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LA CHRONIQUE JURIDIQUE de Me Patrick Blaser - Nouvel arrêt du TF sur les éoliennes

Les crêtes du Jura en sursis

8 Mai 2024 | Articles de Une

Dans un article paru dans Le Journal de l’Immobilier N° 61, du 18 janvier 2023, notre chroniqueur juridique, Me Patrick Blaser, avait commenté un arrêt de principe rendu par le Tribunal fédéral (1C_407/2020), suite à plusieurs recours déposés contre la construction d’éoliennes prévues sur le site du col du Mollendruz. Au grand dam des associations de protection des paysages, le Tribunal fédéral avait finalement jugé dans son arrêt que la nécessité de construire des éoliennes l’emportait largement sur celle de protéger les paysages.

Dans la lancée, le Tribunal fédéral vient récemment de rendre un nouvel arrêt (1C_458/2022) suite à un recours déposé par différentes associations de protection de la nature dirigé contre un nouveau projet d’éoliennes dont la construction est également prévue sur les crêtes du Jura, mais cette fois-ci entre le Mont d’Or et le sommet du Suchet.
Relevons d’emblée que dans cette nouvelle affaire, le Tribunal fédéral a admis le recours, ce qui est suffisamment rare pour être relevé. Cela étant, cette «victoire» des recourants risque cependant de ne constituer qu’un succès d’étape.
En effet le Tribunal fédéral, en admettant le recours, n’a toutefois pas purement et simplement annulé l’arrêt cantonal vaudois contesté, lequel avait avalisé le projet d’éoliennes, mais a uniquement réformé cet arrêt en invitant les autorités concernées à revoir leurs copies en complétant l’instruction de leurs dossiers sur différentes questions techniques évoquées par le Tribunal dans son arrêt.
En bref, il pourrait en fait ne s’agir là que d’un retour à la case départ pour permettre aux autorités vaudoises de donner de meilleures bases à leur projet d’éoliennes, de telle sorte qu’il puisse être avalisé par la suite par le Tribunal fédéral en cas de nouveau recours.

Les détails du projet

Mais, en l’état, de quoi s’agit-il? Les communes vaudoises de L’Abergement, de Ballaigues et de Lignerolle ont adopté le 12 mars 2018 un Plan partiel d’affectation (ci-après: PPA), et son Règlement d’application, prévoyant la construction d’un parc de neuf éoliennes, au lieu des treize initialement prévues, situé entre le sommet du Suchet et le Mont d’Or. Lesdites éoliennes peuvent atteindre une hauteur de 210 mètres et produire entre 65 et 80 GWh par année. Les défrichements liés au PPA portent sur plus de 60 000 m2.
Le 22 octobre 2019, le Département vaudois compétent a approuvé le PPA intercommunal. Saisi d’un recours déposé notamment par plusieurs associations de protection de la nature, ainsi que par la Commune française de Jougne, la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal vaudois a, le 28 juin 2022, rejeté le recours et confirmé les décisions communales et cantonales contestées.
Une partie des recourants ont alors saisi le Tribunal fédéral d’un recours concluant à l’annulation de ces décisions, liées au PPA contesté. A titre d’arguments principaux, les recourants ont fait valoir que l’étude d’impact sur l’environnement (EIE) prise en considération dans le cadre du PPA serait incomplète en ce qui concernait les effets du projet sur plusieurs genres d’oiseaux et les oiseaux migrateurs, ainsi que sous l’angle de la protection des eaux.

Pesée d’intérêts: énergie
renouvelable contre paysage!

Dans le cadre de son arrêt, le Tribunal fédéral rappelle que les autorités concernées sont tenues de procéder à une pesée complète des intérêts lors de l’approbation d’un Plan d’affectation comme celui du cas d’espèce.
Dans ce contexte, et sur un plan général, les autorités doivent préalablement déterminer les intérêts concernés et les apprécier en fonction du développement spatial envisagé et des implications qui en résultent. Les autorités doivent fonder leur décision sur cette appréciation en tenant compte de tous les intérêts déterminants, publics mais aussi privés, ainsi que des principes généraux de planification et les éléments concrets de chaque espèce.
Les constructions envisagées, soit en l’espèce neuf éoliennes, doivent être compatibles avec les dispositions en matière de protection de l’environnement. Dans ce cadre, une étude d’impact sur l’environnement (EIE) doit être menée conformément aux procédures prévues par le droit fédéral et le droit cantonal (notamment la loi fédérale sur la protection de l’environnement et son ordonnance d’application). Cette étude d’impact peut se dérouler en plusieurs étapes.
S’agissant de Plans d’affectation spéciaux consacrés à l’implantation de parcs éoliens, ceux-ci doivent définir le nombre, la taille et l’emplacement des éoliennes, ainsi que les autres modifications apportées au territoire, à l’environnement et au paysage (par exemple le défrichement et les voies d’accès).
Par ailleurs, dans la perspective de cette pesée des intérêts, la production énergétique projetée et sa faisabilité environnementale doivent être dûment évaluées.

Grave atteinte au paysage:
argument rejeté!

