des ayants droit, on y désigne et dénonce les renards cupides qui veulent avaler la chouette savante: «L’Université n’est en tout cas pas à ces groupes privés qui – à la faveur des crises du budget – tournent autour pour la détourner de son service au public». Ce dernier point sort du sujet des occupations d’Uni-Mail et du Rectorat à la faveur de Gaza, mais on y reviendra à la fin.

Les sophistes sont-ils/elles
philosophes?

Les Universités doivent-elles obéir au plus grand nombre de leurs acteurs: les étudiants; et parmi eux, à la meute la plus enlisée dans son jeunisme aveugle? D’une certaine manière, le Rectorat tend le fouet pour se faire battre: son slogan, affiché dans toutes les salles pour pousser les étudiants à élire leurs représentants à l’Assemblée universitaire, est «Pour une Université qui vous ressemble». D’ailleurs, les étudiants ont – à ladite Assemblée – autant de voix que les assistants et bien plus que les autres employés; seuls les profs tenant encore le haut du pavé (leur pouvoir absolu a été bien entamé par une loi modelée jadis par Ruth Dreifuss; avant, on avait un Sénat). Sa double mission – la formation et la recherche – rend d’ailleurs toute Université un brin schizophrène: si les étudiants sont bel et bien la raison d’être de l’épreuve du prof, ils sont parfois les pires ennemis de l’épreuve des faits… on le verra plus loin.

La science à main levée

On rirait d’une crèche où les gosses feraient la loi; mais de jeunes adultes seraient outré(e)s de la comparaison. Alors voyons où passe la frontière. Que penserait-on de passagers qui donneraient des ordres au pilote ou se mêleraient des affaires de la compagnie (qui peut à la rigueur sonder leurs vœux)? D’accord, la comparaison entre des charges à livrer et des penseurs en herbe n’est pas acceptable. Alors prenons un cas plus distingué: est-ce aux employés de la fondation Nobel à désigner le lauréat? On ne va pas allonger la liste: ici, on ne veut pas donner une réponse, attribuer des points… on pose juste la question: elle n’a pas de «bonne» réponse, c’est pourquoi ici on rappelle celles qu’ont peut-être omises les adeptes des fausses évidences.

Les bons pratiquants ne risquent rien

Voyons les choses en face: derrière le slogan «Nous sommes pacifiques… nous ne voulons que le dialogue… nous exigeons juste la fin d’un crime dont l’Uni est complice» se profile la question du «pacifisme» de l’occupation de l’espace public. Quand des slogans tagués dans la rue clament «Rendez-nous la Ville… on leur laisse le Golf de Cologny», c’est en fait un slogan «jihadiste» qui s’affiche (anecdote: même le Golf a depuis lors été mis en cause). Occuper l’espace public, c’est souvent le point de départ des révolutions, bien ou malfaisantes; et des nouveaux impérialismes. «Vous n’êtes pas chez vous», dit un photographe à une étudiante qui lui donnait des ordres à Uni-Mail. Comme ladite étudiante était à l’évidence née au loin, elle a sur le champ crié au «racisme».

Les apprentis sorciers sont-ils
«responsables»?

La Révolution française – et surtout ses excès – s’est jouée lors de la prise de la Bastille et l’entrée aux Tuileries avant de tout renverser… même en Palestine; la Révolution russe a commencé avec la prise du Palais d’Hiver, mais a fini avec la dissolution de l’Assemblée constituante avant de tout étouffer de Prague à Phnom-Penh. À Genève, les étudiants ont déjà droit à beaucoup d’espace: d’ailleurs, faute d’imposer leurs vues au Rectorat ou à la République, ils ont eu à leur disposition deux soirs de suite la grande salle d’Uni-Dufour pour rameuter leurs troupes et conspuer les Autorités (dans le cadre d’un festival soutenu par l’Université, pour une des deux soirées). Vouloir s’approprier toute l’institution chaque fois qu’elle n’obéit pas aux ukases juvéniles, n’est-ce pas «aller trop loin», comme dit un slogan de mobilité douce?

Résister ou imposer?

Auxdites deux soirées (dont une avait pour titre «Résister»), ce qui frappait le plus était le goût de ces jeunes pour l’imprécation sans débat. Au point qu’à la fin, deux sceptiques malgré eux ont fait part de leur malaise. «Êtes vous sûr(e)s qu’un groupe plus brun que rouge aurait – comme vous – des appuis… une grande salle… des annonces publiques… pour festoyer à sa guise?». Ou «Ici, nous sommes tous acquis à la même cause; mais comment traiter avec les gens qui – en famille, au bureau – pensent autrement?». Ces questions n’ont pas eu l’heur de plaire à ces jeunes croisés des droits et du bien, dont les affiches «renversantes» couvrent chaque jour les murs d’Uni-Mail, dedans et dehors.

Si jeunesse savait, si vieillesse
pouvait (proverbe européen)

On a vu plus haut dans le document du Québec que le vieux mandarinat, les jeunes rebelles et une partie de la classe politique faisaient en général bon ménage à trois face à l’ennemi commun: le «grand capital». Mais ce monstre existe-t-il pour de vrai ou bien est-il à la société du libre savoir ce que le «grand Satan» est aux sociétés des croyants bernés? En tout cas, quand une firme finance une chaire en physique ou médecine, elle n’a guère son mot à dire sur le prof ou le cours. Et en sciences sociales, la voix du veau d’or a peu de chances de convaincre, même en vingt-quatre carats: suffit de voir le récent forum de la Fédération des entreprises sur le harcèlement pour se convaincre que les «partenaires sociaux» rivalisent de social.
Enfin, les patrons sont plus effarés que ravis face à la culture utilitaire des candidats de la génération Z. Si le front commun se scinde donc, c’est peut-être que certains jeunes ont soif de pouvoir plus que de savoir. Un récent colloque sur «les mondes oraux» au Musée d’ethnographie suggère d’envoyer tous les militants des bonnes causes tester leurs grandes idées dans les joutes oratoires des vachers d’Afrique.

 

Boris Engelson

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