Les autorités peuvent ordonner la destruction de constructions illicites, sous certaines conditions.

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LA CHRONIQUE JURIDIQUE de Me Patrick Blaser - Constructions illicites

Le TF les envoie à la casse!

7 Déc 2022 | Articles de Une

Le Tribunal fédéral vient de rendre deux arrêts de principe dans le cadre desquels notre haute autorité judiciaire a fixé les règles pouvant permettre aux autorités d’exiger la démolition de constructions érigées sans autorisation ou de façon non conforme à l’autorisation délivrée.

Dans le cadre de ses deux arrêts (du 7 octobre 2022, 1C_184/2022 et du 28 octobre 2022, 1C_149/2022), le Tribunal fédéral a rappelé que les autorités pouvaient ordonner la destruction de constructions illicites, dans la mesure où cet ordre respectait le principe de la proportionnalité, ce qui était notamment le cas lorsque l’intérêt public à la remise en état des lieux l’emportait sur l’intérêt privé à maintenir la construction illicite.
Cela étant, la balance entre l’intérêt public et l’intérêt privé s’apparente rapidement à un combat du pot de terre (intérêt privé) contre le pot de fer (intérêt public)!
En effet, l’intérêt privé, quel qu’il soit, à maintenir une construction illicite ne l’emporte quasiment jamais sur l’intérêt public à une remise en état conforme au droit.

Le principe de la proportionnalité: réduit comme peau de chagrin?

Selon la jurisprudence, l’ordre de démolition de constructions illicites et l’ordre de remise en état signifiées par l’autorité compétente doivent respecter le principe de la proportionnalité.
Dans ce cadre, le Tribunal fédéral rappelle que lorsque des constructions illicites ont été réalisées en dehors de la zone à bâtir, le droit fédéral exige en principe que soit rétabli un état conforme au droit. Le principe de la séparation de l’espace bâti et non bâti, qui préserve différents intérêts publics, est de rang constitutionnel. Ce principe fait partie intégrante de la notion d’utilisation mesurée du sol prévue dans la Constitution fédérale.
Par conséquent, cette séparation entre l’espace bâti et non bâti doit, selon le Tribunal fédéral, demeurer d’application stricte. Si des constructions illégales, c’est-à-dire contraires aux règles fixées par le droit de l’aménagement, devaient être indéfiniment tolérées en dehors des zones constructibles, le principe de la séparation du bâti et du non-bâti pourrait en effet être sérieusement remis en question.
A cela s’ajoute que la remise en état poursuit encore d’autres intérêts publics, à savoir la limitation du nombre et les dimensions des constructions, en particulier en zone agricole, ainsi que le respect du principe de l’égalité devant la loi.

Renonciation à la démolition:
à quelles conditions?

Cela étant, une autorité peut renoncer à un ordre de démolition, conformément au principe de la proportionnalité, aux conditions suivantes:
• les dérogations aux dispositions légales sont mineures;
• l’intérêt public lésé n’est pas de nature à justifier le dommage que la démolition causerait au propriétaire;
• le propriétaire pouvait de bonne foi se croire autorisé à la construction projetée;
• le propriétaire a des chances sérieuses de faire reconnaître la construction comme conforme au droit.
En revanche, le propriétaire qui place l’autorité devait un fait accompli doit s’attendre à ce que celle-ci se préoccupe plus de rétablir une situation conforme au droit que d’éviter les inconvénients qui en découlent pour lui.
Cela étant, le Tribunal fédéral examine librement si un ordre de remise en état, qui constitue une restriction du droit de propriété garanti par la Constitution fédérale, est justifié par un intérêt public suffisant et respecte le principe de la proportionnalité.

Validité d’un ordre de remise
en état

Concrètement, pour être valable, un ordre de remise en état conforme au droit doit respecter cinq conditions:
• l’ordre doit être dirigé contre le perturbateur, par comportement ou par situation;
• au moment de leur réalisation, les constructions ne faisaient pas l’objet d’une autorisation en vertu du droit en vigueur à l’époque;
• les constructions litigieuses remontent à moins de 30 ans avant la notification de l’ordre de remise en état (à l’exception des zones agricoles, sur lesquelles la prescription de 30 ans ne s’applique pas);
• l’autorité ne doit pas avoir créé chez l’administré concerné l’impression de licéité, par des promesses, des informations, des assurances ou un comportement tels que cet administré pouvait penser, en toute bonne foi, que sa construction serait licite;
• l’intérêt public au rétablissement d’une situation conforme au droit l’emporte sur l’intérêt privé de l’intéressé au maintien des constructions litigieuses.

Bonne foi de l’administration:
un atout pour le propriétaire

S’agissant plus particulièrement de la bonne foi que l’administré est en droit d’attendre de l’administration, un tel principe impose que l’administration s’abstienne de toute attitude propre à tromper l’administré et interdit qu’une administration puisse tirer un avantage de son incorrection.
En effet, le principe de la bonne foi protège l’administré dans la confiance légitime qu’il met dans les assurances reçues des autorités, lorsque cet administré a réglé sa conduite d’après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l’administration.
Dans ce cadre, la passivité de l’autorité, qui n’intervient pas immédiatement à l’encontre d’une construction non autorisée, n’est en règle générale pas constitutive d’une autorisation tacite ou d’une renonciation à faire respecter les dispositions transgressées.
La tolérance dont peuvent avoir fait preuve les autorités n’est retenue que dans des circonstances exceptionnelles. Seul le fait que l’autorité ait sciemment laissé le propriétaire construire de bonne foi l’ouvrage non conforme au droit pourrait obliger cette autorité à accepter l’ouvrage en question.

