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LA CHRONIQUE JURIDIQUE de Me Patrick Blaser - Sites naturels protégés

Le Tribunal fédéral refuse la «mise sous cloche»

8 Mar 2023 | Articles de Une

Le Tribunal fédéral a rendu récemment deux arrêts fondamentaux en matière de protection de la nature, lorsque celle-ci est confrontée aux activités touristiques sur un site naturel protégé. Ces deux arrêts du 4 janvier 2023 (1C_131/2021 et 1C_237/2021) concernent le remarquable site naturel du Creux du Van que se partagent les cantons de Neuchâtel et de Vaud.

Les activités touristiques pratiquées au Creux du Van sont-elles compatibles avec la protection de ce site naturel?

La question posée était celle de savoir si les activités touristiques pratiquées au Creux du Van et dans les Gorges de l’Areuse étaient compatibles avec la protection de ce site naturel, inventorié comme site naturel d’importance nationale.
Il est notoire que le Creux du Van, avec en particulier son cirque de falaises d’une hauteur de 400 mètres sur une largeur d’environ un kilomètre en surplomb des Gorges de l’Areuse, constitue un site admirable. Ce lieu remarquable est d’ailleurs inscrit à l’Inventaire suisse des paysages, sites et monuments naturels d’importance nationale.
Il l’est également à l’Inventaire des prairies et pâturages secs d’importance nationale.
Bien évidemment, un tel site ne manque pas d’attirer la convoitise de ceux, d’une part, qui veulent assurer la protection à tout prix et ceux, d’autre part, qui veulent pouvoir en profiter dans le cadre de leurs loisirs. En vue de concilier ces intérêts divergents, les autorités des cantons de Neuchâtel et de Vaud se sont coordonnées pour mettre en œuvre des mesures de protection de ce site, tout en le laissant ouvert au public.
Le canton de Neuchâtel a adopté de telles mesures, en date du 20 janvier 2020, dans le cadre de son Plan d’affectation cantonal «Haut-Plateau du Creux du Van». De son côté, le canton de Vaud a pris, le 21 janvier 2020, une décision de classement de différents alpages du Creux du Van situés sur son territoire.
En substance, ces décisions cantonales ont pour vocation d’assurer la conservation du paysage et la promotion de la biodiversité, tout en ménageant les activités, notamment touristiques, pratiquées de tout temps sur le site.
En particulier, ces décisions prévoient des mesures permettant de canaliser, été comme hiver, le flux de randonneurs et d’adeptes du VTT ou de l’escalade, afin de sauvegarder le site, sa flore et sa faune. Ces décisions permettent également de maintenir sur le site des activités agricoles et forestières.

Tous les recours d’Helvetia Nostra rejetés

Estimant que les mesures préconisées par les autorités cantonales étaient largement insuffisantes, l’association Helvetia Nostra a interjeté divers recours auprès des autorités cantonales concernées. Mais sans aucun succès.
Les autorités cantonales ont en effet jugé que les décisions prises permettaient de concilier l’intérêt public – la protection de la nature et du paysage – et celui de maintenir une activité touristique sur le site. En particulier, les décisions querellées ne créaient pas de nouvelles atteintes au site. Au contraire, la protection de la nature en sortait renforcée. Ne partageant pas cet optimisme, Helvetia Nostra a porté l’affaire auprès du Tribunal fédéral… sans plus de succès.
Dans ses deux arrêts du 4 janvier 2023 (1C_131/2021 et 1C_237/2021), le Tribunal fédéral a en effet considéré que les décisions cantonales contestées par Helvetia Nostra permettaient effectivement d’assurer la conservation du paysage, de sa flore et de sa faune.

Le Creux du Van: sa carte d’identité… écologique!

Dans ce contexte judiciaire, il vaut la peine de s’arrêter quelques instants sur les caractéristiques naturelles du site du Creux du Van telles qu’elles ont été mises en exergue lors de son inscription à l’Inventaire fédéral.
Outre sa falaise de calcaire abrupte formant un demi-cercle quasi parfait, le site présente un imposant plateau sommital comprenant de vastes pâturages, dits secs, avec vue dégagée sur le lac de Neuchâtel et les Alpes.
Le site présente une mosaïque de milieux très différents et contrastés, qui confèrent au paysage son aspect naturel et sauvage, lequel abrite une flore rupestre diversifiée comprenant des espèces rares et en danger (telle l’arabette auriculée). L’avifaune y est également présente, avec de nombreuses espèces. En particulier, les falaises constituent un lieu de nidification du martinet à ventre blanc unique dans tout l’Arc jurassien.
D’une façon générale, le site se caractérise par une remarquable diversité floristique et faunistique. Concernant le plateau sommital, celui-ci est couvert de pâturages boisés et de pâturages secs. Dans ce cadre, on relève la présence de pelouses mi-sèches médio-européennes, de pelouses calcaires sèches à seslérie et de pâturages maigres acides. Avis aux spécialistes!
Enfin, sur le plan historico-culturel, le Creux du Van est resté très préservé des activités humaines. Les pâturages sont parsemés de quelques chalets et sont séparés par de longs murs de pierres sèches, dont celui au bord de la falaise.
Ces descriptions concernent le côté pile du site. Mais qu’en est-il du côté face?

