Trois générations de Grelly.
/
Entreprises familiales - Grellor & Cie SA
Les vies multiples d’une entreprise centenaire
Comment une entité industrielle, fondée en 1896 et acquise en 1915 par la famille Grelly, s’est-elle muée en société de services sans pour autant changer de secteur d’activité: les accessoires et services de nettoyage et d’hygiène pour particuliers et entreprises? La réponse: grâce à la passion et l’inventivité de trois générations successives. La quatrième génération, représentée par Amaury Grelly et Sébastien Laurent, aux commandes depuis 2020, s’est donnée comme défi de se développer au-delà de Genève et de dynamiser son offre.
La relève: Amaury Grelly et Sébastien Laurent.
L’histoire de Grellor & Cie SA est celle d’une branche d’activité, la brosserie, qui comptait sept fabriques à Genève au début du XXe siècle n’en recense aujourd’hui plus que trois dans toute la Suisse. C’est aussi celle de fortes personnalités qui n’ont pas hésité à sortir de leur zone de confort pour assurer la pérennité de la maison.
Né comme fabrique de brosses en 1896, repris par Edouard Grelly en 1915, Grellor & Cie SA est bien connu des Genevois – ne serait-ce qu’en raison de la campagne d’affichage de 2014 dans laquelle Pierre Grelly, administrateur jusqu’en 2020, apparaissait, facétieux, en tenue d’Adam derrière un balai sous le slogan «Mes balais n’ont rien à cacher».
Avant de racheter l’atelier créé par une dame Morel, Edouard Grelly était employé de banque. Sa reconversion n’a rien à envier aux changements de vie de certains de nos contemporains! En 1937, en pleine crise économique, son fils René, tout en gardant l’activité de base, se lance dans le montage de carres métalliques sur les skis Authier, une nouveauté à l’époque. La guerre éloigne René et son épouse, Hélène, qui doit mettre sa passion pour la peinture en sommeil pour s’occuper de la fabrique. Démobilisé, René Grelly entame en 1946 le tournant vers les services en offrant des produits tiers à la vente et en développant des prestations B to B (comme on ne disait pas encore).
Un pionnier de l’e-Commerce
Aujourd’hui, alors que le virage du tertiaire est achevé depuis l’arrêt de la production de brosses en 1985, Grellor & Cie SA se trouve en compétition sur son terrain avec des poids-lourds de la vente en ligne. «Nous offrons un service que ces sociétés ne fournissent pas», relève Sébastien Laurent, en énumérant au nombre de ses prestations la formation du personnel de ses clients, le conseil à l’achat d’un équipement de nettoyage ou d’entretien et la reprise des machines usagées pour les remettre en état et créer ainsi un marché de l’occasion.
Grellor a été l’un des premiers à se lancer dans l’e-Commerce, en 2008. «Quand on est novateur on arrive parfois trop tôt. Ça a été le cas», constate Pierre Grelly. Reste qu’aujourd’hui, posséder quinze ans d’expérience de la vente en ligne est un atout, notamment dans la perspective de reconquérir une clientèle de particuliers dont les habitudes ont changé. Une clientèle par ailleurs sensible à la ligne Eco, introduite en 2013 et produite en Suisse.
Des campagnes qui font mouche.
Le modèle d’affaires intègre l’environnement
Les produits Eco s’inscrivent dans une démarche systématique de réduction de l’empreinte écologique de la société, entamée par Pierre Grelly. Une année avant le lancement de ces produits, il inaugurait une centrale photovoltaïque de 663 m2 sur son toit. Elle produit 1,6 fois la consommation électrique des deux entreprises Grellor et de son voisin DBS Techniques. «Aussi loin que je me souvienne, nous avons toujours revalorisé nos déchets et cela bien avant que je n’entre dans l’entreprise», relate Amaury Grelly, ajoutant qu’il n’a acheté qu’une unique fois des cartons d’emballage. Réutiliser ses anciens emballages et ceux de ses fournisseurs pour ses propres expéditions est bien plus normal.
Amaury Grelly et Sébastien Laurent ont entrepris de développer la logique de fonctionnement qui prévalait, en partant des achats et demandes de leur clientèle. Ils optimisent par ailleurs le site de vente en ligne, afin de mieux l’intégrer avec les systèmes comptables de leurs clients.
La relation client est le pivot indispensable pour résister aux grands distributeurs, qu’ils soient de pierre et de brique ou virtuels. Il s’agit aussi de repositionner l’entreprise. «Nous avons une image premium. Nous voulons imposer une image de qualité au juste prix», explique Sébastien Laurent.
«Le succès passe par notre équipe; nous sommes tous concernés par l’entreprise. Nous sommes par ailleurs toujours preneurs de remarques et d’idées, ainsi qu’intéressés au vécu de nos collaborateurs. La dimension familiale aide à maintenir cette approche», conclut-il.
Cesare Accardi
GROS PLAN
De commerce à entreprise
Grellor SA est devenu Grellor & Cie SA au 1er juillet 2020, avec la reprise de l’activité par Amaury Grelly et Sébastien Laurent. Ils succèdent à Pierre Grelly, entré en 1969 dans la société familiale dont il a pris les rênes en 1981.
Amaury a rejoint le commerce en 2018 comme assistant aux ventes. «Mon père a bien essayé de me convaincre de faire autre chose, raconte-t-il, mais j’ai pris conscience à l’adolescence que je voulais continuer l’histoire familiale». Sébastien Laurent est arrivé en 2011 pour un stage de trois mois. Trois semaines plus tard, il était engagé définitivement. «Sébastien a oublié la fin de son stage», s’amuse Pierre Grelly en parlant de celui qui a gravi les échelons, de collaborateur aux ventes à responsable du secteur, puis responsable des grands comptes et enfin associé.
«Durant mes années à la tête de Grellor, j’ai travaillé à passer du statut de commerce à celui d’entreprise», résume Pierre Grelly. La différence? «L’entreprise travaille à l’horizon de dix ans, quoique depuis la charnière des années 1980 et 1990, le long terme soit plutôt à trois ans; alors que le commerce voit à court terme», explique-t-il. Sa fierté après 39 ans en tant que directeur, c’est de «ne pas devoir changer de trottoir dans ma propre ville»: entendez de n’avoir ni offensé ni trompé personne. «Respecter les gens qui gagnent leur vie avec vous est primordial», observe-t-il encore.
«Je n’ai jamais coaché personne», lance Pierre Grelly quand on lui demande s’il a pris Amaury sous son aile. «J’ai beaucoup appris de Pierre», atteste cependant Sébastien Laurent; à quoi Pierre Grelly rétorque: «Je ne lui ai jamais rien enseigné». La solution de ce paradoxe est sans doute à trouver dans sa devise: «Dire ce que l’on fait et faire ce que l’on dit».
L’histoire récente de la société est jalonnée d’épisodes originaux, tel ce mouilleur à vitre d’une largeur de 2,2 mètres, probablement le plus grand du monde, ou le «balai le plus haut du monde» sur l’Everest. En 2002, pour commémorer les cinquante ans de la tentative de Raymond Lambert, qui manqua de peu d’être le premier à vaincre le toit du monde, son fils a répété l’ascension en emmenant un balai Grellor préalablement allégé, pour le planter au Col Sud à 7900 mètres d’altitude. Y aura-t-il un jour un balai Grellor sur la lune?
