IMMOBILIER DE LOISIRs - Philippe Lathion
«Notre modèle de lits touristiques est très profitable pour nos stations!»
Fondateur du fonds Mountain Resort Real Estate Fun SICAV, qui finance les résidences SwissPeak, le Valaisan Philippe Lathion détaille le succès de son idée à l’occasion de l’inauguration du complexe Thyon/Hérémence/Quatre Vallées. Passionnant.
Dans nos colonnes (Le Journal de l’Immobilier No 29 du 27 avril 2022, disponible sur www.jim.media), le président d’Hérémence Grégory Logean se frottait les mains, annonçant que grâce aux projets à venir, dont le SwissPeak Resort adossé au complexe des Thermes de Dixence, le nombre de lits chauds à disposition des visiteurs serait multiplié par un facteur dix. La prophétie s’est vérifiée au mois de mars avec l’inauguration en grande pompe des 435 nouveaux lits chauds financés par le Mountain Resort, fonds créé par l’homme d’affaires Philippe Lathion (66 ans). Zoom sur ce véhicule financier validé par la FINMA, l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers.
– Philippe Lathion, lorsque vous avez décidé de créer ce fonds, quelles ont été les articulations de votre réflexion?
– Mon constat était simple. Primo, la Suisse adossait son tourisme essentiellement sur l’hôtellerie et l’hébergement diffus (appartements mis en location par des propriétaires), alors qu’en France voisine, en Autriche et dans les Dolomites, on misait beaucoup sur le modèle des résidences hôtelières.
Secundo, il y avait à l’évidence une attente de la clientèle suisse pour un mode de location adapté aux familles, offrant l’indépendance d’un appartement mais avec des prestations quasi hôtelières. Et finalement, tertio, le financement de lits hôteliers ou para-hôteliers par les banques traditionnelles étaient inadapté et en l’absence d’un véhicule financier validé par la FINMA, les investisseurs institutionnels intéressés par un rendement régulier et à long terme ne pouvaient pas investir dans ce domaine. Dès lors, la voie était toute tracée…
– Et cette équation est l’aboutissement, dites-vous, des soubresauts historiques qui nous ont conduit à une forme d’impasse pour le tourisme suisse…
– (Ndlr: éclat de rire). Je pourrais écrire des livres et des livres sur le sujet… Les lits chauds ont toujours été un problème pour nos stations. Avant la Première Guerre, les Alpes étaient inaccessibles en hiver, mais en été il y avait une demande d’air pur et de montagne de la part de la bourgeoisie européenne. Se développèrent alors les destinations reliées par le chemin de fer: Zermatt, Finhaut, Montreux. Après la guerre, c’est l’avènement des congés payés, les revenus qui augmentent pour la classe moyenne, et surtout, venue du Nord, la démocratisation du ski qui allait faire renaître un tourisme désormais consacré à la pratique de ce sport. De nouvelles remontées mécaniques vont ainsi voir le jour dès les années 50 dans presque toutes les vallées alpines.
Dix ans plus tard, en France, De Gaulle, voyant dans l’industrie du ski la possibilité de sauver les régions de montagne, fait adopter la célèbre Loi Montagne et avec elle une incitation fiscale à relouer un appartement qu’on a acquis. Ajoutez à cela, le triomphe sportif des JO d’hiver de Grenoble (Merci Jean-Claude Killy, d’ailleurs d’origine suisse!), qui propulse la France comme Nation du ski, et vous avez les ingrédients qui aujourd’hui encore caractérisent le tourisme alpin français.
En Autriche, le développement est encore plus remarquable, puisque très tôt, on assiste à la création d’une Banque du Tourisme, organisme privé garanti par le public, qui va financer massivement l’hôtellerie, et à l’ouverture d’un Département du Tourisme durable.
– Et donc pendant ce temps, en Suisse?
– Le fédéralisme va freiner l’émergence d’une stratégie nationale pour le tourisme et on va laisser le marché s’organiser avec ses propres règles. Dès les années 60, on construit des appartements à la pelle, que l’on vend à des propriétaires en espérant en louer un maximum, mais personne ne se dit qu’il serait bien avisé de prévoir des clauses d’obligation de louer. Jusque dans les années 90, l’augmentation du nombre de résidences secondaires va soutenir une augmentation de la fréquentation des remontées mécaniques. Lorsque va arriver la crise des années 90, des milliers et des milliers de ventes se concluent à des prix cassés. Les nouveaux propriétaires ne vont plus mettre en location ces lits et par la suite, la demande pour acquérir une résidence secondaire ne va plus faiblir et les prix vont s’envoler. Aujourd’hui, une résidence secondaire s’acquiert à plus 15 000 francs le m2, et à ce prix-là, ça devient «son» appartement, pas question de le louer. Ce marché de la résidence secondaire devient si lucratif qu’on transforme même des hôtels en appartements pour les vendre. Durant près de deux décennies, on ne cessera de perdre des lits chauds à cause de cette réalité. Et cela entraînera des baisses de fréquentation pour les destinations et les remontées mécaniques de l’ordre de 30%, alors qu’en Europe la fréquentation reste stable.
