Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau
L’ennui du dimanche après-midi
On pourrait croire que
lorsqu’on est conscient de
son ennui, on ne s’ennuie
plus, mais c’est faux.
Jacques Prévert, dans «Tentative de description d’un dîner de têtes à l’Elysée», termine ainsi: «Le soleil brille pour tout le monde, il ne brille pas dans les prisons, il ne brille pas pour ceux qui travaillent dans la mine (…) ceux qui crèvent d’ennui le dimanche après-midi parce qu’ils voient venir le lundi et le mardi et le mercredi et le jeudi et le vendredi et le samedi et le dimanche après-midi».
Le dimanche semble cumuler plusieurs types d’ennui:
1. L’ennui-désœuvrement. Tout le monde a ressenti le contraste: le dimanche après-midi manque de rythme, de bourdonnement autour de soi. On a besoin de sentir le monde qui s’active et voilà qu’on ne sait trop que faire. Le dimanche, par son côté plus alangui, plus désœuvré, est vecteur d’ennui. Un engourdissement s’installe.
2. L’ennui environnemental. Vous connaissez ces soirées en compagnie de gens ennuyeux. Votre voisin de gauche raconte des histoires d’une platitude torride, votre voisine de droite n’ouvre pas la bouche et vous sourit niaisement. Le dimanche, nous sommes souvent entourés de gens inactifs qui ressentent la même chose que nous et qui tâchent de donner le change pour camoufler cette hébétude qui se voit terriblement.
3. L’ennui métaphysique (le spleen). Quelque chose de las et de mou, de visqueux vous envahit au détour d’un geste, d’une parole. On songe à Sartre ou au tableau de Dali, «Les Montres molles». Cela n’arrive pas tout le temps ni en tous lieux, mais le dimanche après-midi ces déclencheurs de spleen sont favorisés, sans doute suscités par la petite angoisse du lundi matin, qui se profile malgré nous. Mêmes les occupations ordinaires ont perdu de leur intérêt et les multiplier ne sert à rien.
Le jour de repos tant attendu durant la semaine est habité par cette sensation de langueur. On pourrait croire que lorsqu’on est conscient de son ennui, on ne s’ennuie plus, mais c’est faux. Inutile de remplacer le vide par le vide, parce qu’au final, l’ennui est une grande dimension de la réalité humaine, car le soleil ne brille pas sans discontinuer.