construction - Congrès de Cobaty à Nancy
L’eau au cœur des débats
Chaque année, la Fédération internationale Cobaty, qui regroupe près de cinq mille professionnels liés à l’acte de construire et compte plus de cent trente associations principalement en France, mais aussi en Suisse (Genève, Lausanne-Vaud et Neuchâtel) et dans plusieurs autres pays, organise son Congrès dans une ville différente. Lausanne l’a accueilli en 2001, Genève en 2017, et c’est à Nancy que près de 900 «cobatystes» se sont réunis cet automne pour parler de l’eau. Notre rédacteur en chef Thierry Oppikofer, ancien président de la Fédération, a animé les débats et interviews.
Rigueur et précision, avec une touche de modestie et une convivialité sincère: cette définition qui pourrait être helvétique s’applique parfaitement aux organisateurs lorrains, qui ont mis sur pied cet événement de façon bénévole et enthousiaste, selon la tradition de cette fédération apolitique, interprofessionnelle et attachée au partage de compétences en vue d’un cadre de vie plus harmonieux. Le thème général, «L’eau, la vie, la ville», a d’abord donné lieu à une ouverture pleine de pep et d’esprit: quatre fois ministre, écrivain, star de télévision, Roselyne Bachelot a confié sans langue de bois combien faire passer et surtout comprendre le principe de précaution et celui de pollueur-payeur au niveau constitutionnel avait été difficile. Rompue aux stratégies politiques, cette femme brillante à l’humour décapant a réglé pas mal de comptes avec les lobbies politiques – y compris celui de la construction! – dans un échange dynamique avec Thierry Oppikofer.
Le statut de l’eau
Suivit une première table ronde, titrée «A qui appartient l’eau?» et qui permit à l’éminent juriste Bernard Drobenko de rappeler que l’eau n’appartenait juridiquement à personne. Après d’autres textes,
l’article 1er de la Loi française sur l’eau de 1992 soumet son usage à l’arbitrage des autorités, qui doit déterminer qui a le droit non pas de posséder l’eau, mais de l’utiliser. Avec d’autres autorités académiques, Bernard Drobenko est co-auteur du Code de l’eau (2000). La France a établi son système cohérent de bassins et de sous-bassins, ses normes de pureté de l’eau domestique et de baignade, ainsi que des règles strictes pour l’usage industriel de l’«or bleu». Le droit européen a aussi influé sur l’évolution du cadre hexagonal.
L’agronome Marc Benoit, directeur de recherche à l’INRA (Institut national de recherche agronomique) a souligné la nécessité de règles strictes, tandis que l’économiste Olivier Petit, de l’Université d’Artois, rappelle que le Code de l’eau estime que cette ressource «n’est pas un bien marchand comme les autres, mais un bien commun de la Nation», ce qui sous-entend que c’est… un bien marchand, simplement différent des autres! A Dublin en 1992, une conférence internationale d’experts affirmait d’ailleurs que l’eau était un «bien économique». Le professeur des Universités parisien David Blanchon, qui a étudié les statuts de l’eau de nombreux pays, souligne pour sa part la diversité des approches, qu’il convient aussi de respecter. Il n’y a pas de modèle global de gestion de l’eau qui couvrirait les nécessités des oasis du Maroc, des marais de Floride et des montagnes d’Afrique du sud.
Roselyne Bachelot et Thierry Oppikofer.
Des objectifs (trop) ambitieux?
Une chose est sûre, a dit Bernard Drobenko, c’est que les objectifs de l’UE sur la qualité de l’eau ne sont jamais atteints, par aucun Etat membre. Le débat permit de souligner que l’être humain n’étant pas le seul utilisateur légitime de l’eau, il en était cependant responsable vis-à-vis des autres formes de vie. Marc Benoit appelle les bâtisseurs à faire en sorte que l’eau qui «sort» des immeubles et des usines soit la moins endommagée possible. Au passage, la privatisation de l’eau est qualifiée d’échec patent. Enfin, la fermeture annuelle de 400 captages en France (sur 30 000, heureusement) indique que l’eau consommée en ville vient de lieux de plus en plus éloignés en campagne. Bernard Drobenko répond que la première loi protégeant les captages en France date de 1898, mais qu’à ce jour, seuls 60% sont vraiment sous protection.
Et le juriste de souligner que dans l’Agenda 21 de Rio, au chapitre consacré à l’eau, il était prescrit d’«adapter les activités humaines à la capacité limite des milieux». Si on le faisait, il n’y aurait pas de problème de gestion équilibrée de la ressource. Le Code de l’environnement français prévoit ainsi une priorité absolue pour la consommation humaine et pour la sécurité publique, puis on est censé répartir les usages en fonction des qunatités disponibles.
Question de fromage
Pour David Blanchon, la gestion équilibrée d’aujourd’hui, qui n’est déjà pas parfaite, ne sera de toute manière plus équilibrée du tout au fur et à mesure du dérèglement climatique. Si on endigue les fleuves suite à des inondations ou qu’on construit des bassines pour prévenir la sécheresse, on ne tient pas compte de divers autres aspects: zones humides, sols non artificiels, nappes souterraines. En somme, on ne gère qu’à court et moyen termes. Tout attendre de la technologie, par exemple de purification de l’eau, n’est pas une solution.
Marc Benoit prend un exemple fromager: manger du comté d’origine contrôlée, c’est favoriser un produit naturel, les herbages du Jura, et ne rien rejeter de mauvais dans l’eau. Manger de l’Emmental breton (si, cela existe!), c’est favoriser une production fondée sur le maïs dévoreur de masses d’eau et truffé d’azote, voire de soja brésilien. On en retrouve les conséquences sous formes d’invasion d’algues vertes. Et l’homme de l’INRA d’inviter les constructeurs à imaginer des systèmes permettant de récolter les urines des habitants pour en faire des fertilisants naturels moins nocifs que l’azote.
Vincent Naville
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