Le nudge vert est une incitation, au sein d’un groupe, à adopter un comportement plus respectueux de l’environnement.

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Nouveauté écologique

Les nudges verts pour révolutionner nos comportements

28 Sep 2022 | Articles de Une

Le nudge – ou coup de pouce en français – a pour objectif d’aider les utilisateurs à prendre les bonnes décisions par de simples incitations, sans interdire ou restreindre les choix. Cette théorie a pris son envol en 2008 avec Cass Sunstein et Richard Thaler, prix Nobel d’économie 2017. L’Institut Paris-Ile de France en a fait une intéressante présentation, que nous reproduisons ici.

Les nudges sont les résultats tangibles de l’économie comportementale, qui postule que l’«homo economicus» n’est pas un agent rationnel. Le nudge implique un changement comportemental, pas seulement un changement d’image. Son enjeu n’est pas de créer une motivation, mais bien de faire basculer les individus de l’intention à l’action. L’intention se crée par la pédagogie et la communication. L’action se crée, elle, par la bascule comportementale.
Sunstein rappelle qu’il existe plusieurs types de nudges, comme la règle par défaut, la simplification, l’alerte, les pense-bêtes, le rappel des normes sociales, l’amélioration de la facilité et de la commodité… et les expériences ont montré que certains avaient plus d’effets que d’autres, selon les champs dans lesquels ils s’appliquent. Pour Sunstein, l’architecture de choix mise en place doit être transparente, c’est-à-dire explicitée aux utilisateurs.

La mouche d’Amsterdam

Le nudge vert est l’émulation écologique qui décrit une «incitation, par effet d’entraînement au sein d’un groupe, à adopter un comportement plus respectueux de l’environnement», selon la Commission générale française de terminologie et de néologie. Le nudge le plus connu du grand public est celui de l’aéroport d’Amsterdam Schiphol. En plaçant un autocollant avec une fausse mouche au fond des urinoirs, afin d’inciter l’utilisateur à mieux viser, cela a eu pour effet d’augmenter la concentration des hommes et … de réduire de 80% les dépenses de nettoyage des toilettes masculines.
En Suède, un site internet, en partenariat avec Volkswagen, a mis en place une action très ludique, pour inciter les usagers à l’effort physique: dans une station de métro de Stockholm, les marches d’un escalier ont été transformées en piano géant. Lorsque les piétons l’empruntent, l’escalier fait entendre des notes de piano. Ce dispositif original et sonore a séduit: l’escalier, ainsi customisé, a enregistré une hausse de fréquentation de 66%!

Imitation sociale

Une autre influence majeure de nos choix, c’est la norme sociale. Nous avons tendance à reproduire les comportements de nos amis, voisins, collègues.
C’est sur ce biais que jouent certains hôtels dans les salles de bains. Ainsi, on trouve sur le miroir une petite affichette où il est écrit: «75 % des personnes ayant occupé cette chambre avant vous ont utilisé leurs serviettes de toilette plusieurs fois. Vous pouvez les rejoindre en réutilisant vos serviettes durant votre séjour. Vous protégerez l’environnement». L’efficacité du nudge est prouvée: selon une étude, de 35% à 75% des clients accepteraient de garder leurs serviettes plusieurs jours sans les laver.
«L’information mentionnant le comportement d’autrui est devenue une norme sociale bien plus efficace que les appels traditionnels à la préservation de l’environnement», remarquait le Centre d’analyses stratégiques français dans sa note d’analyse proposant d’inciter à développer davantage les nudges dans l’Hexagone.

Piste haut-savoyarde

Créé en 2008 par l’association Prioriterre (Haute Savoie) dans le cadre du projet européen Energy Neighbourhood, le défi «Familles à énergie positive» propose au grand public de se mobiliser afin de lutter efficacement contre les émissions de gaz à effet de serre et réduire les factures d’énergie.
Le défi propose à des volontaires, réunis en équipes et menés par un capitaine, de faire le pari de réduire d’au moins 8% leur consommation d’énergie et d’eau, particulièrement durant l’hiver, en adoptant des gestes simples au quotidien, faciles à réaliser et qui ne demandent aucun équipement particulier, et tout en étant accompagnés par une structure locale. Celle-ci fournit des conseils, voir des appareils de mesures, interrupteurs de veilles ou économiseurs d’eau. La durée du défi est suffisamment longue pour pouvoir ancrer de nouveaux réflexes.
Entre 2008 et 2015, plus de 30 000 comptes ont été créés. Les équipes ont permis de réaliser 12% d’économie en moyenne sur les consommations énergétiques, soit environ 200 euros par an, par foyer, sans investissement financier, ainsi qu’une économie d’eau de 13% en moyenne, le tout ayant permis d’éviter l’émission de 1400 tonnes/équivalent CO2. Le projet est dorénavant coordonné au niveau national.

De Lyon à Paris

Le projet EcoEnergique@INSA se déroule à Lyon dans deux résidences estudiantines jumelles de 350 lits chacune. Afin de connaître au mieux les habitudes et les motivations des étudiants vis-à-vis des gestes écoresponsables à adopter, un questionnaire a été envoyé aux résidents au mois d’octobre 2018. Les étudiants ont pu découvrir à leur retour de vacances de Noël des nudges sous forme d’autocollants incitant les usagers à réduire leur consommation d’eau. Un d’entre eux utilise le rhinocéros, mascotte de l’INSA (Institut national des sciences appliquées). Un autre invite les habitants des résidences à régler leur thermostat de façon à faire des économies d’énergie.
Dans le cadre du concours Réinventer Paris, se construit le premier immeuble nudge: 130 logements sur 8500 m² et 550 m² de commerces de proximité, avec pour but de diffuser des écogestes au quotidien et de renforcer le lien social entre voisins.
Terrasses partagées, buanderies communes, chambres d’hôtes, bibliothèque, atelier de réparation… visent à élargir les parties communes. Après avoir réalisé une étude sur des ménages parisiens, l’opérateur a décidé de trouver des solutions pour remédier aux freins qui nous empêchent de penser à la planète: lever le poids des habitudes, le caractère rébarbatif des écogestes et augmenter la responsabilisation. Pour cela, le promoteur (Ogic) propose de mettre des autocollants dans nos appartements pour nous rappeler de couper l’eau quand on se lave les dents, d’équiper les douches de pommeaux lumineux qui diffusent une lumière rouge au bout de sept minutes et de mettre des interrupteurs électriques généraux près des lits dans les chambres ou à l’entrée, pour couper tous les dispositifs en veille.

Des limites, mais…

Les nudges sont complémentaires d’autres approches comme l’information, la fiscalité, la réglementation. Les conditions de réussite du nudge sont de créer une communauté, un récit et une fierté locale, car sa réussite passe évidemment par sa pérennisation pour qu’il soit efficace.
Enfin, certains relèvent de nombreuses limites pour les nudges comme le caractère éphémère de certains nudges qui ne changent pas toujours les habitudes, la présence d’effets pervers, par exemple l’effet rebond (un comportement plus vertueux adopté grâce à un nudge peut entraîner une moindre vigilance par ailleurs), les questions éthiques… dont la possibilité d’être manipulé. Cependant, on peut penser que cet outil a un formidable potentiel à partir du moment où il est ancré dans une vision politique de long terme.
Toujours est-il que le côté moderne et ludique de ces «coups de pouce» à la française ou à la nordique tranche agréablement sur les affiches fédérales de type Covid invitant les Suisses à éteindre la lumière…

 

François Berset, avec l’IPIdF