Le Tribunal fédéral a fait preuve de beaucoup de mansuétude s’agissant des installations de téléphonie mobile, même en pleine zone agricole!

Exemples concrets d’ordres de démolition et de remise en état

Dans un arrêt récent du 28 octobre 2022 (1C_149/2022), le Tribunal fédéral a confirmé l’ordre de remise en état notifié au propriétaire d’une parcelle de la commune genevoise de Satigny, située pour partie en zone agricole et pour partie en zone viticole.
A l’origine, le propriétaire avait obtenu une autorisation de construire un hangar agricole. Mais par la suite, ce propriétaire a pris quelques libertés par rapport à l’autorisation délivrée, puisqu’il a effectué des travaux de décapage et de remblayage non couverts par l’autorisation initiale, ni par les autorisations complémentaires demandées et obtenues par la suite.
Suite à ces travaux, l’autorité a ordonné au propriétaire de remettre le terrain en son état initial et lui a infligé une amende de CHF 5000.-.
Le propriétaire a recouru contre cette décision, mettant notamment en exergue que la remise en état entraînerait pour lui un coût exorbitant de l’ordre de CHF 200 000.-. Cet argument a toutefois laissé le Tribunal fédéral de marbre, puisqu’il a considéré que l’intérêt purement économique du propriétaire ne pouvait avoir le pas sur l’intérêt public à sauvegarder la zone agricole non bâtie.
Comme cela ressort d’un autre arrêt récent du Tribunal fédéral du 7 octobre 2022 (1C_184/2022), la même mésaventure est arrivée à un propriétaire d’une parcelle située en zone agricole dans la commune de Val-d’Iliez, en Valais.
Dans ce cas, le propriétaire avait obtenu une autorisation pour rénover un chalet. Néanmoins, le propriétaire s’était vu refuser l’autorisation de construire un abri couvert pour deux véhicules. Qu’à cela ne tienne, le propriétaire a tout de même construit son couvert à véhicules, doublé d’un accès bitumineux. Ce qui n’a pas eu l’heur de plaire à l’autorité compétente, laquelle a ordonné la destruction du couvert à véhicules et de son accès en bitume, ce qui a été confirmé par la justice jusqu’au Tribunal fédéral.
Sous l’angle de la proportionnalité, le Tribunal fédéral n’a été sensible ni à l’ampleur modeste des constructions, ni au coût élevé entraîné par la remise en état des lieux. Selon lui, la défense d’une zone agricole non bâtie est un principe quasi sacré, qui ne saurait composer avec des exceptions. La décision de destruction et de remise en état a donc été confirmée.
Et ce n’est de loin pas la première fois que le Tribunal fédéral se montre particulièrement strict, notamment en zone agricole. C’est ainsi que le TF a été amené par le passé à confirmer par différents arrêts des ordres de démolition en zone agricole, portant notamment sur des constructions, tels une palissade en bois, un mobilhome, un chalet, un sous-sol, des containers servant de logement, un appentis, un cabanon de jardin, un paddock, ainsi qu’un abri pour chevaux.
Bref, la liste est longue et la jurisprudence abondante.
S’agissant plus précisément du canton de Genève, le Tribunal fédéral a même enfoncé le clou en mettant en exergue que ce canton étant fortement urbanisé, les problèmes relatifs à l’aménagement du territoire y revêtaient une importance particulière. Ce qui entraînait, selon le Tribunal fédéral, que l’intérêt public au rétablissement d’une situation conforme au droit devait quasiment toujours l’emporter sur l’intérêt privé. Dura lex sed lex!

Antennes de téléphonie mobile bienvenues en zone agricole

A l’inverse, le Tribunal fédéral a fait preuve de beaucoup de mansuétude s’agissant des installations de téléphonie mobile, même en pleine zone agricole. S’il admet que de telles installations ne sont pas conformes à l’affectation de la zone agricole (ce qui est une évidence!), le TF considère qu’il convient d’autoriser une telle installation, dans la mesure où celle-ci permet d’améliorer la couverture en téléphonie mobile de la zone agricole concernée.
Ce d’autant plus lorsque ces installations n’empiètent que de façon minime sur la surface agricole et qu’elles regroupent les antennes de téléphonie de plusieurs opérateurs. Et l’impact sur le paysage de telles antennes n’est malheureusement pas de nature à changer la donne actuelle, largement en faveur de la téléphonie (ou téléphobie!) mobile.
Cela n’est toutefois rien encore, ou pas grand-chose, par rapport aux perspectives d’éoliennes qui pointent à l’horizon…

 

Patrick Blaser
Avocat associé, Etude Borel & Barbey, Genève
patrick.blaser@borel-barbey.ch

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