/

MARCHÉ IMMOBILIER - Analyse de Wüest & Partner pour le JIM

Le pic des taux d’intérêt devrait être atteint en 2023

30 Août 2023 | Articles de Une

Au cours du 1er semestre 2023, le marché immobilier suisse a encore bénéficié d’un contexte économique robuste. Ce ne sont pas moins de 115 000 nouveaux emplois qui ont vu le jour entre le 1er trimestre 2022 et le 1er trimestre 2023, maintenant ainsi un taux de chômage historiquement bas (1,9% en juillet 2023). Le plus faible risque de perte d’emploi est un facteur positif permettant aux ménages d’envisager un achat immobilier avec davantage de sérénité.

Les prix des villas ont augmenté entre 2022 et 2023 dans la majorité des cantons romands.

De plus, de nombreuses entreprises ont recruté du personnel à l’étranger, ce qui a entraîné un solde migratoire entre janvier et mai 2023 presque 60% supérieur à celui des mêmes mois de la période 2014-2022. Cette croissance démographique remarquable en 2023 devrait également insuffler une dynamique positive aux marchés immobiliers.
Les taux d’intérêt hypothécaires restent toutefois à un niveau élevé (3,0% pour une hypothèque à taux fixe sur 10 ans en juin 2023), ce qui compresse le pouvoir d’achat immobilier des potentiels acquéreurs. L’effet sur les prix est actuellement plus marqué dans le segment des villas que dans celui des PPE, qui sont généralement plus abordables. La remontée des taux d’intérêt pourrait néanmoins marquer le pas au cours du 2e semestre, et ce pour plusieurs raisons.
D’une part, l’inflation a régressé sous la barre des 2% depuis juin, se situant à seulement 1,6% en juillet 2023. Cette évolution ouvre la voie à une politique monétaire moins restrictive. La BNS a certes encore relevé son taux directeur en juin, mais de 25 points de base seulement, soit la hausse la plus modérée depuis le début du resserrement monétaire en 2022. D’autre part, les taux à long terme (rendements des obligations d’Etat à 10 ans, taux hypothécaires) ont en grande partie déjà anticipé la montée des taux directeurs, maintenant une trajectoire stable, voire légèrement baissière, depuis le début de 2023, également favorisée par la décrue de l’inflation.

Logements en propriété: marché des PPE plus robuste que prévu

Les prix des villas ont encore augmenté entre le 2e trimestre 2022 et le 2e trimestre 2023 dans la majorité des cantons romands. C’est à nouveau le Valais qui enregistre la plus forte hausse de prix (+5,7%), bien que celle-ci reste nettement inférieure à celle enregistrée à la fin du 1er trimestre (+7,4%). La bonne santé du marché immobilier valaisan provient notamment de la demande pour des résidences secondaires, qui continue de progresser malgré des conditions monétaires moins favorables. A l’échelle nationale, les prix des résidences secondaires ont ainsi augmenté de 6,1% en l’espace d’un an, signalant l’engouement toujours fort pour ce type de biens, dans un marché où l’offre est très limitée en raison des restrictions réglementaires (Lex Weber).

Altlas des prix des appartements en PPE [CHF] – Canton de Vaud.
Altlas des prix des appartements en PPE [CHF] – Canton de Genève.
Base cartographique: BFS Geostat/ Swisstopo
État des communes au 1er janvier 2023
Remarque: le paysage des prix est représenté pour l’objet moyen
Remarque: Le niveau des prix fait référence à la moyenne pondérée des prix communaux au 2e trimestre 2023 (pondération par le parc correspondant) pour les villas, PPE et locatifs.
Les évolutions correspondent aux taux de croissance pour les périodes de 2013 à 2023, de 2020 à 2023 et de 2022 à 2023 pour les villas, PPE et locatifs.

