urbanisme - Débat de Wüest Partner
Les rez-de-chaussée, moteurs de vitalité urbaine
Loin de se limiter à de simples surfaces commerciales, les rez-de-chaussée des immeubles jouent un rôle crucial dans l’animation des quartiers, la création de lien social et le développement économique local. Comment planifier ces espaces pour qu’ils soient bénéfiques à tous – population, développeurs, promoteurs et investisseurs? Organisé par Wüest Partner, le premier Webcast de l’année a mis en lumière ce sujet essentiel pour l’aménagement de nos villes.
Animé par Julien Renaud, consultant chez Wüest Partner, le séminaire a réuni trois experts du domaine: Sonia Lavadinho, anthropologue urbaine et géographe; José Gonzalez, directeur chez Bricks AG, et Julien Thiney, manager d’études immobilières et territoriales chez Wüest Partner. Ensemble, ils ont décrypté les enjeux, les tendances et les perspectives liés à la planification et à l’activation des rez-de-chaussée (RDC) urbains.
Vers davantage de mixité
Julien Thiney a dressé un état des lieux du marché, soulignant la reprise progressive de la consommation privée – l’un des leviers pour la bonne santé des rez-de-chaussée – après une période de ralentissement économique. En 2024, la consommation privée a augmenté de 1,8% par rapport à l’année précédente, grâce à une baisse de l’inflation, une amélioration du pouvoir d’achat et une diminution des coûts énergétiques.
Mais derrière ces signaux positifs, les besoins évoluent. «Les frontières entre vie privée et professionnelle sont de plus en plus floues, insiste Julien Thiney. La diversification des modes de vie, notamment le télétravail, la digitalisation de l’économie et la montée en puissance de la société de loisirs changent les habitudes de fréquentation des rez-de-chaussée». Les usagers ne se contentent plus de consommer: ils recherchent désormais des expériences et des lieux de vie adaptés à leur rythme de vie et leurs valeurs.
Une tendance marquante est la diversification des utilisations. Alors que la part des bureaux en rez-de-chaussée est passée de 31% en 2013 à 25% en 2024, celle consacrée à la culture et à l’hôtellerie est en nette augmentation. Les rez-de-chaussée deviennent des espaces hybrides, mêlant commerces, loisirs, travail et services. En améliorant la qualité des RDC (davantage de mixité, de services, de possibilités d’achats, etc.), les impacts sont multiples, aussi bien en termes de dynamisme commercial que de cadre de vie.
Le séminaire a également mis en lumière le rôle économique des rez. La vitalité commerciale influence directement la valeur immobilière. Une étude réalisée par Wüest Partner montre que dans les quartiers dotés de rez-de-chaussée attrayants, les loyers des étages supérieurs peuvent augmenter de plus de 10%, permettant ainsi d’assurer une mixité d’utilisations tout en conservant un équilibre économique. «L’effet d’entraînement est clair: un rez-de-chaussée vivant attire du monde, génère du trafic piéton et renforce l’attractivité globale d’un immeuble et du quartier», relève Julien Thiney.
Des rez actifs pour des quartiers vivants
Sonia Lavadinho pointe, quant à elle, sur la fonction sociale de ces espaces. «Les rez-de-chaussée doivent capter l’attention, inciter à ralentir le pas et offrir une diversité d’expériences», explique-t-elle. Elle met également en avant la nécessité de créer une mixité d’offre – commerces, restauration, espaces culturels et lieux associatifs – afin d’attirer une diversité de publics, de jour comme de nuit. «L’objectif est de créer des ‘sticky places’, ces lieux qui retiennent et attirent les passants grâce à leur animation constante».
Les vitrines, notamment celles qui intriguent ou présentent des «mises en scène» intéressantes, génèrent une latéralisation du regard; les détails – une terrasse agréable, une boutique originale, une façade vivante – font toute la différence. L’écosystème, c’est-à-dire les synergies positives ou négatives entre les commerces, est également un facteur déterminant. Pour analyser l’effet de «rétention» des commerces, Sonia Lavadinho a créé un «Indice d’activation des façades», à l’instar de l’Etiquette Energie. Ce classement de A à F permet de catégoriser chaque façade: de la façade active suscitant la flânerie, la rencontre et le séjour, à la façade clairement repoussante. Ces critères sont utiles pour dresser un bilan des quartiers et développer des scénarios de planification.
«Il s’agit de trouver le juste équilibre entre le transit et le séjour, note l’anthropologue. Les piétons statiques, comme ceux installés sur les terrasses, attirent les passants». Elle insiste aussi sur l’importance de «texturiser» les terrains compris entre la base des façades et la chaussée (frontages), et de manière plus générale, sur l’élargissement et la (re)conquête des chaussées. Ces mesures ont pour but de renforcer l’intérêt des vitrines, ainsi que du parvis et de l’espace public alentour. Par ailleurs, des interventions sur les angles actifs aux carrefours et la création de destinations phare sont efficaces. Enfin, végétaliser les parvis (lisières végétales, canopée d’arbres, etc.) a un effet direct sur le dynamisme des commerces, puisque les passants ont tendance à ralentir le pas lorsqu’ils se trouvent dans de tels environnements. Ces actions répondent à une population en quête de fraîcheur et de nature. «A l’avenir, les commerces deviendront de plus en plus des lieux de refuge, en particulier pour des personnes isolées, précarisées ou souffrant de la chaleur urbaine», conclut la chercheuse.
Une planification stratégique essentielle
Lors du Webinaire, José Gonzalez a souligné l’importance d’une planification territoriale adaptée pour garantir la réussite des rez-de-chaussée. «La qualité d’un quartier repose sur une planification fine, qui prend en compte la localisation, l’environnement direct et la qualité des surfaces», a-t-il souligné. Il a détaillé le cas du quartier du Rolliet aux Cherpines (Plan-les-Ouates/GE), un projet immobilier qui se veut exemplaire en matière de vie de quartier et de mobilité. La première pièce urbaine accueillera 1000 logements, un pôle santé-social, des commerces, des restaurants ainsi que 5500 m² (correspondant à 40% des rez-de-chaussée) de surfaces d’activité non rentées pour l’investisseur. «Nous avons consenti un investissement de douze millions de francs pour ces surfaces, qui bien que non rentables, contribueront à la vie de ce quartier situé en zone périurbaine. En contrepartie, les autorités ont accordé un bonus de densité de 5%, mécanisme qui permet des constructions complémentaires», précise José Gonzalez.
Dotée d’un montant initial de trois millions de francs, une coopérative de quartier sera chargée de gérer ces espaces et d’assurer une programmation variée. L’objectif est d’intégrer des acteurs culturels, associatifs et économiques pour garantir une animation continue du périmètre.
Le Webcast de Wüest Partner l’a confirmé: les rez-de-chaussée ne sont plus un simple enjeu architectural ou commercial. Ils incarnent une nouvelle manière de penser la ville, plus fluide, plus humaine, plus ancrée dans les usages réels. Entre impératifs économiques, attentes sociétales et défis climatiques, ces mètres carrés situés au ras du trottoir deviennent des terrains d’innovation urbaine. Reste désormais à passer de l’intention à l’action: planifier avec tact, investir intelligemment, et surtout, écouter les rythmes de la rue. Car c’est bien là, au niveau du sol, que se joue une grande partie de l’avenir de nos quartiers.