Les voleurs manquent de formation!

/

hors champ

Le vol sans voleur

22 Juin 2022 | Articles de Une

Dans cette rubrique, on s’en prend souvent aux «faussaires» de la politique, de la culture, voire de la science. Au point d’en oublier – nous comme eux – les faussaires au sens premier: le/la criminel(le). Les chercheurs et services «sociaux» mènent nombre d’enquêtes sur diverses catégories d’«aventurières/ères», comme les migrants sans papiers, les travailleurs/euses du sexe, les séniors sans famille, les jeunes en rupture… mais guère sur les «voleurs». Quand on est soi-même victime de cambrioleurs, on aimerait en savoir plus sur le profil et les motivations de ces «travailleurs» de l’ombre.

Le simple voleur n’est pas le criminel le plus pénible: il n’a guère de sang sur les mains, à l’inverse de l’assassin ou même de maint escroc. Il ne fascine pas non plus: le cinéma s’intéresse peu à lui, sauf quand il a du panache à la Arsène Lupin. Et il faut qu’il ou elle ait une vie de roman – comme Albertine Sarrazin – pour connaître le succès littéraire. Bien sûr, au Palais de Justice, juges, parties et flics en savent long sur le milieu et sa psyché. Qui ne semblent pas susciter une grande curiosité du public ou des chercheurs. D’ailleurs, le mystère ne fait que s’épaissir à la lecture des statistiques.

De voleur à ingénieur…

Difficile de savoir combien de cambriolages sont commis en Suisse chaque année: si un homicide passe rarement inaperçu, si un vol d’auto a toutes les raisons d’être signalé, par contre un viol, une escroquerie, et à plus forte raison un vol à la tire ou par effraction sont souvent passés sous silence. Mais même en s’en tenant aux cas pris en compte par la police, on a tous les détails sur le vol, mais – à l’inverse des crimes de sang ou de sexe – on ignore tout de l’auteur. La lecture de la «Statistique policière de la criminalité» 2021 pour le Canton de Genève indique des dizaines de milliers de cambriolages par an… certes en nette diminution: près de trente-cinq mille il y a dix ans, moins de treize mille l’an dernier… alors que la criminalité numérique est en plein essor. Les cambrioleurs se sont-ils reconvertis à la criminalité numérique, après avoir fait main basse sur les bibelots dans les salons huppés et vidé les poches de l’homme ou la femme de la rue? Impossible de répondre à telle question, car…

Le masque de l’anonymat

La statistique contient bel et bien des données sur les auteurs de crimes et délits… pour peu qu’ils aient été identifiés. Mais dans le cas du vol – dans la rue, dans les maisons ou en ligne – le taux d’élucidation est de l’ordre de quinze pour cent: c’est mieux que rien, mais cela ne permet pas de savoir si ces délits sont commis par une poignée de récidivistes ou par une masse d’amateurs. Bref, le journaliste est-il plus près de la vérité quand il titre «un malfaiteur maniaque rôde en ville avec une centaine de vols par jour» ou «Un habitant de Genève sur dix est un cambrioleur: à chaque instant, au moins deux tout près de vous»? Bon, à l’impossible nul n’est tenu, et la police ne peut être blâmée de ne rien savoir sur ceux qui lui ont échappé. Même si certaines catégories – qui recoupent en partie les victimes d’addictions – sont familières aux gardiens de l’ordre.

Seul le patron est-il voleur?

Ce qui est par contre intrigant, c’est la réserve des chercheurs: «Votre questionnement n’est pas évident et nous doutons que beaucoup d’études aient été faites précisément sur les cambrioleurs», répond une infothèque spécialisée en sciences sociales. Les autres écoles censées être dans le sujet sont aussi évasives, même l’Ecole des sciences criminelles de l’Université de Lausanne. Les mendiants, eux (bien que visibles de tous et donc sans mystère), ont eu droit à leurs enquêtes, leurs colloques et même leurs controverses (voir reiso.org par exemple). Sans doute le voleur reste-t-il dans le flou, car il brouille nos catégories morales: à une réunion de voisins, une habitante dénonçait les incivilités de certains… sur quoi une militante lui dit «C’est pas beau, la délation»… à quoi la plaignante rétorqua «Et le vol, c’est beau?»… dialogue qui finit sur un silence gêné. Même les associations de victimes de violence ne font pas du cambriolage une priorité, et quand les volé(e)s se groupent en voisinsvigilants.org, c’est eux/elles qui sont suspect(e)s.

Pour l’Office du chômage,
c’est ça de gagné

Mais soyons justes: si la recherche laisse le voleur dans l’ombre, c’est aussi qu’il ne demande pas d’aide… pas même – s’il rate son coup par gaucherie – aux groupes solidaires de gauchers. D’ailleurs, il a ses défenseurs bénévoles… à preuve, les parents de Woody Allen: quand la femme de ménage puisait dans le sac de la mère, le très social père lui donnait raison. Et elle, la domestique, jugeait-elle le père social, benêt ou fautif? Les temps ont changé depuis le classique «Mais que fait donc la police?». Mais aussi depuis l’Ancien Régime, quand on condamnait à mort une servante pour le vol… d’une épingle!

 

Boris Engelson