Comment viser loin sans se mettre le doigt dans l’œil?

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hors champ

Les rêves sont-ils des pièges?

5 Oct 2022 | Articles de Une

Atteindre les Objectifs du développement durable comme une fusée atteint l’Objectif Lune: c’est le rêve de tous les ministres et de tous les économistes. Le programme d’un récent colloque (intracen.org) était même construit autour de cette métaphore balistique. Lénine disait qu’on ne devait pas trop rêver, sauf pour avoir – quand on en est encore loin – une image du but visé. On va voir ici que la frontière entre solution et illusion est aussi claire après coup qu’elle est floue avant coup…

Tout a commencé avec la culbute de Hakle: comment donc un bien de base peut-il avoir du mal à se vendre juste sous l’effet du prix du gaz… et pourquoi les concurrents s’en tirent-ils mieux? «Hors Champ» l’a demandé à un expert des forêts et à… Hakle. Pour l’anecdote, Hakle est le fabricant de «pécu» de qualité mais qui avait jadis fait sourire par sa pub «la deuxième classe suffit à se torcher le derrière» (lors d’une «action» pour le bas de sa gamme… avec photo d’un wagon). Les réponses des experts n’ont pas été claires, et seule une paraphrase du barbier de Séville pourrait nous mettre sur la piste: il faut plus de talent à un marchand de papier de toilette pour mener sa barque qu’à un ministre des l’Economie pour gérer tous les marchés. Bref, l’énigme Hakle permet de voir les grandes lois de l’économie par le petit bout de la lorgnette… qui est souvent le plus parlant.

Seule la gravitation est-elle
«universelle»?

On a retrouvé la même question à la fin du mois à la Maison de la Paix, lors d’un autre colloque d’histoire du capital (www.graduateinstitute.ch): «Pourquoi la première révolution industrielle s’est-elle produite en Angleterre au XVIIIe siècle?». Depuis lors, on a tenté de la dupliquer cent fois, dans cent pays, depuis cent ans. Donc les cent réponses des historiens sont toujours aussi douteuses. D’autant que les mots n’ont jamais deux fois le même sens, comme on ne se baigne jamais deux fois dans la même eau. Rien ne fut plus trompeur – en histoire économique – que les notions de travail, d’où le retour de manivelle qui fit gagner Margaret Thatcher: «Labour doesn’t work» clamait son slogan lors des élections. Pis… en économie, ce ne sont pas juste les lois qui clochent, malgré les équations savantes qui mènent – à défaut de Lune – au Nobel. Les chiffres de base sont souvent bidon, et les statisticiens du climat – qui ont tenu congrès ces jours à Genève (www.unece.org) – le savent bien. Mais c’est au fabuleux «Forum public» de l’Organisation mondiale du commerce (www.wto.org) qu’on en a eu les exemples les plus croustillants. Une experte «de haut niveau» (et fort calée, il est vrai) a dit à un moment que «soixante pour cent des terres arables de la planète sont en Afrique». On se saisit souvent de ce genre de chiffres pour tirer des plans sur la comète. Mais à y voir de plus près, c’est «soixante pour cent des terres arables encore non exploitées»… tandis que pour les terres arables tout court, c’est plutôt de l’ordre de vingt pour cent. Encore faut-il savoir ce qu’on entend par «terres arables»: les forêts vierges en font-elles partie? Il semble que non, selon la nomenclature de l’agence idoine (www.fao.org).

Les bûcheronnes peuvent
toucher du bois

Un autre atelier du Forum fut tout aussi déconcertant: on y apprit que les pays qui étaient les plus laxistes en matière de défense des forêts étaient le Paraguay, le Nicaragua et le Cambodge. Or les deux derniers sont des démocraties «populaires» ou s’en réclament encore. Alors, faute de mieux, on peut puiser des données dans le «Paper trade journal» qu’on trouve dans toutes les bonnes brocantes: pour son septante-cinquième anniversaire en 1947, il a sorti un volume spécial où on apprend plein de choses sur l’histoire du papier. Entre autres, que le pays où cette matière fut inventée – la Chine – avait déforesté sans scrupules des provinces entières. Alors que le Japon avait toujours veillé à renouveler ses forêts… les hommes coupant, les femmes plantant! On n’a pas évoqué ce genre de travail «genré» au Conseil des droits de l’homme qui a dominé la Genève internationale en septembre.

Tout ira bien à la millième erreur

Ne pas avoir de réponse soi-même n’empêche d’ailleurs pas les militants des droits humains de se plaindre quand les pouvoirs publics ou privés n’en ont pas davantage. Ainsi, au Forum, dans un amusant scénario de fiction sur l’avenir de notre ordre planétaire, une fondation (www.fes.de) a mis en cause l’officialité politique et commerciale. Mais pourquoi sommes-nous dans l’impasse après deux Déclarations des droits de l’homme, trois grandes Révolutions, cent Décolonisations… et même un Friedrich Ebert Président?… personne n’a la réponse et tous fuient la question.

 

Boris Engelson

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