Lorsque des défauts apparaissent, le vendeur doit doit-il agir contre le vendeur ou contre les entrepreneurs?

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La chronique juridique de Me Guillaume Barazzone - Défauts dans une PPE et cession des droits de garantie

Le Tribunal fédéral précise sa jurisprudence

29 Mar 2023 | Articles de Une

Les contrats d’acquisition de parts de PPE prévoient fréquemment une exclusion de la responsabilité du vendeur pour les défauts. En échange, le vendeur cède aux acquéreurs de parts de PPE ses droits de garantie (droit de demander la réfection des défauts) envers les entrepreneurs ayant œuvré à la construction du bâtiment. Il arrive aussi que le vendeur cède de tels droits à l’acquéreur sans exclure sa responsabilité. Dans ce cas, si des défauts apparaissent, le vendeur doit décider d’agir soit contre le vendeur, soit contre les entrepreneurs.

Selon un arrêt récent du Tribunal fédéral (4A_152/2021 du 20 décembre 2022), l’acquéreur doit agir en premier contre les entrepreneurs et la prestation due par le vendeur reste en suspens entre-temps.
Dans cette affaire neuchâteloise, le vendeur a fait construire un immeuble comprenant neuf appartements et cinq garages, qu’il a constitués en propriété par étages (PPE). Entre septembre 2000 et janvier 2002, il a vendu des unités d’étage à divers acquéreurs. Les travaux sur l’immeuble se sont achevés en octobre 2001. Divers défauts sont apparus dans les parties tant communes que privatives.
En janvier 2002, soit plus de 20 ans avant la décision commentée, deux copropriétaires ont réclamé à l’architecte en charge divers travaux de finition et de réparation sous garantie; ils ont fait notamment état de moisissures sur un des murs du bâtiment et de problèmes d’étanchéité. Une expertise judiciaire a fait état de trois catégories de causes de défauts, à savoir des erreurs de conception, de direction des travaux, ainsi que des malfaçons. Le coût pour remédier aux défauts était évalué à CHF 149 000.
Les acquéreurs ont donc agi en justice afin de faire condamner le vendeur à leur payer cette somme. Ils n’ont en revanche pas agi contre les entrepreneurs ayant construit le bâtiment. Ces derniers étaient liés au vendeur par un contrat d’entreprise.
Tous les contrats de vente concernant la PPE, sauf deux, contenaient une clause excluant la responsabilité du vendeur. En échange, le vendeur avait cédé aux acquéreurs de parts de PPE ses droits de garantie envers les entrepreneurs ayant œuvré à la construction du bâtiment.
Les deux autres contrats de vente prévoyaient également une cession à l’acquéreur des droits de garantie du vendeur envers les entrepreneurs, mais sans exclusion de la responsabilité du vendeur. C’est de ces deux contrats en particulier dont il est question dans l’arrêt commenté.

Droit du maître d’ouvrage en cas d’exécution défectueuse

Rappelons que le contrat d’entreprise est un contrat par lequel l’entrepreneur s’oblige à exécuter un ouvrage, moyennant un prix que le maître s’engage à lui payer (art. 363 CO). En l’espèce, le vendeur (en tant que maître d’ouvrage) avait confié à des entrepreneurs la construction de l’immeuble soumis à la PPE.
En cas d’exécution défectueuse du contrat d’entreprise, la loi prévoit que le maître peut exercer alternativement les droits de garanties suivants: (a) refuser l’ouvrage et demander la restitution de ce qu’il a payé (résolution du contrat), lorsque l’ouvrage est si défectueux que le maître ne peut en faire usage; (b) demander la diminution du prix ou (c) demander la réfection de l’ouvrage (suppression des défauts). En principe, le choix d’une option est irrévocable et entraîne la perte des autres possibilités. L’exercice de ces droits ne suppose pas de faute de l’entrepreneur, mais l’existence d’un défaut de l’ouvrage.
Cumulativement à l’une de ces trois options, le maître peut demander des dommages-intérêts pour le préjudice subi à raison de l’exécution défectueuse de l’ouvrage (dommage consécutif au défaut).
En l’espèce, le Tribunal fédéral a considéré que les acquéreurs de parts de PPE demandaient l’équivalent des réparations à effectuer (droit à la réfection de l’ouvrage) et n’exigeaient pas une diminution du prix payé pour leur part de PPE.

Quelles garanties peuvent être cédées?

Dans l’arrêt commenté, notre Haute Cour a rappelé et confirmé sa jurisprudence, à notre sens peu adéquate, en matière de cession des droits de garantie. Les droits à la résolution du contrat et à la réduction du prix sont incessibles (sauf si l’entrepreneur donne son consentement au transfert de ces droits). En revanche, le droit à la réfection des défauts est cessible. C’est aussi le cas du droit de demander des dommages-intérêts en lien avec un dommage consécutif au défaut.