Pas besoin de grandes explications pour comprendre: un propriétaire, c’est un client unique qui va occuper sa résidence secondaire pendant ses vacances et les week-ends. Pour skier, il va acquérir un forfait correspondant à moins de vingt jours de ski; un lit loué dix semaines par saison d’hiver, c’est dix clients nouveaux qui vont skier au moins cinq jours par semaine, soit plus de cinquante journées vendues par les remontées mécaniques. Et il en va de même pour la location de skis, l’achat de souvenirs, etc. Un lit vendu rapporte donc moins qu’un lit loué à la destination.
– Mais ce modèle perdure…
– Il ne faut pas opposer les modèles. Les agences immobilières, les entreprises de construction et les collectivités publiques réalisent encore d’importants profits avec les ventes et reventes, et la situation durera quelques années… Ces profits sont aussi réinvestis dans la destination. Mais les stations perdent toujours des lits chauds et se posent de plus en plus la question de savoir comment garder, fidéliser un vacancier. D’où leur intérêt pour notre modèle de lits touristiques en résidences hôtelières multiservices. Le succès du Magic Pass se heurte aussi à cette problématique des lits chauds. Il a ramené des skieurs dans nos stations, mais s’ils ne peuvent pas s’y loger, seules les remontées en profitent et les retombées restent faibles pour les commerçants locaux.
– Même le climat est de votre côté, soulignez-vous!
– L’avantage de notre modèle, c’est un chiffre d’affaires global de nos cinq résidences quasiment équivalent en été à celui de l’hiver. Car si le réchauffement climatique est un vrai défi pour les remontées mécaniques, pour l’hébergeur, l’été offre un énorme potentiel avec une multitude d’expériences touristiques et toujours cet air pur qui attirait déjà les touristes avant la Première Guerre. Je donne un exemple parlant: Meiringen a fait un meilleur taux d’occupation l’été passé que Zinal en hiver. Le soutien aux remontées mécaniques est important, mais sans lits touristiques, aucune société de remontées mécaniques ne peut être rentable. Il faudrait donc plutôt soutenir massivement l’hôtellerie et la para-hôtellerie comme le font nos voisins européens.
– Où allez-vous construire ?
– Je ne communique pas sur les projets, mais uniquement sur les ouvertures.
– Mais vous êtes à bout touchant sur certains projets!
– Oui, bien sûr. Certains sont détenteurs de tous les sésames nécessaires à la mise en chantier, mais je dois tenir compte des intérêts de nos investisseurs. Je dois développer Mountain Resort harmonieusement partout en Suisse, et pas seulement en Valais. En fait, notre modèle de lits touristiques marche tellement bien que tout le monde en voudrait pour ses propres stations. Pour l’heure, nous gérons Meiringen/BE, Brighels/GR et les trois destinations valaisannes. Pour le reste, je vous l’ai dit, nous communiquerons en temps voulu.
– Le secret de votre réussite?
– Notre modèle d’affaires est sans concession et repose sur trois piliers.
1) La construction au juste prix, sans laquelle nous ne lançons pas un projet. Outre l’énorme expérience acquise, nous soumettons nos calculs à un expert immobilier externe, pour être sûrs que nos coûts de construction peuvent être rentabilisés par la vente de séjours en tenant compte de tarifs de location et de taux d’occupation conformes au marché.
2) Le financement est conçu pour accueillir des investisseurs non spéculatifs, ou institutionnels si vous préférez (caisses de pension, assurances etc.). Nous ne voulons pas «faire un coup», mais assurer une rentabilité à nos investisseurs sur le long terme.
3) Des taux d’occupation élevés. On touche ici un point capital! Nous avons acquis une réelle expertise dans ce domaine et bénéficions d’un très grand réseau de distribution tant en Suisse qu’en Europe. Nous nous adaptons constamment aux réalités fluctuantes du marché, en changeant par plusieurs fois par semaine le prix des locations en fonction du taux de remplissage. Grâce à cette organisation, les taux de remplissage de nos résidences entre le 26 décembre et le 26 mars s’élèvent à plus de 90%, avec 70% de Suisses.
– Et côté produit, des atouts?
– Le fait que chez nous, le client puisse tout organiser depuis la réception, son forfait de ski, son matériel, l’inscription au Kids Club des plus petits, le recours à une femme de chambre si souhaité, les réservations de repas, qui peuvent parfaitement être livrés dans l’appartement, sont les principaux atouts de notre produit. Pour nous, faire du tourisme, ce n’est pas vendre ou louer un appartement, mais offrir une expérience unique à un vacancier. Nous nous employons donc à satisfaire toutes ses demandes, tout en lui laissant profiter de son indépendance.