Un accord entre un bailleur et un locataire prévoyant que le loyer est indexé n’est valable que si le bail est conclu pour une durée minimale de cinq ans.

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La chronique juridique de Me Guillaume Barazzone

Loyer indexé: quelle date fait foi?

28 Fév 2024 | Articles de Une

Le Tribunal fédéral a récemment rendu un jugement important qui traite du point de référence sur lequel il faut se fonder pour déterminer les variations du taux hypothécaire à l’expiration de la période d’indexation d’un bail.

Un accord entre un bailleur et un locataire prévoyant que le loyer est indexé n’est valable que si le bail est conclu pour une durée minimale de cinq ans et qu’il est fait référence à l’indice suisse des prix à la consommation (ISPC). Durant cette période, le loyer dépend uniquement de l’évolution de l’ISPC. D’autres facteurs, telles les variations du taux hypothécaire, n’entraînent pas d’adaptation du loyer.
Lorsque le bail se poursuit tacitement après la période d’indexation, il n’est pas rare que l’indexation du loyer devienne caduque, par exemple lorsque la durée de reconduction du bail est inférieure à cinq ans. A l’approche de l’expiration de la période d’indexation, le bailleur peut solliciter une augmentation du loyer et le locataire réclamer une baisse de loyer (pour le prochain terme de résiliation possible), en respectant le délai de résiliation du bail. Ces demandes de modification du loyer peuvent se fonder sur la variation du taux hypothécaire de référence.
Dans un récent jugement destiné à publication (arrêt 4A_252/2023 du 24 octobre 2023), le Tribunal fédéral a précisé que lorsqu’une partie omettait de solliciter une modification du loyer dans le délai de résiliation du bail convenu entre les parties, il était présumé que le loyer en vigueur (actuel) était approprié. Ainsi, les demandes de modifications du loyer formulées après la fin de la période d’indexation (à l’ISPC) doivent être calculées en se fondant sur le taux hypothécaire de référence existant à la fin de la période d’indexation (c’est la date où les parties auraient pu résilier le bail en respectant le délai de résiliation qui est déterminante) et non pas au début du bail.

Adaptation du loyer: rappel des règles applicables

a. Adaptation du loyer à l’ISPC
Les parties peuvent conclure un bail à loyer indexé en convenant d’une clause d’indexation, pour autant que (a) le bail soit conclu pour une durée minimale de cinq ans et que (b) l’indice d’indexation soit l’ISPC.
La loi interdit de prévoir d’autres facteurs d’adaptation du loyer, à moins que la majoration ne soit justifiée par des prestations supplémentaires du bailleur et que le contrat de bail n’ait réservé expressément cette possibilité; il est également exclu de cumuler la clause d’indexation avec une clause d’échelonnement du loyer pour la même période.
Pendant la durée de validité de la clause d’indexation, correspondant en principe à la durée initiale du bail (d’au moins cinq ans), et sous réserve d’une éventuelle action en contestation du loyer initial, le loyer net dépend uniquement de l’évolution de l’ISPC, sans prise en compte d’autres facteurs, tels que les variations du taux d’intérêt hypothécaire de référence. Par conséquent, le bailleur ne peut augmenter le loyer qu’en cas de hausse de l’ISPC et aux conditions prévues par le contrat (qui peut par exemple prévoir que le loyer ne pourra être indexé plus d’une fois par an et/ou que seule une partie du loyer pourra l’être), tandis que le locataire ne peut demander une diminution de loyer qu’en cas de baisse de cet indice. Face à une telle demande, le locataire, respectivement le bailleur, peut uniquement objecter que l’augmentation de loyer, respectivement sa diminution, ne correspond à aucune variation de l’ISPC.
A l’expiration de la durée initiale du bail (d’au moins cinq ans), la clause d’indexation ne continue d’être valable que si le bail est reconduit (tacitement ou expressément) pour une nouvelle durée d’au moins cinq ans. A défaut, notamment si le bail est reconduit pour une durée indéterminée ou pour une période de moins de cinq ans, la clause d’indexation devient caduque.

