Le locataire a l’obligation d’utiliser le logement loué avec tout le soin nécessaire.

/

LA CHRONIQUE JURIDIQUE de Me Patrick Blaser - Résiliation de bail

Le Tribunal fédéral tranche un cas complexe

19 Juin 2024 | Articles de Une

Le Tribunal fédéral a récemment rendu un arrêt concernant les conditions qui devaient être réunies pour permettre à un bailleur de résilier de façon anticipée le bail d’un locataire auquel il était reproché de n’avoir pas respecté certaines de ses obligations contractuelles. Il ressort de cet arrêt du 11 avril 2024 (ATF 4A_500/2023) que le Tribunal fédéral n’entend pas se montrer tolérant lorsqu’il s’agit de déterminer si les violations par un locataire de ses obligations contractuelles justifient, ou non, la résiliation anticipée de son bail par le bailleur.

Dans le cas d’espèce jugé par le Tribunal fédéral, le bailleur avait résilié avec effet immédiat le bail de son locataire, au motif que ce dernier ne lui avait pas transmis, malgré la demande de son bailleur, une attestation établissant qu’il avait bien, conformément à ses obligations, conclu une assurance responsabilité civile. Cette demande du bailleur faisait suite à des dégâts dans l’appartement, dont s’était plaint le locataire.
Cette résiliation avait d’abord été annulée par le Tribunal cantonal des baux du Canton de Vaud. Toutefois, suite à l’appel interjeté par le bailleur, la Cour d’appel civile cantonale avait annulé le jugement du Tribunal cantonal et avalisé le congé donné par le bailleur.
Le locataire a dès lors saisi le Tribunal fédéral d’un recours en matière civile contre l’arrêt de la Cour d’appel civile cantonale. Mais sans succès, puisque le Tribunal fédéral, dans son arrêt du 11 avril 2024, a avalisé la résiliation avec effet immédiat notifiée par le bailleur.
Ce n’était pourtant, juridiquement, pas gagné d’avance pour le bailleur. Loin s’en faut.
En effet, le contexte litigieux préexistant entre le bailleur et son locataire avant la résiliation du bail pouvait remettre en cause la validité de cette résiliation.

Contexte conflictuel entre bailleur et locataire

La résiliation du bail par le bailleur s’inscrivait en effet dans un contexte particulièrement litigieux, opposant le bailleur et son locataire.
Une altercation était d’abord survenue entre un proche parent du bailleur et le locataire, laquelle avait débouché sur le dépôt d’une plainte pénale par chacun des protagonistes à l’encontre de l’autre. Puis, peu après et suite à un départ de feu survenu dans l’appartement du locataire, ce dernier s’était plaint auprès du bailleur de défauts liés au système électrique de la cuisine.
Le locataire s’était, par la suite, également plaint d’autres défauts auprès de son bailleur, tels que des fenêtres défectueuses, la présence de fourmis, une panne du lave-vaisselle, des défauts à la porte d’entrée et d’autres défauts liés à l’humidité dégagée par la salle de bains. Le locataire avait avisé le bailleur de ces défauts en l’invitant à y remédier et en l’avertissant que faute de réparations, il consignerait les loyers en cours.
Pour sa part, le bailleur, compte tenu des dégâts annoncés par le locataire, avait invité son locataire à lui fournir une attestation d’assurance responsabilité civile. N’ayant pas reçu cette attestation, le bailleur avait alors résilié le contrat de bail pour la fin du mois suivant.
Auparavant, le locataire avait déjà, de son côté, saisi la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, concluant à ce que le bailleur remette en état l’appartement loué et à ce que la consignation des loyers soit validée.
L’ensemble de ces circonstances entourant la résiliation du bail était manifestement de nature à s’interroger sur la validité de la résiliation du bail avec effet immédiat notifiée au locataire.

Contexte juridique scabreux

Il convient en effet de rappeler qu’une résiliation de bail est annulable lorsqu’elle a été notifiée par un bailleur alors qu’une procédure judiciaire l’opposant à son locataire est en cours.
Or c’était bien le cas en l’espèce, puisque la résiliation avec effet immédiat du bail avait été donnée par le bailleur alors que le locataire avait demandé à celui-ci de réparer les défauts annoncés, puis avait déposé, à l’encontre dudit bailleur et auprès de la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, une demande de remise en état de l’appartement et de validation de la consignation des loyers.
Cela étant, l’annulation, même dans ces circonstances, d’une telle résiliation n’est juridiquement pas acquise lorsque le bailleur a résilié avec effet immédiat le bail de son locataire au motif que ce dernier aurait gravement violé certaines de ses obligations contractuelles vis-à-vis du bailleur.
Or, en l’espèce, le bailleur a précisément invoqué qu’il avait effectivement résilié le bail du locataire au motif que ce dernier ne lui avait pas remis une attestation de son assurance responsabilité civile et cela malgré une sommation écrite la réclamant.
Par conséquent, la question à trancher par les tribunaux était précisément celle de savoir si le fait pour le locataire de n’avoir pas donné l’attestation d’assurance responsabilité civile réclamée par le bailleur justifiait, ou non, que ce dernier puisse résilier le bail de son locataire avec effet immédiat, et cela malgré les prétentions formulées par le locataire en réparation des dégâts et la procédure de consignation de loyers qui s’était ensuivie.