Dans le cas qui nous occupe, les recourants ont mis en exergue que le parc éolien envisagé portait atteinte au paysage, puisque le projet d’éoliennes concerné était appelé à s’implanter dans les pâturages boisés de la haute chaîne jurassienne nord, qui fait partie de l’inventaire des monuments naturels et des sites. Par ailleurs, ce site d’éoliennes serait visible en même temps que deux autres parcs éoliens (Sur Grati et Mollendruz).
A ce propos, la Cour cantonale avait rejeté ces arguments, en jugeant que l’intérêt public à la protection du paysage devait céder le pas dans ce cas devant l’intérêt à la production d’énergie renouvelable. De son côté, le Tribunal fédéral s’est également montré sourd aux arguments développés sous cet angle par les recourants à l’encontre de la décision cantonale. Manifestement la protection des paysages ne pèse aujourd’hui pas lourd face aux besoins en énergies renouvelables.
Et cela même si des éoliennes de 200 mètres de haut défigurent de manière évidente des dizaines de milliers de m2 de sites naturels.

La protection des oiseaux:
un peu plus de considération

En revanche, les arguments des recourants liés à la protection de l’avifaune ont rencontré un meilleur écho auprès du Tribunal fédéral. Selon ce dernier, la question de la protection de l’avifaune doit en effet faire l’objet d’investigations aussi complètes que possible; et cela déjà au stade de l’élaboration du Plan d’affectation, c’est-à-dire sans attendre d’en être au stade du permis de construire.
A ce propos, le Tribunal fédéral a souligné que la découverte d’une espèce menacée par la présence d’éoliennes pouvait en effet conduire à la renonciation ou au déplacement d’une ou plusieurs éoliennes et entraîner un redimensionnement du parc éolien dans son ensemble.
Certes, la situation est toujours susceptible d’évoluer. Néanmoins, il s’impose que, déjà au stade du Plan d’affectation, on en ait une définition la plus précise possible, afin de pouvoir déterminer si à ce stade, les mesures légales de protection, de reconstitution et de remplacement sont à tout le moins assurées. Le Tribunal fédéral exige par conséquent que l’autorité planificatrice se fonde sur une analyse exhaustive des éléments pertinents. Tout en admettant que compte tenu de la durée des procédures de planification des parcs éoliens, il restera toujours possible de tenir compte, dans le cadre de la procédure d’autorisation de construire, d’éventuelles modifications importantes survenues entre-temps.
Or dans le cas d’espèce, la Cour cantonale avait considéré que les investigations supplémentaires, qu’elle avait constatées devoir être faites, pouvaient encore avoir lieu au stade de l’autorisation de construire et non à celui du Plan d’affectation.
Dans ce cadre, le Tribunal fédéral n’a pas partagé cette approche de la Cour cantonale et exigé que les investigations complémentaires relevées par ladite Cour soient effectuées au niveau du Plan d’affectation déjà et non au stade postérieur de l’autorisation de construire.

Bécasse des bois, milan royal, aigle royal et grand-duc à l’honneur

Ainsi, sous l’angle de la protection des oiseaux, les recourants ont eu la main, ou l’argument, plus heureux que sous l’angle de la protection des paysages.
Le Tribunal fédéral ne s’est en effet pas privé de donner, à l’instar de la juridiction cantonale, une véritable leçon d’ornithologie avec, à la clef, un renvoi aux autorités cantonales, à charge pour elles de procéder à des investigations complémentaires concernant la protection des oiseaux.
Ainsi, s’agissant de la bécasse des bois (espèce d’oiseau nicheur menacée en Suisse), le Tribunal fédéral a estimé que des investigations complémentaires devaient être menées, afin de s’assurer que l’implantation de l’une ou de l’autre des éoliennes soit suffisamment éloignée des sites de nidification et des aires de croule (chasse à la bécasse).
S’agissant du milan royal (espèce prioritaire mais non menacée), de l’aigle royal (espèce prioritaire potentiellement menacée) et du grand-duc d’Europe (espèce vulnérable), le Tribunal fédéral a également jugé que des investigations supplémentaires devaient être effectuées pour déterminer, respectivement, leurs sites de dortoirs hivernaux et leurs sites de nidification, notamment sur les falaises du Mont d’Or.
S’agissant des oiseaux migratoires, le Tribunal fédéral a considéré, à l’instar de la Cour cantonale, que des investigations complémentaires devaient aussi être menées en ce qui concernait en particulier leurs migrations nocturnes et la dangerosité provoquée par les éoliennes, ce d’autant plus que la hauteur de certaines éoliennes ascend à 210 mètres.
Plus que la protection des paysages, c’est par conséquent celle des oiseaux qui est venue au secours des recourants. Le dossier est par conséquent renvoyé aux autorités cantonales, pour que ces dernières complètent leurs études d’impact, sous l’angle notamment de la protection de l’avifaune. Cela fait, il y a de fortes chances que le projet d’éoliennes, le cas échéant revu et corrigé, finisse par retourner au Tribunal fédéral pour obtenir son aval définitif.
Donc… affaire à suivre !

 

Patrick Blaser
Avocat associé,
Etude Borel & Barbey, Genève
patrick.blaser@borel-barbey.ch

Patrick Blaser.