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LA CHRONIQUE JURIDIQUE de Me Patrick Blaser - Au grand dam des protecteurs du paysage

Le TF choisit les éoliennes

18 Jan 2023 | Articles de Une

Le Tribunal fédéral vient de rendre un arrêt fondamental en matière de construction d’éoliennes lorsque celles-ci portent atteinte à la protection des paysages et de la faune. Cet arrêt (1C_407/2020) s’inscrit dans le cadre de recours interjetés par différentes associations de protection des paysages, de la nature et de l’avifaune dirigés contre le projet de construction et d’exploitation de douze éoliennes prévues sur le site du col du Mollendruz, dans le canton de Vaud.

Plus précisément, ces recours étaient dirigés, d’une part, contre l’approbation d’un Plan partiel d’affectation concernant le Parc éolien du Mollendruz et, d’autre part, contre l’autorisation permettant le défrichement de plus de 60 000 m2 de forêts et pâturages boisés.
Le Tribunal cantonal vaudois avait, pour sa part, rejeté lesdits recours, après avoir considéré que l’intérêt à la production d’énergie renouvelable devait l’emporter sur les intérêts liés à la protection de la nature et du paysage.
Ne partageant de loin pas la pesée d’intérêts effectuée par le Tribunal cantonal, les recourants ont porté l’affaire par-devant le Tribunal fédéral, déposant un recours en matière de droit public.
La question essentielle que le TF devait trancher est celle de déterminer quel intérêt était prépondérant entre, d’une part, celui de protéger les paysages et la nature et, d’autre part, celui de produire de l’énergie renouvelable sous forme d’éoliennes.
Et le couperet du Tribunal fédéral est tombé: s’agissant du Parc éolien du Mollendruz, la nécessité de construire des éoliennes sur ce site l’emporte largement sur la protection des paysages et de la faune.

Paysages du Jura sacrifiés

Les recourants n’avaient évidemment pas manqué d’invoquer que le projet du Parc éolien du Mollendruz portait une grave atteinte au paysage, d’autant plus sérieuse que la crête du Mollendruz ne présentait à ce jour aucune atteinte majeure à son état naturel.
Alors qu’il saute aux yeux que l’installation du parc éolien envisagé va causer un préjudice esthétique au site remarquable du Mollendruz, examinons comment le Tribunal fédéral est parvenu à justifier une telle atteinte.
D’abord, le TF s’attache – voire condescend! – à rappeler que les autorités doivent ménager l’aspect caractéristique des paysages dans le cadre de chacun de leurs projets de construction, notamment d’éoliennes. Mais il souligne rapidement que la loi ne prévoit toutefois pas une protection absolue du paysage.
En particulier, selon le Tribunal fédéral, une atteinte au paysage peut se justifier en présence d’intérêts publics prépondérants, notamment lorsqu’il s’agit de renforcer des activités économiques fondées sur le développement durable.
Dans ce cadre, et toujours selon le TF, l’inclusion d’un site dans un parc régional n’a pas pour effet de rendre inconstructible le site en question. Ce d’autant moins lorsque, comme dans le cas d’espèce, le projet de parc éolien envisagé sur le site du Mollendruz s’intègre dans une planification cantonale qui a déjà fait l’objet d’une pesée d’intérêts entre protection du paysage et développement durable.

Eoliennes contre protection des paysages: victoire aux points!

Si, seulement dans un premier temps – comme d’habitude! – le Tribunal fédéral admet la grande valeur paysagère des crêtes du Jura, il balaie rapidement cet argument d’un revers de main en rappelant qu’elles présentent un fort potentiel énergétique, lequel doit être qualifié de prépondérant par rapport à la conservation de la beauté du site. Et cela d’autant plus que la législation cantonale vaudoise prévoit expressément la création d’un parc éolien sur le site du Mollendruz.
En bref, selon le Tribunal fédéral, la législation cantonale vaudoise admet déjà que le développement de l’énergie éolienne sur le site du Mollendruz serait compatible avec la protection des paysages. Et cela alors même que ces deux objectifs sont divergents et manifestement incompatibles sur le plan visuel!
Toutefois, face à cette évidence, le TF se sent obligé de considérer que, de nos jours, l’intérêt public en faveur de la production d’énergie renouvelable s’est largement renforcé. Et, implicitement, que la protection des paysages, aussi méritoires qu’ils soient, doit s’effacer, quasi impérativement, en faveur de la construction d’éoliennes.
Pour sauver la face, le Tribunal fédéral va même jusqu’à considérer qu’il ressort du dossier qui lui a été soumis, notamment des rapports paysagers, que les éoliennes envisagées s’intègreraient parfaitement dans le paysage.
Or, malgré tous les efforts d’imagination que l’on peut consentir, il reste difficile de pouvoir soutenir, de façon objective, que des installations d’éoliennes peuvent s’inscrire dans un cadre paysager sans porter une grave atteinte visuelle à ce dernier.
Dans ce cadre les recourants avaient même mis en exergue que plusieurs autres parcs éoliens étaient déjà en projet dans la même région, ce qui ne pouvait manquer d’entraîner un effet dévastateur sur l’aspect esthétique du site.
Or cet argument n’a pas non plus trouvé grâce auprès du Tribunal fédéral.
En fait, sous cet angle, la «messe fédérale» est dite: les atteintes aux paysages ne pèsent pas lourd face à l’intérêt national que représente la nécessité de produire de l’énergie renouvelable, même au détriment de la beauté de nos sites paysagers, quels qu’ils soient.

