Pour un urbanisme bienveillant

Le projet fait partie du plan localisé de quartier (PLQ) Saint-Mathieu adopté par le Conseil d’Etat le 27 février 2019 et comprenant quatre aires d’implantation, ainsi que des aménagements extérieurs avec différents opérateurs; il concerne l’aire d’implantation «B», soit six bâtiments de logement avec rez-de-chaussée d’activités pour lesquels Opalys Project a joué le rôle de délégué du maître d’ouvrage (Société simple Saint-Mathieu). Situés en troisième zone de développement, les immeubles offrent une mixité de logements, prioritairement destinés aux Bernésiens, selon les répartitions suivantes: 79 appartements subventionnés (HM), 65 appartements à loyers contrôlés non subventionnés (ZDloc) et 58 lots en PPE. L’ensemble présente une densité de 1,4, similaire à celle de la ville de Carouge.
Offrir une bouffée d’oxygène contre la pénurie de logement à Genève

Bien que le quartier de Saint-Mathieu fasse désormais l’unanimité, le chemin pour parvenir à sa concrétisation fut semé d’embûches. Les prémices remontent aux années 2015-2017. C’est à cette époque que l’Etat de Genève, avec Opalys Project et la commune de Bernex, mit en place un processus de pilotage permettant d’ordonnancer les études touchant à la modification de zone, le Plan directeur de quartier et enfin le Plan localisé de quartier. «Afin d’apporter un regard externe sur le futur développement et nourrir les réflexions, nous avons convié l’urbaniste zurichois Pierre Feddersen», raconte Thomas Mader, directeur d’Opalys Project. Pour comprendre les tenants et aboutissants du quartier à venir, la population (riverains et associations locales) fut conviée à une démarche de concertation. Les constructions devaient s’intégrer à l’environnement, tout en offrant aux habitants le sentiment d’être à la fois en ville et à la campagne. Sur cette base, les grandes lignes furent définies et inscrites dans le PLQ qui se voulait «évolutif».
Opalys, à la demande des différents maîtres d’ouvrage concernés par l’aire «B» du PLQ, lança alors un concours d’architecture sur invitation: le projet de Sylla Widmann architectes SA fut retenu par le jury, notamment pour sa capacité à s’intégrer dans le terrain naturel grâce à un dispositif de socles à hauteurs variables. «Ces socles absorbent les différences de dénivelé et évitent la présence d’éléments minéraux (escaliers, rampes, etc.), explique Marc Widmann, co-directeur du bureau Sylla Widmann. La végétalisation est largement privilégiée, avec des espaces en pleine terre permettant la plantation de grands spécimens».
Le projet est fondé sur le principe d’un îlot perméable. Il est composé de bâtiments indépendants avec un cœur paysagé couronné d’une ceinture d’espaces publics – places de Pré-Marais et des Marronniers, promenade du Décanat, etc. – minéralisée et ponctuée d’arcades. Le résultat est convaincant: bien qu’à quelques encablures de la route fréquentée de Chancy, l’ensemble présente une grande quiétude; ses formes arrondies et le bois, matériau largement utilisé, lui procurent un caractère chaleureux.
Malgré les atouts du projet Sylla Widmann, le PLQ fit l’objet d’un référendum en 2017. Des séances d’information publique suivirent, avec la participation du Conseil administratif et des mandataires, afin de convaincre la population de l’intérêt du projet, d’autant plus que deux tiers des logements étaient réservés aux Bernésiens. «Le Conseil administratif nous faisait confiance, tout en fixant des exigences très élevées, car Saint-Mathieu représentait le premier jalon d’une série d’opérations en zone de développement qui permettraient de fournir des logements en nombre aux Genevois». La population accepta le projet dans les urnes en 2018, permettant ainsi au projet de suivre son cours.

Un îlot ouvert mais préservé

D’une hauteur moyenne de cinq niveaux sur rez, les bâtiments respectent les gabarits du tissu environnant (Bernex-en-Combes). Les volumes, qui se définissent par leurs formes pliées, en ailes de papillon, présentent des continuités obliques douces. «Brisant le caractère habituellement linéaire de ce type d’immeubles, ce renforcement permet aussi de créer des typologies d’habitation particulières avec des logements traversants placés au centre du plan, dans sa partie étroite, tandis que les extrémités arrondies accueillent des logements d’angle», précise Marc Widmann. Dotés de balcons périphériques – 4 km de coursives! – qui s’élargissent en loggias devant les séjours-cuisines, la grande majorité des logements bénéficient de deux orientations et de points de vue variés sur l’extérieur.
L’ensemble comporte 300 logements de 3 à 6 pièces, majoritairement des 4 et 5 pièces, tous spacieux et très lumineux. L’aménagement intérieur a été idéalement pensé pour offrir confort et modernité aux occupants. Afin de favoriser la vie de quartier, les rez-de-chaussée accueillent des commerces et des services de proximité, complétés par des locaux communs. Une crèche est installée dans le bâtiment «A» (architectes Roulin et Vianu), un projet également piloté par Opalys Project.
A Saint-Mathieu, la part belle est faite aux aménagements extérieurs (Oxalis architectes paysagistes): 8660 m2 du périmètre sont végétalisés avec des massifs, des espaces de prairie, ainsi que du gazon renforcé pour les accès pompiers; à cela s’ajoute la plantation de 158 arbres, 817 arbustes et plus de 13 000 vivaces. A l’intérieur de l’îlot, des haies de moyenne hauteur créent un filtre entre les logements du rez et les espaces collectifs, préservant l’intimité des locataires et propriétaires.

Durabilité et mobilité

La structure des immeubles est composée de dalles et murs de refend en béton. La façade est en ossature bois (suisse) préfabriquée, permettant une optimisation de l’isolation et un bilan énergétique favorable. Elle est revêtue d’un bardage de bois pré-grisé. Les bâtiments de très haute performance énergétique (THPE) sont raccordés au réseau de chauffage à distance; ils répondent à des exigences strictes en matière d’isolation, de protection solaire et d’éclairage naturel. Des panneaux photovoltaïques sont installés sur des toitures végétalisées.
La mobilité douce est privilégiée dans le quartier, des cheminements piétons et cyclables reliant les bâtiments entre eux, ainsi qu’aux zones d’intérêt avoisinantes. La ligne de tram 14, qui passe à proximité, facilite l’accès à Genève. Par ailleurs, les places de stationnement sont concentrées dans un parking souterrain, ce qui libère le site de toute circulation automobile pour le destiner à des jardins.
Comment parvenir à un résultat comme celui-ci, un quartier où il fait si bon vivre? Thomas Mader relève l’importance de la dé- marche de concertation mise en place et le processus de codécision avec la commune. En outre, le travail «en lots séparés», avec la direction des travaux du bureau Architech, a contribué à la réussite de l’opération, car il implique «une coopération dynamique, voire une complicité, entre les mandataires qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes au service du projet».

Marc Widmann abonde en ce sens, en insistant sur l’engagement des partenaires, la confiance réciproque et le professionnalisme. Grâce à ce pilotage fin, les objectifs annoncés ont été suivis, tout comme le cadre financier – le prix des appartements en PPE a même été abaissé en fin d’opé- ration – et les délais impartis, pour atteindre certainement ce qui se fait de mieux en zone de développement: des surfaces de logement généreuses, des matériaux et des finitions de qualité, des standards énergé- tiques élevés et des aménagements paysagers soignés. Un modèle à suivre pour les futurs développements urbains, non seulement à Bernex, mais aussi dans d’autres communes du canton!

Véronique Stein