L’arrêt récent du Tribunal fédéral permet de préciser encore davantage certains aspects du droit des locataires.

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Fixation du loyer initial et formule officielle

Le Tribunal fédéral précise sa jurisprudence

15 Juin 2022 | Articles de Une

Dans un récent arrêt destiné à publication (4A_302/2021 du 28 janvier 2022), le Tribunal fédéral a rappelé l’importance pour le bailleur d’être en mesure de prouver la notification de la formule officielle (formulaire) de fixation du loyer au locataire. Il précise également sa jurisprudence: à moins de disposer de connaissances particulières, les locataires bénéficient d’une présomption d’ignorance concernant la nécessité pour le bailleur d’utiliser une telle formule.

En cas de pénurie de logement comme c’est le cas actuellement, les cantons peuvent rendre obligatoire pour les baux d’habitation, sur tout ou partie de leur territoire, l’usage de la formule officielle lors de la conclusion d’un nouveau bail. L’usage de cette formule officielle a été rendu obligatoire notamment dans les cantons de Genève, Vaud, Fribourg et Neuchâtel. Elle vise à empêcher les hausses abusives de loyer lors d’un changement de locataire en informant le nouveau locataire de la possibilité de saisir les tribunaux afin de contester le montant du loyer. Cette règle ne s’applique pas pour les baux commerciaux.

Le contenu de la formule officielle de fixation du loyer initial

La formule officielle est différente pour chaque canton et peut être obtenue auprès des autorités cantonales, respectivement des Chambres immobilières selon les cantons. Le formulaire doit impérativement contenir les informations suivantes: le montant de l’ancien loyer et de l’ancien état des charges, le montant du nouveau loyer et du nouvel état des charges, ainsi que les motifs précis de la hausse. Le nouveau locataire doit en effet pouvoir comprendre comment le loyer initial a été fixé. Selon le Tribunal fédéral, la mention de l’ancien loyer et la motivation contenues dans la formule officielle doivent permettre au locataire de saisir la portée et la justification de la majoration, de manière à ce qu’il puisse décider, en toute connaissance de cause, de contester le nouveau loyer ou de s’en accommoder. Lorsque le montant du loyer initial a été communiqué au locataire par le biais de la formule officielle et que ce dernier estime que le montant du loyer est abusif, il peut le contester devant l’autorité de conciliation dans les 30 jours qui suivent la réception de l’objet du bail et en demander la diminution.

Un vice de forme qui peut coûter cher

Dans un arrêt récent destiné à publication (4A_302/2021 du 28 janvier 2022), le Tribunal fédéral rappelle qu’il appartient au bailleur de prouver la notification au locataire de la formule officielle fixant le loyer initial (par pli recommandé, par signature du locataire ou par indication dans le bail envoyé au locataire). Ce rappel est important, les conséquences de l’absence de l’utilisation d’une formule officielle ou l’absence (voire l’insuffisance) de la motivation de la hausse de loyer peuvent en effet s’avérer très fâcheuses pour le bailleur concerné. Car en l’absence de formule officielle, le loyer initial est nul.
Si le locataire intente une action judiciaire pour faire constater la nullité du loyer fixé initialement (en raison de ce vice de forme), il appartiendra au tribunal de fixer le loyer admissible. Pour ce faire, le juge devra se fonder sur toutes les circonstances du cas. Parmi les facteurs à prendre en compte, il y a notamment le rendement de la chose louée, les loyers non abusifs pratiqués dans le quartier ou encore le loyer payé par le précédent locataire.
Si le loyer fixé par le juge est inférieur au loyer initial (ce qui sera souvent le cas en pratique), le bailleur s’expose à devoir rembourser tous les montants de loyer perçus en trop depuis le début du bail, ce qui peut constituer des montants importants.

