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HOMMAGE - Trop tôt disparu

Lettre ouverte posthume à Thierry Barbier-Mueller

1 Fév 2023 | Articles de Une

Mon cher Thierry,

Lorsque tu étais en veine de compliments – ce qui t’arrivait assez souvent, car tu étais fondamentalement bienveillant – et que nous menions l’une de nos conversations téléphoniques d’une heure (ou deux), tu me disais parfois: «Tu es volubile, mais tu sais garder des secrets» (Bon, tu disais «bavard» mais j’écris «volubile», parce que cela fait plus littéraire).
Durant ces longs échanges, comme lors de nos séances de rédaction de «L’Information Immobilière» ou d’«Immorama», les digressions étaient nombreuses, comme les éclats de rire. Mais au fil de ces conversations, j’observais le fonctionnement fascinant de ton esprit: qu’il s’agisse de politique, d’économie ou d’art, tu aboutissais en un instant à une conclusion que d’autres auraient prudemment et laborieusement élaborée, avec moins de pertinence. Tes filles parlent de «feu sacré», le mot est juste: ta phrase préférée lorsque tu appréciais quelqu’un, était «Il (ou elle) comprend vite». Elle s’appliquait si bien, tellement mieux, à toi-même. Comprendre vite, mais aussi imaginer, créer, oser, entreprendre.
Depuis ton départ, si brusque, si prématuré, je lis dans la presse et sur les réseaux des hommages sincères, y compris de concurrents, d’adversaires ou d’inconnus. D’autres – tu aurais détesté cela – en rajoutent, histoire de montrer combien ils étaient proches de toi, en bombardant leurs rares lecteurs ou auditeurs de dates de naissance de tes filles, de nombre d’immeubles ou de tableaux. On interroge des politiques qui – comme disait Brel – «ne te connaissaient pas», ou d’anciens politiques qui «ne te connaissaient plus». Parlons-en, de la politique: tu admirais ta nièce Diane, brillante députée; tu fus l’un des derniers à partager un repas avec feu Benoît Genecand; tu estimais Bertrand Reich, Nathalie Fontanet, Anne Hiltpold et un ou deux autres, mais aussi Pascal Pétroz du PDC, sans oublier Christophe Aumeunier, longtemps député et toujours secrétaire de la Chambre immobilière, en l’honneur de qui tu es resté au Comité après ta mémorable présidence. Tu avais aussi des amis à l’opposé de tes convictions, mais qui répondaient à un critère, cardinal à tes yeux: l’honnêteté. De chacun et à chacun, il y avait toujours quelque chose à donner, à apprendre, à débattre.
D’ailleurs, ce Comité de la CGI, où je t’ai côtoyé quelques années, tu y donnais ta pleine mesure: alors que tu semblais perdu dans la consultation de ton écran ou – les initiés s’en souviennent – le tri de ton courrier, tu levais brusquement la tête, prenais la parole et tranchais par la pertinence de ton intervention le débat qui menaçait de s’enliser. Mais comment faisais-tu? C’est l’un des secrets que tu ne m’as pas confiés, pensant sans doute que ma question était une forme de plaisanterie. Mais tu as réédité ce phénomène dans toutes les réunions du conseil de Plurality Presse, la société que nous avions fondée, tes confrères, toi et moi, pour éditer l’hebdomadaire «Tout l’Immobilier», puis «Tout l’Emploi», le portail immobilier «Genève Immobilier» dès l’an 2000, et enfin «Prestige Immobilier». Durant près d’un quart de siècle, tu as été avec quelques autres le fidèle soutien de cette entreprise. Lorsqu’une fusion avec un autre portail n’a pas donné les résultats escomptés, j’ai retrouvé l’ami attentif suivant l’aventure du nouveau «Journal de l’Immobilier».
Mon cher Thierry, mes confrères – et notamment Le Temps – ont tout dit de ta belle trajectoire professionnelle et de l’importance de ta contribution de collectionneur et de mécène à l’art contemporain et au design. Voilà des années que tu évoquais le moment où tu passerais entièrement le flambeau professionnel à tes filles Marie et Valentine, que tu as comme leurs sœurs tant chéries et si bien formées. Nous pensions tous, à l’époque, que tu t’inquiétais bien tôt d’une future retraite pleine de nouveaux projets, dont cette fameuse école privée capable d’apprendre à (bien) lire, (bien) écrire et (bien) compter. Mais une fois encore, tu avais raison de tout avoir préparé: veillons, car on ne sait ni le jour, ni l’heure.
Feu ton père Jean Paul me disait, un peu avant sa mort: «Je suis heureux de voir que mes trois fils ont réussi dans la vie et ont de magnifiques familles». C’était vrai et il en est de même, il en sera de même, de tes aînées et de leurs cadettes. Il peut te le certifier, ton vieil ami qui a connu ton grand-père Josef Mueller et tes parents, qui connaît tes frères Jean-Gabriel et Stéphane depuis un demi-siècle (désolé, les gars, c’est bien cela), qui a vu grandir tes filles et qui a pu mesurer la loyauté et la qualité des collaborateurs du groupe que tu as su constamment développer et moderniser.

Repose en paix, mon cher Thierry qui nous as tant apporté et qui,
à notre grand désarroi, nous devances un moment.

 

Thierry Oppikofer, alias «Oppi»