Sophie Heu Reignier.

/

Sophie Heu Reignier

Ou la construction d’une remarquable carrière

4 Mai 2022 | Articles de Une

Le slogan des années 70 était que la France n’avait pas de pétrole, mais qu’elle avait des idées. Sophie Heu Reignier, qui est responsable du développement immobilier à Genève chez Losinger Marazzi, a quitté l’industrie parapétrolière pour s’installer en Suisse voilà quinze ans. Et les idées, elle n’en manque pas!

– Quel a été votre parcours professionnel?
– Rien ne me destinait, au départ, au secteur de la construction, ni d’ailleurs à m’installer en Suisse. J’ai en effet suivi une formation d’ingénieure dans ma France natale, axée sur le génie maritime. Ma carrière a débuté dans le domaine des plates-formes pétrolières, pour les activités du groupe Bouygues Construction dans l’off-shore. De la technique, je suis passée en quelques années au développement commercial et ai eu l’occasion de travailler dans de nombreux pays, notamment en Asie et en Afrique de l’Ouest. Et puis j’ai découvert
Losinger Marazzi, faisant également partie du groupe Bouygues Construction, en 2007 et ce fut l’installation non loin de Genève, dans cette région que j’apprécie infiniment.

– Comment s’est passée votre «helvétisation»?
– Je découvrais à la fois un nouveau métier, le bâtiment et la Suisse. Chargée du développement des projets et de leur coordination, en collaboration avec les mandataires, les maîtres d’ouvrage et les autorités, j’ai eu la chance de participer à l’édification du fameux ensemble Eikenøtt à Gland/VD dès 2008. Losinger Marazzi faisait figure de pionnier en matière d’écoquartiers. C’était la première réalisation concrète de ce genre sur la Côte. Puis nous avons répondu à l’appel d’offres pour le grand projet Quai Vernets à Genève, qui est maintenant en phase de démarrage. Je m’occupe avec passion des développements immobiliers, notamment les projets de régénération urbaine, de l’entreprise présente dans toute la Suisse.

– Le BIM (Building Information Modeling) a «pris» plus tôt en France qu’en Suisse et Bouygues Construction en a fait l’un de ses chevaux de bataille. Qu’en est-il actuellement?
– Losinger Marazzi, là aussi, a été dans les premiers à miser sur le BIM, dès 2012, et a gagné le BIM d’Or à Paris en 2015 pour son projet hospitalier à Zurich. Aujourd’hui, environ 75% de nos projets utilisent la méthode BIM. Les demandes de la part des maîtres d’ouvrage sont encore peu fréquentes, mais en forte augmentation depuis deux ans. Les autorités suisses se montrent assez dynamiques en la matière et un certain nombre de projets publics sont axés sur cette technique. L’application du BIM est notamment poussée par la KBOB (Conférence de coordination des services de la construction et des immeubles des maîtres d’ouvrage publics).

– A titre personnel, vos attentes ont-elles été comblées dans notre pays?
– Mais oui, j’ai été «déçue en bien» comme disent les Vaudois et les Vaudoises! En passant du parapétrolier à la construction et à l’immobilier, j’ai retrouvé mes deux sources de motivation. D’abord, dans un contexte maritime et énergétique, chaque projet est nouveau; vous devez faire preuve de réactivité, d’imagination, d’esprit d’adaptation. Et dans mon domaine actuel, c’est pareil: on ne peut répliquer un Eikenøtt, il faut s’adapter au contexte local et développer une solution spécifique à chaque fois. Deuxième point essentiel pour moi: travailler avec des personnes de diverses origines, d’âges variés et de formations différentes, agir en quelque sorte comme une cheffe d’orchestre avec des musiciens jouant en harmonie sur des instruments multiples. La richesse du métier est d’allier l’innovation, la technique et l’humain.

– Quelle différences avez-vous constatées, dans les conditions d’exercice de votre métier, en Suisse par rapport à la France?
– J’ai parcouru beaucoup de pays et travaillé dans des contextes divergeant évidemment de l’helvétique. Ce qui me frappe ici, c’est la qualité de la relation humaine. La culture du consensus est précieuse: personne ne doit écraser personne et l’on arrive ainsi, en cherchant un compromis gagnant-gagnant, à des solutions originales. Le niveau de qualité et d’exigence est nettement plus élevé en Suisse qu’ailleurs; il y a un vrai souci du bien commun et, point plus terre-à-terre mais significatif: les Suisses et les Suissesses ont les moyens de leurs ambitions et, tout en restant réaliste, on peut avancer sans devoir faire des concessions sur la qualité par souci d’économie.

Côté Parc, un projet de 216 logements au Petit-Saconnex/GE.

– Le projet «Côté Parc», soit la construction de 216 logements, du studio au 6 pièces, destinés à la classe moyenne genevoise, et d’un appart-hôtel dans le parc de cinq hectares de la Maison de retraite du Petit-Saconnex/GE, a été salué par tous les acteurs de la promotion-construction. Comment avez-vous fait?
– Nous avons identifié cette opportunité et proposé une vision associant la Maison de retraite, un projet architectural de qualité, un maître d’ouvrage – La Foncière -, le public, le privé et nous-mêmes. Là encore, c’est la qualité des relations humaines et la confiance mutuelle qui nous ont permis, avec méthode et persévérance, de tous nous mettre d’accord.

– Le monde de la construction est-il assez ouvert aux femmes, ou reste-t-il très masculin?
– Voilà une question que vous n’auriez sans doute pas posée à un homme! Pour ma part, au-delà d’un équilibre entre professionnels hommes et femmes, je dirais que l’important, c’est la diversité. Le milieu du bâtiment, qui était historiquement masculin, m’apporte beaucoup en tant que femme, surtout, comme je vous le disais, parce qu’il permet depuis longtemps de mêler les expériences, les parcours, les cultures, les idées. C’est très positif.
Losinger Marazzi a d’ailleurs mis en place des processus pour favoriser la diversité et propose à l’ensemble de ses collaboratrices et collaborateurs des formations spécifiques dans ce sens. Je suis convaincue qu’il faut chercher la synergie entre personnes différentes.

 

Propos recueillis
par Thierry Oppikofer