Ariane Widmer, urbaniste cantonale, coopère à dessiner une ville qu’elle veut désirable.

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aménagement - Le Grand Genève

Planifier un bassin de vie désirable

1 Mar 2023 | Articles de Une

Le formidable défi de la transition écologique pousse à dessiner un nouveau Plan d’aménagement du territoire franco-valdo-genevois. Non pas un énième programme, mais une ambitieuse stratégie de cohabitation harmonieuse entre ville et nature, qui prenne pour socle le vivant, tout en veillant à notre équilibre socio-économique. Avec un aboutissement prévu en 2024, ce puzzle territorial servira notamment à l’élaboration du prochain Projet d’agglomération et du nouveau Plan directeur cantonal genevois, prévu pour 2027. Entretien avec Ariane Widmer, urbaniste cantonale.

– Quelle est la nouvelle vision de ce bassin d’un million d’habitants commun à Genève, Vaud et la France voisine? Quel avenir pour ce Grand Genève de 2000 km2?
– Lancée en 2021, la «Vision territoriale transfrontalière 2050» se construit sur le socle du vivant et fait appel à une transformation profonde. Le territoire est marqué par l’emprise croissante de nos activités. La logique écologique conduit à un changement de paradigme: la gestion de l’existant met fin à une consommation des sols expansionniste, tant en milieu urbain que rural. Selon une gouvernance partagée, le processus prospectif en cours est mené par plusieurs équipes transfrontalières. L’une d’elles viendra le consolider. Un nouveau concept d’aménagement servira de base pour le Projet d’agglomération de 2025. Ce concept servira également à l’élaboration des nouveaux plans directeurs cantonaux et aux schémas d’aménagement du pôle métropolitain. Le processus est encadré par de nombreuses démarches stratégiques: les nouveaux plans climat cantonaux, la Stratégie Biodiversité Genève 2030, l’étude neutralité carbone pour 2050, les plans territoriaux climat, air, énergie du Genevois français.

– Quels sont les principes d’aménagement du territoire favorables à la biodiversité?
– La préservation est certainement le principe le plus favorable à la biodiversité. Cette vision s’inscrit dans le premier but de la Loi fédérale sur l’aménagement du territoire, qui vise une utilisation mesurée du sol. L’aménagement du territoire doit notamment permettre le développement d’une agriculture respectueuse des sols et des écosystèmes, mais aussi nourricière de sa population. La France y vient aussi, progressivement. Sa démarche «zéro artificialisation nette» (ZAN) a pour objectif intermédiaire de réduire de moitié le rythme de la consommation d’espace d’ici 2031. A l’instar des autres cantons helvétiques, Genève a établi un lien étroit avec son paysage. Régénératrice, l’approche paysagère en milieu urbain permettra de limiter l’impact sur le dérèglement climatique.

Séance de travail sur le Grand Genève.

– Comment prenez-vous en compte la croissance démographique et l’équilibre socio-économique?
– Le territoire restreint provoque une forte concurrence territoriale, répercutée sur le prix des terrains. Pour préserver les équilibres, il s’agit de mettre en place des outils de régulation qui permettent de veiller aux différents besoins de la population. A Genève, par exemple, la Loi générale sur les zones de développement assure une production de logement de qualité et à un prix abordable. Et la Fondation des terrains industriels (FTI) veille au maintien des terrains destinés aux activités artisanales et industrielles. Les chiffres de la statistique fournissent la base pour planifier sur le territoire les besoins en logements, emplois et services. L’aménagement du territoire sert d’outil pour définir les conditions cadres de ce développement dans un contexte de transition écologique. Notre responsabilité est de donner une réponse spatiale aux besoins à tous ces enjeux.

– L’espace rural, perçu jusqu’à présent comme un terrain monofonctionnel, va-t-t-il se transformer en lieu de ressources et d’usages multiples?
– Le mouvement moderne a établi cet urbanisme de zones monofonctionnelles. La logique actuelle de favoriser la mixité des usages, par le vivant de manière générale, prévaut également pour l’espace rural. Sa multifonctionnalité est une réalité depuis toujours et demande à être préservée. L’enjeu n’est pas de le transformer, mais de reconnaître ses valeurs. Au-delà, c’est le respect et l’amplification des milieux naturels qui deviennent une condition pour que l’écosystème «espace rural» puisse délivrer les services indispensables à la ville et à ses habitants. La densité et la pression urbaine nécessitent un espace rural régulateur des phénomènes naturels extrêmes, source d’un approvisionnement local résilient et offrant des lieux de proximité propices aux promenades et à la détente. Enfin, il s’agit de poser les conditions pour la mise en place de circuits courts performants, de la production et la transformation jusqu’à la distribution dans les quartiers.

– Quels seront nos modes de vie et de déplacement pour faire face aux enjeux écologiques?
– La mobilité est l’un des points les plus épineux, avec plus de 600 000 déplacements régionaux par jour. Notre étude porte également sur les réseaux infrastructurels et leur optimisation, en réfléchissant par exemple à des haltes supplémentaires ou une exploitation renforcée en fonction des besoins à venir. La communauté transfrontalière a déjà à son actif des réalisations issues de précédentes expertises, tels la Voie verte et le développement du Léman Express. La «ville des quinze minutes», qui prône une organisation permettant aux habitants d’accéder à la plupart de leurs destinations d’achat, de soins, d’éducation et de loisirs en moins d’un quart d’heure de marche ou de vélo, est à développer, tout comme la dynamique citoyenne de participation et de partage – exemple type dans le quartier des Vergers, à Meyrin – qui participe de la mutation des modes de vie.

– Le Grand Genève, une métropole écologiquement pionnière?
– Les experts territoriaux franco-valdo-genevois dessinent une nouvelle figure territoriale régénératrice, qui cherche à retrouver une complémentarité entre ville et campagne. Au vu de la crise écologique que nous traversons, certaines mesures d’urgence devront être prises en anticipation des échéances des planifications. C’est un processus de longue haleine qui, à condition d’être largement porté, devrait imposer le Grand Genève comme un pionnier européen d’une métropole durable, résiliente et à zéro émission.

 

Propos recueillis
par Viviane Scaramiglia

GROS PLAN

Quelques dates clefs

 

Le Grand Genève englobe 209 communes, dont 45 genevoises.
1973 Création du Comité régional franco-genevois.
2004 Lancement du Projet d’agglomération franco-valdo-genevois.
2007 Premier Projet d’agglomération.
2012 Deuxième Projet – Choix du nom «Grand Genève».
2016 Troisième Projet devenant un vrai projet territorial englobant les politiques publiques de l’urbanisme, de la mobilité et de l’environnement.
2021 Projet de quatrième génération. Démarche «Pacte»: élaboration de la Stratégie et du Plan d’action transfrontaliers pour la transition écologique du Grand Genève.
2021 Première mise à jour du Plan directeur cantonal genevois, approuvée par la Confédération le 18 janvier 2021.
2021 Adoption par le Conseil d’Etat genevois, le 8 décembre 2021, de la Feuille de route pour le nouveau Plan directeur cantonal, Vision territoriale transfrontalière 2050.
2023 Signature de la Charte du Grand Genève en transition, le 26 janvier 2023.

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