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Les Dix plaies d’Egypte ont un bon taux de croissance

2 Avr 2025 | Articles de Une

De quoi mouraient ou souffraient les Anciens? Comme nous, de vieillesse, de maladie, de faim ou de soif, des guerres, du travail, d’accident, de chagrin voire de honte. On peut mettre de l’ordre à une telle liste, selon que le malheur vienne du destin ou des hommes, puisse être prévu ou nous tombe dessus, ait un remède ou soit sans appel. Dans les grandes lignes, ces fléaux sont les mêmes de nos jours: ce qui a changé, ce sont les réponses, les acteurs, la vitesse, la distance et surtout… l’information qui fait que toute la planète se mêle de toutes les crises pour toutes les raisons, sous l’effet de toutes les larmes. Un atelier très imagé – dans le cadre d’un forum «humanitaire» – a classé les risques par métaphores… animales. Mille débats peuvent sortir de la gueule de ces quatre bêtes: «Anticipating Chaos» (c’était le nom de la séance) pourrait servir d’exercice annuel à tous les parlements et ministères de la planète.

Le cadre de cette séance était une «Humanitarian Networks Partnership Week» des Affaires humanitaires des Nations Unies. Mais ce qui rend (elle se tient chaque année) ladite Semaine hors norme, c’est qu’elle ne s’adonne pas au prêchi-prêcha: au contraire, sa myriade de petits débats offre aux gens de terrain l’occasion de partager leurs doutes, questions, frustrations, entre pairs et sans tabou. Mais l’atelier «Anticipating Chaos» poussa le bouchon un peu plus loin, avec même en sous-titre «No one expects the Spanish Inquisition» (clin d’œil à Monty Python). On va s’en tenir à deux ou trois de la vingtaine de pages du document: à commencer par les quatre métaphores.

La grenouille, plus gros risque que le rhino

Le Cygne Noir désigne les problèmes si rares qu’on n’y pense même pas jusqu’à ce qu’ils arrivent. Le Rhino Gris, c’est un animal plus connu mais qu’on laisse courir jusqu’au coup de corne. La Grenouille qui Bout semble vivre à l’état normal avant la crise fatale. Quant au Roi Dragon, c’est un fléau inédit tombé du ciel. Dennis King (le maître de l’atelier) a donné des exemples: pandémie pour le Cygne Noir, cyclones pour le Rhino gris, comète ou nucléaire pour le Roi Dragon (il fut plus vague avec la Grenouille qui Bout, mais on est là en plein «climat»). Exemples discutables, et c’est ce qui rend l’exercice stimulant.

Enragé ou engagé?

Une liste de crises «surprises» passées complétait le tableau: la chute du régime Assad, le triomphe des Talibans, un déluge d’eau sur la Lybie, l’attaque russe contre l’Ukraine, un double séisme en Turquie, la pandémie de Covid… et des images chocs annonçaient pire pour l’avenir: effondrement de l’internet, méga-sinistre dans une mégapole, tueries apocalyptiques, chaos humanitaire menant au pillage. Et le pire surgit souvent dans le flou des frontières entre toutes ces catégories: la Covid fut-elle une vraie surprise, après tant de pandémies virales? Pourquoi – en 2004 – la radio n’a-t-elle pas lancé l’alerte entre le moment du séisme et le raz-de-marée? Et au moment du débat avec le petit public, on ne sut trop s’il fallait traiter Donald Trump de «chaos final», de «fléau de Dieu» ou de «rebelle engagé».

Les urbains sont coincés

Au Palais des Nations ces jours, on a aussi parlé d’armes nucléaires «intelligentes» et de traité sur les armes biologiques. On va donc étoffer le danger des bombes atomiques par des questions de plus. Imaginons une «intelligence artificielle» si futée qu’elle puisse lire les arrière-pensées du Président ennemi (ou d’autres signes plus diffus – socio-éco – dans la société). Si le système y voit une alerte mortelle et lance l’attaque, il aura peut-être sauvé le «monde libre», mais ne pourra jamais le prouver. Tout autre cas de figure: que faire dans une grande ville contre une bombe A «sous le tapis» (cachée dans un camion ou un avion)? Et si on l’apprend à temps, comment évacuer une ville de dix millions en trois heures? «Il y a une liste de gens «essentiels» à sortir de là en priorité», paraît-il. Mais si les autres meurent, les «essentiels» le seront à qui? Il y aurait une pièce de théâtre à écrire sur la vie des «essentiels» sur une île ou un pic. De toute façon, dans quinze milliards d’années, l’Univers implosera; mais un croyant dira «pas sûr, on a le temps de prier».

Le paysan sent le temps, le lettré est dans le vent

«Anticipating Chaos» est un outil de débat plus qu’une série de recettes; les «solutions», on les laisse aux candidats d’élection et aux chercheurs experts; qui ont toutefois un biais, voire un devoir d’optimisme: les Cassandre ne font guère carrière, et la chanson «C’est normal» d’Areski et Fontaine l’illustre de manière cocasse (rappel: «The Black Swan» – animal pas si rare mais hors norme comme le lilas blanc – fut le titre d’un livre de Nassim Nicholas Taleb; voir aussi «Warnings» de Richard A. Clarke et R. P. Eddy ainsi que «Humanitarian Futures» de Randolph C. Kent).

 

Boris Engelson

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