L’importance d’intégrer les trois critères ESG dans l’immobilier retail.

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Etude de CBRE

Pouvons-nous encore nous permettre de ne pas investir durablement?

11 Mai 2022 | Articles de Une

Pour adopter une attitude responsable, les investisseurs immobiliers intègrent les facteurs ESG dans leurs objectifs. Cependant, ils se concentrent souvent sur la partie environnementale et tendent à négliger les dimensions sociales et de gouvernance, soit les «S» et «G» de l’ESG. En outre, l’immobilier retail (commerce de détail) a, jusqu’à présent, reçu peu d’attention en Suisse dans le débat public sur les critères ESG. L’étude menée par le bureau CBRE – spécialiste du conseil en immobilier résidentiel et commercial – comble cette lacune en proposant des pistes d’action. Le point avec Nicole Weber, directrice exécutive CBRE Suisse.

– Où en est l’assainissement énergétique des centres commerciaux et des surfaces de vente en Suisse?
– Si le changement climatique occupe le devant de la scène et conduit les investisseurs immobiliers à communiquer la date à laquelle ils prévoient d’atteindre la neutralité carbone, l’immobilier retail reste à la traîne. Les centres commerciaux en Suisse ont en moyenne une trentaine d’années et rares sont ceux qui ont été entièrement rénovés. Le bilan énergétique général est donc insatisfaisant. La consommation d’énergie en lien avec la ventilation/refroidissement/chauffage, l’éclairage et les escaliers roulants est élevée. En outre, la masse de déchets produite par les centres commerciaux est importante et génère, aussi, du trafic.
En termes de potentialités, les centres commerciaux disposent de vastes toitures plates qui se prêtent particulièrement à l’installation de panneaux photovoltaïques et autres équipements relatifs aux énergies renouvelables, ainsi qu’à la récupération des eaux pluviales. Il est fort probable que de nombreux propriétaires s’attaqueront prochainement à la rénovation énergétique pour des raisons de rentabilité, dans le contexte de la flambée récente des prix de l’énergie. La lettre «E comme environnement» est donc en phase avec les objectifs économiques des investisseurs. Cependant, notre étude montre qu’une démarche équilibrée, intégrant également les aspects sociaux et de gouvernance (structure, pratiques, valeurs, éthique, etc.) est aujourd’hui incontournable.

– Vous proposez trois champs d’action. Le premier consiste en un mix d’utilisation. De quoi s’agit-il?
– Une combinaison réfléchie des utilisations rend les commerces et leur environnement plus attrayants. Dans les emplacements de choix, surtout au centre-ville, les propriétaires de biens immobiliers favorisent généralement de grandes chaînes internationales ou nationales, plus enclines à payer des loyers élevés. La présence de ces enseignes, identiques d’un site à l’autre, conduit à une uniformisation des lieux. Lors de l’évaluation équilibrée des objectifs ESG, les propriétaires ont la responsabilité de mettre à disposition une part de leurs biens à des commerces locaux, éthiques et/ou équitables, ainsi qu’à des pop-up stores qui se renouvellent régulièrement. Des services de loisirs, sport, santé et bien-être sont également à intégrer, tout comme des espaces non dédiés strictement à la consommation.

– Vous soulignez également l’importance de sélectionner avec soin les locataires, non seulement en fonction de leur solvabilité et du loyer proposé, mais selon de nombreux autres critères.
– Nous estimons que tout propriétaire-bailleur doit examiner systématiquement à qui il loue sa surface, puisque la phase d’utilisation s’étend sur de nombreuses années. Des problématiques comme la provenance des produits proposés, les chaînes d’approvisionnement et les moyens de transport sont devenues aujourd’hui centrales. Mais de nombreuses autres questions se posent aussi, comme par exemple: quelles sont les conditions d’emploi et de fabrication propres à l’entreprise du locataire et à ses sous-traitants? Le commerçant contribue-t-il à rendre l’environnement plus attrayant grâce à son magasin? Valorise-t-il l’espace extérieur? Une liste de points est proposée dans notre étude.

– Cela risque toutefois de compliquer passablement la tâche du propriétaire. Comment doit-il s’y prendre?
– Il est possible d’inclure des critères ESG dans le bail; c’est une pratique déjà courante avec les «baux verts», dans lesquels les deux parties conviennent d’utiliser des matériaux de construction écologiques et d’assurer une exploitation efficace sur le plan énergétique. Plus récemment, l’engagement s’est étendu aux critères sociaux et sociétaux. L’initiative provient d’ailleurs souvent du locataire lui-même: un commerçant qui se comporte de manière responsable (vis-à-vis de l’environnement, de la société, de ses employés et fournisseurs, etc.) recherchera un bailleur qui partage les mêmes valeurs. A contrario, une marque qui prône des produits durables n’est pas crédible face à ses clients si elle s’implante dans un lieu accessible uniquement en voiture.

– A l’heure où les ventes en ligne de cessent de s’accroître, la qualité des magasins stationnaires est fondamentale. Que faire pour créer une expérience de shopping favorable?
– Malheureusement, les investisseurs immobiliers n’ont souvent pas conçu leurs commerces en conséquence. Au lieu d’avoir de généreuses hauteurs sous plafond – qui valorisent la marque et la présentation des produits -, ils ont préféré maximiser le nombre d’étages de vente. De plus, ils ont eu tendance à coincer des surfaces locatives dans chaque recoin, négligeant les espaces publics «improductifs», c’est-à-dire dédiés à la rencontre et à la détente. A noter aussi que la ventilation et la qualité de l’air intérieur sont souvent peu satisfaisantes dans les centres commerciaux.

– Qu’en est-il des enseignes implantées dans des bâtiments à caractère patrimonial?
– De nos jours, les retailers reconnaissent la valeur des bâtiments historiques: elle leur permet de distinguer leurs marques et leurs produits. Uniques et à forte identité, ces bâtisses sont désormais recherchées par de grandes chaînes internationales. En ce sens, les investisseurs ont tout intérêt à entretenir correctement et rénover ces édifices.

– Quelques mots de conclusion?
Nous espérons que les investisseurs retail intègrent ces réflexions dans leur stratégie, comme c’est déjà le cas dans les pays anglo-saxons; des arbitrages entre le profit et les trois critères ESG sont à faire impérativement. Comme nous l’avons dit, la pression vient des locataires-commerçants; mais ce sont également les consommateurs – en particulier les jeunes générations – qui demandent toujours davantage de transparence, de responsabilité sociale et d’éthique. En adoptant une démarche globale, les propriétaires de commerces ont une occasion unique de contribuer à une meilleure qualité de vie urbaine!

 

Propos recueillis par
Véronique Stein