Exclusion de la responsabilité du vendeur

Comme c’est souvent le cas en pratique, dans la décision commentée, la plupart des contrats d’acquisition de parts de PPE prévoyaient une exclusion de la responsabilité du vendeur pour les défauts. Pour cette raison, le Tribunal fédéral a confirmé que ces acquéreurs de part de PPE ne pouvaient pas agir contre le vendeur pour les défauts identifiés dans leur appartement et les parties communes.
Dans un tel cas de figure, l’acquéreur d’un lot PPE se retrouve dans une situation délicate. Au lieu de pouvoir faire valoir ses droits contre un seul cocontractant (le vendeur), il est souvent obligé en pratique de se retourner contre plusieurs entrepreneurs pour faire supprimer les défauts. N’ayant pas les connaissances techniques nécessaires, il n’est fréquemment pas en mesure d’identifier les entreprises responsables de défauts complexes sans faire réaliser une expertise à ses frais. Par ailleurs, même si les entrepreneurs responsables des défauts sont identifiés, l’acquéreur supporte le risque de leur insolvabilité.
L’acquéreur d’une part de PPE est aussi souvent confronté à des questions juridiques épineuses, qui n’ont pas été tranchées par le Tribunal fédéral à ce jour.
• L’ouvrage présente notamment un défaut lorsqu’il lui manque l’une des qualités convenues expressément ou tacitement entre les parties. Or, ce qui pourrait être un défaut pour l’acquéreur d’une part de PPE pourrait ne pas en être un pour le maître d’ouvrage-vendeur. L’existence d’un défaut sera en effet examinée à la lumière de contrats différents (contrat d’entreprise d’une part et contrat de vente de la part de PPE d’autre part).
• L’avis des défauts doit-il être effectué par le maitre d’ouvrage-vendeur ou l’acquéreur d’une part de PPE?
• Quand est-ce que le délai de prescription de 5 ans commence à courir; est-ce la date de livraison du bâtiment au maître d’ouvrage-vendeur ou la livraison de la part de PPE à l’acquéreur qui est déterminante?
Par ailleurs, le contrat d’entreprise entre le maître d’ouvrage-vendeur et les entrepreneurs peut prévoir des clauses de limitations de responsabilité des entrepreneurs qui seront opposables à l’acquéreur d’une part de PPE, ce qui peut limiter ses possibilités d’obtenir la réfection des défauts.

Cession des droits de garantie sans exclusion de la responsabilité du vendeur: quel ordre de priorité?

En l’espèce, le Tribunal fédéral devait déterminer si ces deux acquéreurs pouvaient agir contre le vendeur (qui n’avait pas exclu sa responsabilité) ou s’ils devaient d’abord exercer contre les entrepreneurs les droits de garantie (réfection des défauts) cédés par le vendeur.
Notre Haute Cour arrive à la conclusion, en appliquant les règles sur l’assignation (art. 467 al. 2 CO) par analogie, que les deux acquéreurs devaient faire valoir leurs droits en priorité contre les entrepreneurs ayant œuvré à la construction, la prestation due par le vendeur restant en suspens entre-temps. Ainsi, l’acquéreur, même lorsqu’il s’est réservé des droits contre le vendeur, se retrouve confronté aux obstacles pratiques et juridiques liés à la cession des droits de garanties, qui existent en cas d’exclusion de responsabilité du vendeur. Ce n’est qu’une fois qu’il aura épuisé ses droits contre l’entrepreneur que l’acquéreur pourra se retourner contre le vendeur, sans les écueils liés à la cession des droits de garantie.
Les juges de Mon-Repos précisent que l’obligation d’agir en premier lieu contre les entrepreneurs n’existe que si l’acquéreur dispose des informations suffisantes pour agir contre les entrepreneurs concernés (il s’agit selon la doctrine de l’identité des entrepreneurs et du contenu des garanties données par lesdits entrepreneurs au maître d’ouvrage-vendeur), ce qui était le cas en l’occurrence. Si l’acquéreur n’a pas obtenu les informations nécessaires ou si, ayant agi contre les entrepreneurs responsables, il n’a pas été en mesure d’obtenir totale satisfaction de leur part, il peut faire valoir ses droits à la réfection des défauts contre le vendeur.
Le Tribunal fédéral a également rappelé que rien n’empêchait l’acquéreur d’exercer envers le vendeur, si les conditions en étaient remplies, le droit à la réduction du prix ou à la résolution du contrat (qui sont des droits incessibles comme nous l’avons vu), sans avoir à faire valoir préalablement le droit à la réfection cédé contre les entrepreneurs.

Le Conseil fédéral veut protéger les acquéreurs de PPE

Lorsqu’il se fait céder des droits de garantie contre les entrepreneurs ayant construit sa villa ou son appartement, l’acquéreur doit savoir qu’il pourrait être confronté à des obstacles pratiques et juridiques pouvant rendre difficile l’exercice de ses droits. Il a donc tout intérêt à obtenir du vendeur toutes les informations nécessaires qui – en cas de défaut – lui permettront d’agir contre les entrepreneurs.
Souhaitant améliorer la situation des acquéreurs de villa et de propriété par étages, le Conseil fédéral a récemment proposé une modification législative. Ce projet prévoit que le droit à la réfection des défauts ne pourra plus être exclu par le vendeur si la construction est neuve et destinée à l’usage personnel de l’acquéreur ou de sa famille.
Le Conseil fédéral entend de la sorte «mettre fin à la pratique largement répandue des vendeurs d’immeubles et des entrepreneurs généraux, consistant à s’exempter par contrat de toute responsabilité pour les défauts, au détriment des particuliers qui acquièrent leur logement». Cette proposition, accueillie favorablement par la Commission des affaires juridiques du Conseil national, ne règle malheureusement pas toutes les questions qui se posent en matière de cession des droits de garantie. Elle aura toutefois le mérite de faciliter la vie des acquéreurs de parts de PPE.

 

Guillaume Barazzone
Avocat Associé
Etude Jacquemoud Stanislas, Genève
Diplômé de l’Institut d’Etudes
Immobilières (IEI)
guillaume.barazzone@jslegal.ch