Inversion de tendance

Si l’évolution des prix a été globalement positive au cours des 12 derniers mois, la tendance semble s’être inversée au cours des deux derniers trimestres. Les prix des villas ont ainsi diminué au 2e trimestre 2023 par rapport au trimestre précédent dans tous les cantons romands hormis le Valais (où la hausse a été ténue, avec seulement +0,5%). Le recul des prix est modéré à Genève et Fribourg (-0,2% et -0,1%, respectivement) et plus marqué dans les cantons de Vaud (-0,7%), Neuchâtel (-1,3%) et Jura (-1,7%). Cette évolution n’est guère surprenante dans le contexte de marché actuel: les acquéreurs se font plus rares, tandis que certains propriétaires cherchent à vendre leur bien avant une éventuelle baisse des prix. Il en résulte une nette détente sur le marché des villas et une hausse marquée du taux de l’offre, en particulier dans les cantons de Genève (+2,0 points en l’espace d’un an au 2e trimestre 2023) et Vaud (+1,2 point). Le taux de l’offre à Genève atteint ainsi sa valeur la plus élevée depuis 2018.
Le marché des PPE demeure quant à lui robuste malgré le niveau élevé des taux hypothécaires. Les prix ont progressé au cours des 12 derniers mois dans tous les cantons romands, sauf Genève. Cette tendance positive s’est maintenue au cours du 2e trimestre 2023, avec des hausses de prix trimestrielles allant de +0,2% à Genève et jusqu’à +2,5% à Fribourg. Plusieurs facteurs contribuent à cette étonnante stabilité. Tout d’abord, la construction de PPE reste limitée, ce qui restreint l’offre sur le marché. En effet, le nombre d’appartements en PPE autorisés à la construction continue de baisser en Suisse romande (-25% sur un an au 2e trimestre 2023). De plus, l’achat d’une PPE peut être un choix alternatif intéressant pour des ménages qui ne peuvent pas s’offrir une maison individuelle. Dans le canton de Vaud par exemple, le prix d’une PPE est de 27% inférieur à celui d’une villa et cette différence atteint même 34% dans le canton de Genève. Enfin, le manque d’alternatives sur le marché locatif peut aussi inciter certains ménages à favoriser l’achat.

Logements locatifs: hausses de loyers modérées.

Les cantons romands ont enregistré de modestes augmentations des loyers au 2e trimestre 2023 par rapport à la même période de 2022. Ces hausses varient de 0,1% à Genève et Vaud à 0,9% en Valais et à Neuchâtel, mais demeurent bien en deçà du niveau de l’inflation. Cette évolution peut surprendre dans le contexte actuel de pénurie de logements locatifs. L’offre de logements locatifs se restreint en effet dans tous les cantons romands, avec un recul du nombre de logements annoncés à la location de 9% à Genève, 12% dans le canton de Vaud et même 18% à Fribourg au 2e trimestre 2023 par rapport au même trimestre de l’année précédente. Les réglementations de protection des locataires, telles que la LDTR à Genève et la LPPPL dans le canton de Vaud, ont probablement joué un rôle dans le maintien de la stabilité des loyers. Cela peut être le cas lorsque d’anciens baux, qui avaient des loyers plus bas, sont mis sur le marché, mais que les loyers ne peuvent pas être augmentés pour correspondre au niveau actuel du marché en raison d’un contrôle des loyers lié à des travaux de rénovation ou transformations effectués sur le logement.
Il faudra néanmoins compter avec des hausses de loyers plus marquées au 2e semestre. D’une part, le marché de l’emploi romand continue d’attirer de nombreux migrants, avec pour conséquence une demande de logements locatifs toujours plus forte. D’autre part, le relèvement du taux de référence hypothécaire en juin 2023 aura pour conséquence d’augmenter les loyers de certains baux en cours. Finalement, le nombre de logements vacants est actuellement insuffisant pour assurer la fluidité du marché (voir Gros plan, pages 13 à 16), ce qui contribue également à la hausse des loyers.

 

CORINNE DUBOIS – VINCENT CLAPASSON
WÜEST PARTNER
©WÜEST PARTNER/JOURNAL DE L’IMMOBILIER

GROS PLAN

Logements vacants

Evolution dans les cantons de Vaud et de Genève

Le taux de vacance représente le pourcentage de logements inoccupés par rapport à l’ensemble des logements du parc immobilier. Il joue un rôle essentiel dans le bon fonctionnement du marché immobilier, constituant une réserve de fluctuation nécessaire à permettre aux personnes en quête d’un logement de trouver une solution sans difficultés excessives, et aux propriétaires d’effectuer des rénovations et transformations.
Le taux de vacance revêt aussi une importance significative sur le plan réglementaire. Dans le canton de Vaud, par exemple, si le taux de vacance est inférieur à 1,5%, les communes peuvent obtenir sous certaines conditions un droit de préemption leur permettant d’acquérir des terrains à bâtir et d’y créer des logements d’utilité publique. Un faible taux de vacance entraîne aussi l’obligation pour les bailleurs de remettre aux nouveaux locataires la formule officielle leur permettant de contester un loyer initial abusif.

Quel est le taux de logements vacants optimal?

