Le risque de pénurie énergétique ne serait-il pas en réalité «une chance pour la planète»? Ne serait-il pas une incitation à accélérer la transition énergétique?

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SOCIéTé - Spectre de la pénurie énergétique

Le «siècle vert» va débarquer cet hiver

11 Jan 2023 | Articles de Une

C’est un risque que l’on croyait définitivement oublié et qui resurgit soudain dans le sillage du conflit en Ukraine: le risque d’une rupture de l’approvisionnement énergétique de la Suisse, cet hiver, qui provoquerait tout à la fois pénurie, crise économique, appauvrissement, rationnement… Mais ce scénario catastrophe, curieusement, ne suscite pas l’angoisse; plutôt une espèce d’attente sereine et presque bienvenue.

C’est que la société, désormais, a largement basculé dans une forme de sensibilité écologique et qu’elle ne croit plus à l’opulence et au confort, mais à la «sobriété heureuse». L’été fut caniculaire mais l’hiver est là, même si les températures de cette fin d’année sont déconcertantes et si certains amandiers sont en fleurs début janvier!
Et si l’été fut très chaud, alimentant le discours sur le réchauffement de la planète, l’hiver qui vient sera le premier, depuis des décennies, à ressusciter une inquiétude venue du fond des âges: comment va-t-on passer l’hiver? Comment résister au froid? Comment pourra-t-on se chauffer dans nos appartements? Avec quelle énergie, à quel prix? Et comment pourra-t-on survivre si l’approvisionnement énergétique est tout à coup menacé?

La pénurie, «une chance pour
la planète»

Autant de questions qui sont désormais au menu du Conseil fédéral. Autant de questions qui, malgré leur gravité et leur urgence, ne suscitent pourtant, pour l’instant, aucune angoisse réelle, à peine une sorte de vigilance tranquille. Le risque de pénurie énergétique ne serait-il pas en réalité «une chance pour la planète»? Ne serait-il pas une incitation à accélérer la transition énergétique? Ne serait-il pas aussi, plus prosaïquement, l’occasion rêvée de mettre en œuvre tous les fameux petits gestes et tous les petits rituels climato-compatibles qui sont au cœur de la sensibilité verte: tri des déchets, emballages réutilisables, mobilité douce, vélos, covoiturage…?
Ancien compagnon de Che Guevara en Bolivie, à la fin des années 60, le philosophe français Régis Debray a expliqué dans un petit livre très inspiré, paru il y a trois ans, «Le siècle vert» (Editions Gallimard; voir à ce propos Le Journal de l’Immobilier no 19, du 9 février 2022), le changement de civilisation qui s’était produit en Occident et qui s’affichait désormais sous nos yeux: «Nous avions vécu sous la cloche de l’Histoire, nous vivrons sous celle de la Nature».
Régis Debray voulait faire la révolution, faire table rase de tout, instaurer partout la toute-puissance de l’homme. Il se rend compte qu’il a perdu la partie et que «l’Occident faustien rougit de honte et se met au vert. L’aspiration générale est au soft, au light et au fun. Médecines douces et traditionnelles, indienne ou chinoise. Méditation, silence, lenteur, zénitude et plantes médicinales. (…) L’Orient n’avait-il pas été plus sage en cherchant l’harmonie et la communion avec la nature, en s’en faisant l’émule et pas le maître?».

Sobriété

En menaçant notre approvisionnement énergétique, le conflit en Ukraine ramène à l’essentiel: il faut se chauffer, se nourrir, et pour cela recréer des liens sociaux et des solidarités entre voisins, entre proches, dans les familles. C’est une autre société, plus simple et peut-être plus fraternelle, affranchie de toute idée de confort ou de luxe, qui apparaît comme une nécessité. Le monde où nous vivons est devenu terriblement virtuel et presque irréel, entre smartphones et ordinateurs, eh bien voici la réalité physique qui fait son grand retour! Il faudra surveiller la température de son logement, contrôler sa consommation d’électricité, prévoir des pulls en rentrant chez soi, prendre des douches plutôt que des bains, éteindre les lumières en sortant, ne pas oublier de fermer les fenêtres, rouler moins pour économiser l’essence ou la charge de batterie… Autant de contraintes qui vont paradoxalement réenchanter la vie quotidienne en lui redonnant une dimension concrète!
Décédé l’année dernière à 83 ans, Pierre Rabhi était tout à la fois agriculteur, essayiste, écrivain. Ecologiste, c’était surtout un poète qui rêvait d’une fusion entre l’être humain et la nature qu’il appelait volontiers Gaïa, dans une espèce de spiritualité vaste et instinctive. Hostile à toute exploitation de la planète, il prêchait une «sobriété heureuse» qui rappelle d’ailleurs étrangement, dans un tout autre registre, la «mondialisation heureuse» d’Alain Minc*. Il voulait cultiver les petites choses, les petits bonheurs, l’attention à la lumière du jour, au bruit du vent, au plaisir des rencontres… C’est tout cet art de vivre qui piaffe d’impatience à l’orée du premier hiver vert!

 

Robert Habel

 

*On pense aussi au concept de «frugalité heureuse et créative» cher à Bernard Blanc, 1er adjoint au Maire écologiste de Bordeaux, qui s’oppose à la logique libérale des «maires constructeurs» Chaban-Delmas et Juppé (voir Le Journal de l’Immobilier no 55, du 23 novembre 2022).

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