Le groupe scolaire des Vergers conçu pour résister aux tremblements de terre

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Ecole des Vergers à Meyrin

Même pas peur des secousses!

6 Oct 2021 | Articles de Une

Alors qu’en Suisse, on se croit à l’abri de tout tremblement de terre, des séismes – à même d’endommager les bâtiments – restent possibles. Le passé l’a démontré: Sierre (1946), Brigue (1855) et Bâle (1356) en ont notamment fait les frais. Les normes SIA parasismiques veillent à assurer la sécurité des habitants; cette exigence technique doit néanmoins être conciliée avec une architecture de qualité. Les concepteurs de l’équipement public des Vergers à Meyrin/GE ont relevé avec brio ce défi. C’est la première fois qu’un ensemble bâti genevois obtient le Prix d’architecture et d’ingénierie parasismiques; lors de l’édition précédente, ce dernier avait été attribué à l’immeuble de bureaux Roche, construit par Herzog & de Meuron à Bâle.

Elaborées en 1989, les normes parasismiques ont été renforcées en 2003 par la Société suisse des ingénieurs et des architectes (normes SIA n° 260 et 261). En les respectant, les maîtres d’ouvrage s’évitent de possibles litiges liés à une mise en danger des personnes, une diminution de la valeur immobilière ou des demandes d’indemnités de la part de tiers. En effet, de manière générale, les assurances obligatoires des bâtiments ne couvrent pas les dommages dus aux séismes.
Une large part du parc bâti helvétique date d’avant 1989 et n’a donc pas été conçu pour supporter des secousses importantes; cela est dû aux économies faites autrefois sur les matériaux et le nombre de murs porteurs. On estime qu’en Suisse, la sécurité parasismique de plus de 80% des ouvrages est inconnue, et le plus souvent insuffisante. Ils doivent donc impérativement être vérifiés, voire renforcés. Enfin, les professionnels de la branche, architectes, ingénieurs et maîtres d’ouvrage, ne sont pas toujours suffisamment informés et formés. Ainsi, une plus large sensibilisation éviterait que de nouveaux bâtiments s’ajoutent au nombre déjà considérable de constructions vulnérables en cas de fortes secousses.

Et si la terre tremblait demain?

Parmi les divers dangers naturels, le risque sismique est le plus important en Suisse. Bien que les violents séismes soient rares dans notre pays, lorsqu’ils surviennent, il faut s’attendre à des dommages importants, et ce sur une large échelle. Depuis 1680, six séismes d’intensité VIII (dégâts importants, effondrements partiels) se sont produits. Le plus violent que le XXe siècle ait connu est celui de Sierre (1946). Le Valais est en effet l’une des régions suisses les plus menacées, aux côtés de Bâle et ses alentours, ainsi que du versant nord des Alpes. Le principe sismique est le suivant: les mouvements du sol font osciller les bâtiments. Il en résulte des efforts et des déformations horizontales qui sollicitent fortement les structures porteuses. S’ils sont conçus correctement, les bâtiments présentent des dommages faibles à modérés, le plus souvent réparables. Les contreventements prévus à cet effet (par ex. parois en béton armé) doivent être continus, des fondations jusqu’au sommet du bâtiment, et disposés le plus symétriquement possible. Ces solutions simples sont réalisables à peu de frais. Pour les nouveaux bâtiments, il faut compter jusqu’à 1% du prix de construction, pour autant qu’architecte et ingénieur civil collaborent étroitement dès les premières phases du projet.

Le séisme le plus violent du XXe siècle en Suisse s’est produit à Sierre en 1946

Conception pluridisciplinaire
essentielle

Le territoire genevois n’est pas dans une zone sismique considérée comme élevée. Néanmoins, la stabilité horizontale des ouvrages sous l’action des séismes – en complément à d’autres sollicitations plus courantes comme celle des vents – doit être assurée dans le respect des normes en vigueur et de l’état des connaissances techniques. L’ensemble des quatre bâtiments publics situés au centre du quartier des Vergers (Meyrin) est exemplaire: il concilie sécurité sismique et architecture exceptionnelle.
Présidé par Martin Hitz, de la Fondation pour la dynamique des structures et le génie parasismique, le jury du «Seismic Award 2021» a sélectionné cet ouvrage et récompensé ses auteurs: les architectes Marc Widmann et Kristina Sylla, Marcio Bichsel de B+S ingénieurs conseils – deux bureaux genevois – ainsi que les maîtres d’ouvrage, à savoir la commune de Meyrin et l’association La Voie Lactée. La remise des prix s’est déroulée en septembre, en présence du maire de Meyrin Eric Cornuz. L’équipement en question comprend un groupe scolaire, une aula, un restaurant, des locaux parascolaires, une école spécialisée et une salle de sport. Les bâtiments seront désormais identifiables par une plaque; un diplôme d’honneur a été décerné au maître d’ouvrage et les architectes et ingénieurs civils impliqués ont reçu un montant de CHF 15 000.- Outre ce projet primé, deux autres réalisations suisses ont obtenu une mention honorable.
On le sait: une collaboration étroite entre le maître d’ouvrage, l’architecte et l’ingénieur civil, instaurée dès les premières ébauches, est indispensable pour réussir un projet de construction sur les plans esthétique, fonctionnel et technique. Cela s’applique tout particulièrement au comportement des bâtiments soumis à un séisme. En concevant d’emblée la structure porteuse et les éléments secondaires (cloisons, façades, etc.) selon les principes de la construction parasismique et en mettant en œuvre les dispositions constructives appropriées, on obtient une sécurité structurale élevée et une vulnérabilité minimale; le tout à un coût aussi bas que possible. C’est précisément de cette manière que le projet des équipements publics des Vergers, initié lors du concours pluridisciplinaire en 2014, a débuté. Jusqu’à la réalisation de l’édifice, inauguré en 2018, cette collaboration n’a cessé de se développer.