Une récente étude de Wüest Partner s’est penchée sur la question du taux de vacance optimal, c’est-à-dire le taux qui favoriserait une évolution stable des loyers en termes réels. A l’aide d’un modèle statistique s’appuyant sur des données des loyers et du taux de vacance depuis 1980, il a été possible de conclure qu’un taux de vacance de 1,27% peut être considéré comme optimal en Suisse. A ce niveau, le marché atteindrait un équilibre propice à l’absence de pressions à la hausse ou à la baisse sur les loyers.
Si un taux de vacance moyen de 1,27% entraîne une évolution stable des loyers réels au niveau national, il existe néanmoins une diversité marquée entre les différents marchés régionaux. En effet, une région urbaine et dynamique ne requiert pas nécessairement le même taux de vacance qu’une région rurale ou excentrée pour assurer la fluidité du marché. Une analyse au niveau cantonal révèle que le taux de vacance optimal dans le canton de Vaud est identique à celui de la Suisse dans son entier (1,27%), tandis qu’un taux de 0,77% serait suffisant pour Genève (figure 1). Le canton de Genève, tout comme Zurich, présente une large part d’emplacements attrayants; le marché y est donc naturellement plus fluide que dans des cantons plus hétérogènes comme le Valais ou le Jura, ce qui explique un taux de vacance optimal plus bas.

Figure 1 : Taux de logements vacants optimal par canton
Figure 2 : Genève – Logements vacants et permis de construire.

Genève: léger rebond du taux de vacance à bas niveau

Le canton de Genève comptabilise 1041 logements vacants au 1er juin 2023, dont une large majorité est destinée à la location (81%). Ce chiffre reflète une hausse de 130 unités par rapport à l’année précédente. L’arrivée sur le marché de certains grands projets d’habitat collectif, tels que le quartier de l’Etang à Vernier ou encore les Communaux d’Ambilly, a pu contribuer à cette augmentation. Il peut sembler curieux, de prime abord, que le nombre accru de logements vacants coïncide avec une diminution des annonces de logements locatifs (-9% sur un an au 2e trimestre 2023). Cette situation peut découler de diverses raisons, telle qu’une diminution de la durée d’insertion dans un contexte de demande très dynamique, ou encore lorsque des logements sont en cours de rénovation.
Il est également frappant de constater que le taux de logements vacants à Genève est systématiquement inférieur au niveau optimal depuis 2001. Il y aurait donc un manque structurel de logement dans le canton que la construction plutôt dynamique de ces dernières années n’a pas pu résorber. Cela a contribué à l’envolée des loyers du marché, qui affichent une progression de 86% entre 2001 et 2023. En 2023, le taux de logements vacants se monte à 0,42% seulement, ce qui préfigure la poursuite des augmentations de loyers.
L’activité de construction de logements locatifs neufs affiche pourtant encore une vitalité certaine: si les permis de construire accordés ont légèrement diminué en 2023 par rapport à 2022 (-6,2%), les demandes de permis ont en revanche plus que doublé sur la même période, laissant entrevoir des perspectives prometteuses à moyen terme. De grands projets de construction sont en cours dans le canton, à l’instar du projet des Cherpines à Plan-les-Ouates, qui devrait délivrer environ 1000 nouveaux logements d’ici 2026, et 2700 supplémentaires d’ici 2035. Le quartier des Cherpines, tout comme les divers autres grands projets en cours (par exemple les Grands Esserts à Veyrier ou encore le projet Bernex), devraient contribuer à fluidifier le marché dans le contexte actuel de croissance démographique soutenue: le canton de Genève a en effet vu sa population croître de 1,3% sur un an au 1er trimestre 2023.

Figure 3: Vaud – Logements vacants et permis de construire.

Vaud: le taux de vacance diminue dans l’Ouest lausannois

Le canton de Vaud enregistre un taux de vacance de 0,98% en juin 2023, alors que ce taux était encore de 1,11% un an auparavant. Le taux de vacance continue donc de plonger en dessous de son niveau optimal (1,27%), alimentant ainsi une dynamique propice à la hausse des loyers. Cette situation ne semble pas en voie d’amélioration, car les autorisations de construction de logements locatifs sont en déclin (-20% par rapport à 2022), tandis que la population continue de croître (+1,2% sur un an au 1er trimestre 2023).
La raréfaction des logements vacants se fait particulièrement ressentir dans le district de l’Ouest lausannois, où le taux de vacance a chuté de 1,27% en 2022 à 0,46% en 2023. Ce district affiche désormais le taux de vacance le plus bas du canton, même en dessous de celui de Lausanne (0,61%). En revanche, le taux de logements vacants est resté relativement stable à Aigle (seul district qui dépasse encore le seuil de 1,5%), Riviera Pays-d’Enhaut et Lausanne, tandis qu’il a légèrement augmenté à Nyon.