Les activités de loisir: une menace?

Un site aussi remarquable ne peut bien évidemment pas laisser de… calcaire les amoureux de la nature. Et ils sont nombreux! Ce sont avant tout des randonneurs, mais également des adeptes du VTT ou de l’escalade, qui sont attirés par les beautés du site.
Résultat: les lieux privilégiés des promeneurs, tel le bord de la falaise, subissent l’érosion de leur sol jusqu’à mettre la dalle à nu. De surcroît, ces mêmes promeneurs peuvent occasionner des dérangements pour la faune sauvage, notamment les oiseaux rupestres, tel le faucon pèlerin. Sans compter les déchets laissés dans les pâturages et places de feux.
L’activité agricole, qui s’est intensifiée, a aussi laissé des marques, notamment sur les alpages du Soliat et du Sétif, en portant atteinte à la composition floristique du site.
En particulier, les espèces banales l’emportent sur les espèces emblématiques, qui ont tendance à fortement régresser; comme par exemple les anémones à fleur de narcisse, la gentiane champêtre ou la gentiane de Koch.

Quelles mesures pour protéger le site?

Dans ce contexte, le Tribunal fédéral rappelle préalablement que les objectifs de protection fixés dans l’Inventaire fédéral des paysages, qui tendent essentiellement à la conservation de l’état actuel des sites protégés, n’excluent nullement, comme le voudrait Helvetia Nostra, la fréquentation du site au titre notamment des activités de loisir. Ces objectifs n’imposent en particulier ni la suppression, ni même la réduction, de la fréquentation des sites protégés par les promeneurs et autres usagers.
S’agissant du site du Creux du Van, celui-ci doit formellement être considéré comme un site naturel devant également servir au délassement du public et cette affectation doit être conservée.
Dans le cas d’espèce, et selon le Tribunal fédéral, les décisions cantonales contestées par Helvetia Nostra tiennent largement compte des enjeux écologiques et paysagers en prévoyant des mesures adéquates concernant l’accueil, la canalisation et l’information du public.
Et les juges vont plus loin en retenant que les décisions cantonales présentent même une claire amélioration par rapport à la situation actuelle et aux nuisances déjà existantes.
S’agissant des randonnées, à pied ou en VTT, les cheminements actuels sont déjà de nature à limiter l’impact de ces activités sur la faune et la flore. Dans ce cadre, il est d’ailleurs prévu que les pistes de VTT continueront à suivre le tracé des sentiers existants.
La pratique de l’escalade est également maintenue, mais de façon limitée dans le temps (1er août – 31 décembre) et sur certaines zones précises. Ce qui est de nature à pouvoir protéger l’avifaune, notamment en période de nidification.
Même l’exploitation agricole, qui était remise en question par Helvetia Nostra, a trouvé grâce auprès du Tribunal fédéral. En particulier la crainte, déjà actuelle, que cette exploitation puisse porter une grave atteinte aux prairies et pâturages secs typiques du site a été écartée par le Tribunal fédéral qui privilégie la voie consensuelle entre l’exploitant et l’Etat pour sauvegarder dans chaque cas concret les caractéristiques des prairies concernées.
En bref, le Tribunal fédéral a jugé que les décisions cantonales, contestées par Helvetia Nostra, comportaient en réalité de nombreuses améliorations par rapport à la situation actuelle, en limitant et en canalisant les activités humaines potentiellement dommageables.
En particulier les autorités cantonales ont, selon le Tribunal fédéral, dûment procédé dans leurs décisions à une pondération entre, d’une part, les intérêts publics liés à la protection de la nature et des sites et, d’autre part, les intérêts, également publics, liés au délassement du public sous forme d’activités touristiques.

 

Patrick Blaser
Avocat associé, Etude Borel & Barbey, Genève
patrick.blaser@borel-barbey.ch

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