Ossature apparente en bois à l’intérieur du bâtiment

L’exosquelette multifonctionnel

Nécessitant des études approfondies, la conception de la structure parasismique des quatre bâtiments des Vergers est simple, mais innovante. Le bureau Sylla Widmann – les architectes du projet – évoque la notion de «simplexité», soit la contraction de simplicité et complexité, qui se retrouve bien dans cet ensemble bâti. «La question de la stabilité sismique, simplexe justement, illustre précisément le travail réalisé conjointement. L’idée structurelle retenue ici est une forme d’évidence, de simplicité répondant à toute une série d’exigences complexes, sans complications», soulignent les concepteurs. L’ingénieur Marcio Bichsel, de B+S, détaille: «La structure périphérique, composée de cadres monolithiques en béton armé coulés sur chantier, devait non seulement résister aux sollicitations des séismes, mais aussi présenter une rigidité suffisamment grande pour limiter ses déformations horizontales. En parallèle, elle devait bénéficier d’une grande souplesse pour lui permettre de se dilater ou de se contracter sous les sollicitations thermiques imposées par les différences de températures saisonnières. Tel un organisme vivant, cet exosquelette minéral s’adapte ainsi à des conditions climatiques et à des sollicitations qui peuvent paraître paradoxales, durant son cycle de vie».
Par ailleurs, l’équipement scolaire des Vergers se démarque par son système périphérique de coursives. Celui-ci a avant tout été conçu en réponse à des questions fonctionnelles, comme le prolongement de salles de classe aux étages, la protection solaire des façades vitrées ou les voies d’évacuation en cas d’incendie. Les coursives représentent toutefois une structure parasismique extérieure intéressante, élément essentiel pour le bâtiment dont les parties intérieures sont composées d’une ossature légère et apparente en bois. «Il faut relever que les coursives ont à leur tour besoin de liaisons avec les structures intérieures, pour leur propre stabilité. Ainsi, dans ce jeu de ‘je te tiens, tu me tiens’, le concept parasismique est un juste équilibre entre rigidité et souplesse, ainsi qu’entre action et réaction, poursuit l’ingénieur spécialisé. En plus de son efficacité, le système constructif de la structure parasismique des coursives a permis de libérer les espaces intérieurs de toute contrainte liée à d’autres contreventements, offrant ainsi une grande flexibilité d’aménagement, tout en s’avérant très intéressante du point de vue économique». Des qualités de clarté et d’efficience que le jury du concours n’a pas manqué de relever.
A noter enfin que les éléments parasismiques des bâtiments sont conçus de manière variable: les zones les plus sollicitées ont des épaisseurs plus importantes que les zones de moindre sollicitation, marquant le nœud rigide de liaison entre les colonnes et les dalles, tout en allégeant les parties en travées ou en bordure de porte-à-faux. Le résultat est une subtile géométrie sculptée, lisible sur toutes les façades. En résumé: des équipements publics aux grandes qualités esthétiques, qui permettent d’améliorer la sécurité tout en répondant aux usages des écoliers!

Véronique Stein

GROS PLAN

Une Fondation veille à notre protection

 

Satisfaire les exigences de sécurité peut s’avérer contraignant pour un projet, donnant couramment lieu à une perte des qualités architecturales. Forte de ce constat, la Fondation pour la dynamique des structures et le génie parasismique sensibilise les professionnels de la construction, tout en encourageant la formation à la sécurité parasismique des bâtiments, ainsi qu’aux problèmes d’oscillations et de vibrations.
Tous les deux ou trois ans, la Fondation décerne le «Seismic Award», prix d’architecture et d’ingénierie parasismique, pour des bâtiments neufs, rénovés ou surélevés, situés en Suisse ou au Liechtenstein et terminés au cours des cinq dernières années.
www.baudyn.ch/fr

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