b. Adaptation du loyer au taux hypothécaire de référence
L’évolution du taux hypothécaire de référence n’est pas prise en considération dans un bail à loyer indexé. Par conséquent, à l’approche de l’expiration de la période d’indexation, chaque partie peut solliciter une adaptation de loyer (le bailleur une hausse/le locataire une baisse) en raison d’une baisse ou d’une hausse dudit taux, pour la fin de la période d’indexation, à condition de respecter le délai de résiliation du bail convenu.
La législation prévoit qu’une augmentation du taux hypothécaire de référence de 0,25% justifie, en règle générale, une hausse de loyer de 2% lorsque le taux est supérieur à 6%, une hausse de 2,5% lorsque le taux est situé entre 5% et 6%, et une hausse de 3% lorsque le taux est inférieur à 5% (le passage du taux hypothécaire de référence de 1,25% à 1,75% peut donc justifier une hausse du loyer de 2 × 3% = 6%). S’il se produit une baisse du taux hypothécaire, le loyer doit être réduit en proportion. Le taux hypothécaire à prendre en considération n’est pas celui effectivement appliqué au propriétaire d’immeuble, mais celui qui est publié (en ligne) par l’Office fédéral du logement. Il se répercute de manière abstraite et standardisée sur les loyers, de sorte que les parties peuvent s’en prévaloir même si l’immeuble n’est pas grevé d’hypothèques.

Adaptation du loyer après la
période d’indexation

Dans le cas qui a occupé le Tribunal fédéral, les parties avaient conclu en 2015 un contrat de bail indexé à l’ISPC pour une durée de cinq ans, à l’échéance de laquelle le bail pouvait être résilié moyennant un délai de préavis de trois mois, mais au plus tôt pour la fin de la période d’indexation, le 31 mars 2020.
En mars 2020, les locataires ont sollicité une réduction de loyer pour le prochain terme de résiliation, au motif que le taux d’intérêt hypothécaire de référence était alors plus bas qu’il ne l’était au début de la période d’indexation (1,25% en mars 2020 comparé à 2,0% en février 2015 lors de la conclusion du bail). Les juges cantonaux (bâlois) ont donné raison aux locataires, en réduisant le loyer mensuel de CHF 3500 à CHF 3215 à compter du 1er juillet 2020. Le Tribunal fédéral n’a pas suivi leur argumentaire et a admis le recours du bailleur.
Selon notre Haute Cour, le contrat de bail liant les parties a été reconduit tacitement en tant que bail à durée indéterminée, de sorte que la clause d’indexation (à l’ISPC) est devenue caduque. Les locataires ont sollicité trop tard la diminution de loyer (en raison d’une variation du taux hypothécaire de référence). En effet, l’adaptation de loyer aurait dû être demandée pour la fin de la période d’indexation, soit pour le 31 mars 2020, en respectant un délai de préavis de trois mois. Or, elle n’a été requise par les locataires que le 4 mars 2020, pour le 1er juillet 2020.
Selon les juges de Mon-Repos, c’est donc le taux hypothécaire en vigueur à la date à laquelle le bail aurait pu être résilié en respectant le délai de résiliation convenu qui doit être pris en compte. En l’occurrence, c’est le taux de référence de 1,5% (applicable en décembre 2019) et non pas le taux de 2% (applicable en février 2015 lors de la conclusion du bail) qui devait être retenu. Les locataires n’avaient donc pas le droit à la diminution de loyer sollicité (les locataires demandaient une diminution de loyer calculée sur la différence entre le taux de 2% et le taux de 1,25%, alors qu’ils n’avaient droit qu’à une diminution calculée sur la différence entre un taux de 1,5% et 1,25%).
Cette décision rappelle indirectement que la date de référence pour la variation du taux hypothécaire est celle de la conclusion du contrat, uniquement si la demande de réduction ou d’augmentation du loyer est faite dans le respect du préavis de résiliation du bail. Si le bailleur ou le locataire a intérêt à ce que le taux de référence du début du bail soit pris en compte (car il peut ainsi augmenter le loyer, respectivement obtenir une baisse de loyer), il doit donc impérativement respecter le délai de résiliation prévu dans le contrat de bail.

 

Guillaume Barazzone
Avocat associé
Etude Jacquemoud Stanislas, Genève
guillaume.barazzone@jslegal.ch

Guillaume Barazzone.