Mungo Park.

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Légendes géographiques

Les montagnes imaginaires

13 Juil 2022 | Culture, histoire, philosophie

Pendant près d’un siècle, les atlas géographiques et des articles de journaux ont représenté et mentionné l’existence d’une immense chaîne de montagne située en Afrique, nommée «les Monts de Kong». Pourtant, elle n’avait aucune réalité physique, pas plus que les «Montagnes de la Lune» dont on parlait depuis l’Antiquité…

En 1795, un explorateur écossais nommé Mungo Park décida de remonter le fleuve Niger et d’explorer cette région. Son voyage ne fut pas de tout repos. D’abord, l’expédition tomba dans plusieurs embuscades, puis Park fut capturé. Après quatre mois de captivité, il réussit à s’évader. Tombé sérieusement malade, il continua malgré tout et, en août 1796, il remarqua au loin une montagne qui lui sembla immense. Ses guides lui expliquèrent qu’elle se situait dans le royaume de Kong (Côte d’Ivoire actuelle), ce qu’il nota aussitôt dans ses carnets.
Toujours malade et épuisé, Park rentra en Grande-Bretagne et publia le récit de son voyage. Il corédigea l’ouvrage avec le géographe James Rennell, qui se chargea également des cartes. Bien que Park ne la mentionne pas lui-même dans le livre, Rennell n’hésita pas à représenter cette vaste chaîne de montagnes couvrant un millier de kilomètres et faisant une sorte de ligne de partage entre le bassin du Niger et le Golfe de Guinée. Il la nomma «Mountains of Kong», tout en décrivant leur belle couleur avec des reflets bleutés… C’est ainsi que la plupart des ouvrages géographiques publiés au XIXe siècle reprendront ces indications.
Il faut préciser que depuis l’Antiquité, géographes et voyageurs mentionnaient une autre chaîne de montagnes, celle de la Lune, où ils situaient également les sources du Nil. Sur certaines cartes, on voit d’ailleurs que les monts de Kong sont prolongés par ceux de la Lune pour former une chaîne traversant toute l’Afrique d’Est en Ouest. Ajoutons encore que beaucoup pensaient que le Nil et le Niger avaient une source commune.

«Les Monts de Kong», une chaîne de montagnes qui n’a jamais existé, pas plus que les «Montagnes de la Lune»! (carte John Cary, 1805).

La fin du mythe

En 1857, Richard Francis Burton et John Hanning Speke (qui découvrit le lac Victoria) partirent en expédition à la recherche des sources du Nil. Ce sont eux qui révélèrent l’inexistence des montagnes de la Lune, mais, en revanche, ils ne parlèrent pas des Monts de Kong. Après l’expédition, les deux hommes finirent par se haïr et devinrent de farouches ennemis. Les ouvrages géographiques et la presse continuèrent donc à parler des fabuleuses montagnes dites de Kong et même Jules Verne les évoquera dans «Robur le Conquérant», en 1886. De nos jours, certains supposent que Rennell a inventé ces Monts pour accréditer ses thèses sur le bassin du Niger. Il existe pourtant une autre piste; Rennell, comme beaucoup de géographes de la fin du XVIIIe siècle, aimait bien faire coïncider les récits de voyageurs avec ceux de leurs homologues de l’Antiquité, du Moyen Age et de la Renaissance.
Or, un ouvrage intitulé «Description de l’Afrique», publié à Venise par Léon l’Africain en 1550, montrait une chaîne de montagnes située plus ou moins au même endroit. Elle n’était cependant pas nommée. Thomas Bassett et Philipp Porter, dans «The Moutains of Kong on the cartography of West Africa» (1991), étudièrent près de 300 cartes anciennes (à partir du XVIe siècle) et montrèrent qu’il existait une tendance générale à la représentation d’une montagne, non nommée, au même endroit où Rennell situera plus tard les Monts de Kong. Toutes ces indications, ajoutées au récit de Park, auraient mené James Rennell à les représenter et à les baptiser. Il faudra attendre 1886 pour qu’un explorateur français, Louis-Gustave Binger, décide de partir à la recherche de ces fameux monts. Le 20 février 1888, il arriva dans la ville de Kong et chercha en vain une grand chaîne de montagnes! Il fallut se rendre à l’évidence: elle n’existait pas.
L’information finit par se répandre et, peu à peu, les nouvelles publications n’en firent plus mention. Il faut dire qu’au début du XIXe siècle, si les côtes et certaines régions de l’Afrique étaient bien connues des Européens, l’intérieur du continent était largement inexploré. Or, l’inconnu a toujours excité l’imaginaire, créant mythes et autres récits fabuleux.

 

Frédéric Schmidt