Délais à respecter par le locataire

Pendant la durée du bail, le locataire peut en principe toujours se prévaloir du vice de forme (absence de formule officielle) affectant la notification du loyer initial, ne serait-ce que pour obtenir la fixation des loyers futurs.
Après la fin du bail, le Tribunal fédéral a rappelé et précisé que le locataire doit faire valoir ses droits (action en répétition du trop-perçu des loyers) dans les 3 ans depuis la découverte («connaissance effective») par le locataire que:
• l’absence de l’utilisation de la formule officielle (respectivement de l’indication sur cette formule du loyer du locataire précédent ou de la motivation de la hausse) entraîne la nullité du loyer initial;
• le loyer qu’il a versé était trop élevé; et
• le loyer était, ainsi, abusif.
Le locataire doit agir en tous les cas dans les dix ans à compter de la naissance de ses droits; concernant ce délai de prescription absolu, le Tribunal fédéral a confirmé dans l’arrêt précité (4A_302/2021 du 28 janvier 2022) sa jurisprudence de 2020 (ATF 146 III 82) selon laquelle chaque versement indu de loyer fait partir un nouveau délai de prescription.

Le locataire est présumé ignorer la loi

Les juges fédéraux ont aussi confirmé et précisé dans l’arrêt 4A_302/2021 du 28 janvier 2022 qu’il existait une présomption selon laquelle le locataire n’était pas supposé savoir qu’il devait se voir remettre une formule officielle de fixation du loyer initial, sauf si (i) il avait des connaissances particulières en droit du bail (par ex. le locataire serait avocat), (ii) il avait déjà été impliqué dans une précédente procédure en contestation du loyer initial ou (iii) il avait déjà loué un logement pour lequel une formule officielle lui avait été remise. Lorsque la présomption existe, notre Haute Cour a déjà eu l’occasion, par le passé, d’indiquer que le locataire n’apprend l’exigence de la formule officielle que lorsqu’il cherche conseil auprès d’un avocat ou d’une association de défense des locataires et que cette question est effectivement abordée (ATF 140 III 583 et TF 4A_254/2016).
Cette précision de jurisprudence intervient peu après une décision récente du Tribunal fédéral (ATF 146 III 82) – vivement critiquée par une partie de la doctrine – dans laquelle les juges s’étaient posé la question de savoir si cette présomption d’ignorance du locataire se justifiait encore, en raison du fait que la formule officielle avait été rendue obligatoire voilà plus de 25 ans dans certains cantons et qu’il était possible de se renseigner aisément sur ce point en effectuant une simple recherche sur internet. Alors qu’il avait entrouvert la porte à une remise en question de la présomption d’ignorance du locataire, le Tribunal fédéral l’a vite refermée dans sa dernière décision publiée.

Abus de droit du locataire

Si en revanche le locataire abuse de son droit, c’est-à-dire dans les cas où le locataire s’est rendu compte du vice de forme et s’est abstenu de protester dans le dessein d’en tirer, le cas échéant, ultérieurement un profit, il n’est pas protégé (ATF 113 II 187, consid. 1a). Il revient dans tous les cas au bailleur de prouver l’abus de droit du locataire, par exemple en établissant que le locataire a déjà loué un logement pour lequel il avait reçu la formule officielle (ce qui en pratique sera souvent le cas pour des locataires domiciliés depuis longtemps dans des cantons qui connaissent la formule officielle). Dans ce cas, un locataire pourra tenter de plaider qu’il pensait de bonne foi que la formule n’était pas ou plus exigée. C’est au final le juge qui tranchera.

Conclusion

En conclusion, l’arrêt récent du Tribunal fédéral permet de préciser encore davantage certains aspects du droit des locataires à agir en contestation du loyer initial. Les juges fédéraux rappellent l’importance pour le bailleur d’être en mesure de prouver la notification de la formule officielle de fixation du loyer au locataire. Cette décision illustre également la difficulté rencontrée par les bailleurs pour renverser la présomption d’ignorance du locataire qui est désormais bien ancrée dans la jurisprudence. Sauf dans les cas où le bailleur peut prouver que le locataire a déjà reçu la formule officielle lors d’un précédant bail et que ce dernier abuse de son droit, il sera difficile pour le bailleur de soutenir que la prescription est d’ores et déjà acquise ou que le locataire fait preuve de mauvaise foi en affirmant qu’il ignorait le caractère obligatoire de la formule officielle. 

Guillaume Barazzone
Avocat associé
Etude Jacquemoud Stanislas, Genève
guillaume.barazzone@jslegal.ch

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