Oiseaux menacés de disparition: également sacrifiés!

L’intérêt des êtres humains à pouvoir bénéficier de paysages qui ne soient pas sacrifiés sur l’autel de l’énergie éolienne ne pesant pas (ou plus) lourd face aux projets d’installations d’éoliennes, les recourants ont également fait appel à la nécessité de protéger différentes espèces animales en voie de disparition, faute d’espace vital suffisamment étendu.
Et dans ce cadre, qu’ils pensaient peut-être susceptible de pouvoir faire fléchir le Tribunal fédéral, les recourants ont fait appel, respectivement, à la protection de l’avifaune migratrice, des grands oiseaux planeurs, du grand tétras, de la bécasse des bois, de l’alouette lulu, et même des chiroptères (chauves-souris).
Or, la nécessité de protéger ces espèces n’a finalement pas non plus trouvé grâce auprès du Tribunal fédéral.
A propos des risques de mortalité des oiseaux migrateurs et des grands oiseaux planeurs pouvant entrer en collision avec des éoliennes en mouvement, le Tribunal fédéral a jugé qu’il n’était en l’état pas établi que le taux de mortalité acceptable, soit dix oiseaux par année et par éolienne selon les «standards» actuels, puisse être dépassé.
Et qu’en est-il plus particulièrement de la protection du grand tétras, oiseau protégé figurant sur la liste rouge des espèces menacées en Suisse? Selon le Tribunal fédéral, cette protection n’a pas lieu d’être invoquée dans le cas d’espèce, compte tenu que cet oiseau ne fréquenterait que marginalement le site, les noyaux de cette population se situant plus à l’ouest du col du Mollendruz. Par ailleurs, et à titre superfétatoire, le projet prévoit de toute façon des mesures de compensation visant à reconstituer la structure du pâturage boisé de façon favorable aux grands tétras.
Le Tribunal fédéral en a jugé de même concernant la protection de la bécasse des bois, qui figure aussi sur la liste rouge des oiseaux nicheurs menacés et rares en Suisse. En effet, il semble établi – selon le TF – que cette espèce soit absente sur tout le pourtour de la crête du Mollendruz. Par ailleurs, des mesures de compensation de la perte potentielle d’habitat pour ces oiseaux ont de toute façon été envisagées dans le projet. Par conséquent le risque d’impact sur les populations de bécasses des bois reste négligeable. En revanche, la protection des alouettes lulus, également sur la liste rouge des oiseaux nicheurs menacés et rares en Suisse, semble avoir davantage attiré l’attention des auteurs du projet. En effet, il a été formellement reconnu que cette population d’oiseaux pouvait être touchée par le projet d’installation d’éoliennes contesté. Cela étant, le Tribunal fédéral a cependant admis que les mesures de compensation d’ores et déjà envisagées par le projet étaient de nature à éviter tout impact important sur ces populations d’oiseaux, notamment par la constitution suffisante de pâturages favorables à l’alouette lulu.
Enfin, le Tribunal fédéral a également considéré que les auteurs du projet avaient mené des investigations nécessaires concernant le recensement des colonies de chauves-souris et pris les mesures adéquates pour en assurer la protection.
En bref, les juges, après avoir examiné chacun des arguments développés par les recourants à propos du danger que constituaient les installations d’éoliennes pour plusieurs espèces d’oiseaux menacées en Suisse, a jugé que les dangers allégués n’étaient pas établis et que, le cas échéant, des mesures adéquates avaient été prises.  

Vents nettement favorables aux énergies renouvelables

Au vu de cet arrêt du Tribunal fédéral, force est de constater que les vents sont dorénavant nettement favorables à la construction d’installations d’énergie renouvelable. Cela ne concerne pas que la création de parcs éoliens, mais également celle de parcs solaires en pleine nature.
D’ailleurs, actuellement, les projets de parcs éoliens ne sont pas les seuls à foisonner à travers tout le pays. En effet les projets de parcs photovoltaïques, notamment dans les Alpes, sont légion. Et cela sans grande considération pour la protection des paysages qui, manifestement, semble au contraire être passée de mode!

 

Patrick Blaser
Avocat associé, Etude Borel & Barbey, Genève
patrick.blaser@borel-barbey.ch

Prochain spectacle au Mollendruz.

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