Conditions de validité d’une résiliation du contrat de bail avec effet immédiat

Parmi les obligations qui incombent au locataire, qu’il s’agisse de logement ou de locaux commerciaux, le Tribunal fédéral a rappelé que le locataire avait l’obligation d’utiliser le logement loué avec tout le soin nécessaire.
Cela implique que le locataire doive utiliser son logement conformément aux clauses du contrat, soit, notamment, sans l’endommager en dehors de son usure normale.
En cas de violation par le locataire de son devoir de diligence, le bailleur peut légalement résilier le contrat de bail de façon anticipée, voire même avec effet immédiat, c’est-à-dire sans avoir à respecter l’échéance contractuelle prévue dans le contrat de bail.
La validité d’une telle résiliation est toutefois subordonnée à la réalisation des quatre conditions cumulatives suivantes:
• le locataire doit avoir violé un devoir de diligence qui lui incombe;
• le bailleur doit avoir préalablement adressé un avertissement au locataire;
• le locataire n’a pas tenu compte de cet avertissement et a persisté à enfreindre son devoir de diligence;
• une telle violation du devoir de diligence rend le maintien du bail insupportable pour le bailleur.
Lorsque ces conditions sont réalisées, le bailleur peut résilier le bail:
• moyennant un délai de résiliation d’au moins trente jours pour la fin d’un mois;
• voire même avec effet immédiat lorsque le locataire cause volontairement un préjudice grave à l’objet loué.
De chacune de ces conditions cumulatives, la jurisprudence a dessiné certains contours.
La violation du devoir de diligence reprochée au locataire, par exemple le non-respect d’une ou plusieurs clauses contractuelles ou le manque de respect vis-à-vis des voisins, doit atteindre une certaine gravité.
L’avertissement préalable du bailleur doit être adressé au locataire en la forme écrite et préciser la violation reprochée au locataire, afin que celui-ci puisse rectifier son comportement. Par ailleurs, l’avertissement doit impartir un délai au locataire pour que ce dernier se conforme à ses devoirs. En revanche, cet avertissement n’a pas besoin de comprendre une menace de résiliation en cas de persistance du comportement répréhensible.
Le bailleur ne peut envisager de résilier le bail de façon anticipée que si, malgré l’avertissement écrit, le locataire continue ou recommence à ne pas respecter son devoir de diligence.
Par ailleurs, l’attitude du locataire, qui persiste à enfreindre ses obligations, doit rendre le maintien du contrat insupportable pour le bailleur, c’est-à-dire revêtir une gravité telle que le bailleur est légitimé à résilier le contrat de bail. Ce qui s’impose en particulier lorsque le locataire occasionne volontairement un grave dommage à la chose louée.

Dans le cas jugé par le Tribunal fédéral: quid iuris?

Dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral a jugé que:• Le fait que le locataire n’ait pas remis à son bailleur, dans le délai imparti, une copie de l’assurance couvrant sa responsabilité civile constituait une faute grave. Et cela malgré le fait que le locataire était effectivement au bénéfice d’une telle assurance depuis plus de dix ans, et que le locataire se soit finalement résolu à remettre à son bailleur l’attestation de l’assurance, mais trop tardivement selon le Tribunal fédéral.
• L’avertissement du bailleur a été valablement donné, même s’il ne contenait pas de menace de résiliation et qu’il a été notifié au locataire pendant les vacances estivales.
• Enfin, le fait pour le locataire de ne pas avoir remis au bailleur l’attestation de l’assurance responsabilité civile dans le délai imparti, même lorsque celle-ci avait été dûment conclue depuis plusieurs années, était une faute suffisamment grave pour que le bailleur soit en droit de résilier le bail de façon anticipée.

Leçons à tirer de cette
jurisprudence

Il ressort principalement de cet arrêt du Tribunal fédéral du 11 avril 2024 que notre haute juridiction fédérale ne badine pas avec les obligations contractuelles du locataire vis-à-vis du bailleur. Et cela même si celles-ci sont en balance avec les dispositions relatives à la protection des locataires contre les congés, en particulier de représailles.
Dans le cadre de cet arrêt, le Tribunal fédéral a manifestement jugé qu’en l’occurrence, la faute contractuelle du locataire pesait bien plus lourd que son droit à obtenir l’annulation d’une résiliation donnée, cas échéant, à titre de représailles suite aux prétentions formulées par le locataire à l’encontre de son bailleur.
Il découle de cet arrêt que le Tribunal fédéral a drastiquement réduit le droit du locataire à pouvoir demander l’annulation d’un congé donné suite à la formulation par le locataire de prétentions découlant du bail, lorsqu’il apparaît que le locataire a de son côté gravement contrevenu à ses propres obligations contractuelles.
Pour ces raisons le Tribunal fédéral, malgré le contexte déjà litigieux entre le bailleur et son locataire avant la résiliation du bail, a considéré dans le cas d’espèce que la faute du locataire était suffisamment lourde pour permettre au bailleur de résilier le bail avec effet immédiat, sans qu’il puisse se voir reprocher d’avoir notifié un congé à titre de représailles à l’encontre du locataire qui avait fait valoir diverses prétentions contre son bailleur.
Par conséquent, le Tribunal fédéral a finalement avalisé la résiliation du bail, en outre avec effet immédiat.

 

Patrick Blaser
Avocat associé de l’Etude Borel & Barbey, Genève
Juge assesseur au Tribunal administratif
de première instance
patrick.blaser@borel-barbey.ch

Patrick Blaser.