lectures - Bâtir dans les règles de l’art
Le permis de construire à portée de tous
Que vous soyez propriétaire, architecte, ingénieur, constructeur ou «simple» citoyen, la question du permis de construire vous concerne. Pour y voir clair dans cette procédure complexe, Benoît Bovay – avocat spécialiste FSA en droit de la construction et de l’immobilier, professeur à l’Université de Lausanne – nous livre un guide synthétique: «Le permis de construire», aux éditions Savoir suisse.
– La mise à l’enquête publique, qui précède la décision de permis de construire, est souvent considérée comme trop lourde et nombreux sont ceux qui prônent une simplification de la procédure. Que leur dites-vous?
– Ces demandes ont abouti au constat qu’un contrôle préalable aux travaux était indispensable, qu’il devait être aussi transparent que possible pour que les tiers en soient informés sans être mis devant le fait accompli. Cela évite de recommencer une procédure viciée dénoncée après coup. Il est aussi plus aisé de prévenir des constructions illicites que de les éliminer ensuite. Le permis de construire n’est pas un instrument récent: depuis la fin du XIXe siècle – d’abord pour des raisons de sécurité contre l’incendie et d’hygiène -, on sait qu’il faut encadrer par une telle procédure le processus complexe qui mène un projet immobilier à son exécution. A défaut, on aboutit immanquablement à des situations dommageables pour les particuliers ou la collectivité. La Suisse romande connaît depuis une vingtaine d’années une forte poussée démographique et de nombreuses constructions voient le jour. Construire est un acte réfléchi et éminemment social, en ce sens que les travaux vont marquer un territoire ou un bâtiment, un environnement et un paysage pendant des décennies. Le principe de densification – car le terrain se raréfie – est admis dans le droit fédéral; mais il exige en contrepartie de construire de manière qualitative et durable, ce qui est le principal défi urbanistique d’aujourd’hui. Il est donc essentiel d’élaborer un dossier de demande de permis de construire correctement formalisé.
– Quels sont les travaux soumis au permis de construire versus ceux dispensés?
– Selon la définition du Tribunal fédéral, déduite de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire, sont soumis à autorisation de construire tous les aménagements durables et fixes créés par la main de l’homme, exerçant une incidence sur l’affectation du sol par le fait qu’ils modifient sensiblement l’espace extérieur, ont des effets sur l’équipement ou sont susceptibles de porter atteinte à l’environnement. La dispense de permis concerne de petites constructions (cabane à outils de jardin) ou des aménagements de faible ampleur (clôtures basses). Mais il faut toujours examiner si c’est susceptible de gêner le voisinage ou si des intérêts publics sont en jeu (zone agricole, patrimoine bâti ou naturel). Les exceptions ne sont pas les mêmes selon les cantons, raison pour laquelle une approche comparative est faite dans le livre.
– A quoi sert l’enquête publique? Qui peut faire opposition contre le permis?
– A la base, toute décision administrative susceptible de toucher aux intérêts des tiers (ici surtout des voisins) nécessite au préalable de leur donner le droit de se faire entendre. Plutôt que de le faire individuellement, ce qui peut être compliqué et fastidieux, il est plus simple d’ouvrir une enquête publique, soit une durée limitée pendant laquelle chacun pourra faire valoir ses droits et remarques. Le terme d’opposition est celui utilisé, mais il s’agit en
réalité de l’exercice du droit d’être entendu, garanti par la Constitution fédérale. Dans le canton de Vaud, quiconque peut intervenir lors d’une enquête, mais seuls ceux qui sont directement touchés par un projet – et bien sûr le constructeur en cas de refus du permis – pourront recourir. Dans d’autres cantons, le tri des personnes intéressées se fait déjà lors de l’enquête publique, ce qui complique les décisions des autorités.
– Quelle est la proportion de recours par rapport aux demandes de permis déposées? Observe-t-on des différences notables entre les cantons? Comment ce nombre a-t-il évolué au cours des dernières années?
– On parle facilement dans notre pays et dans les milieux politiques et immobiliers de «recourite aiguë» chaque fois qu’un projet est retardé par un recours. D’après les statistiques citées dans mon livre, la proportion est pourtant minime: sur plusieurs milliers de demandes de permis de construire annuels dans le Canton de Vaud, moins de 5% font l’objet de recours. Je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de différences entre les cantons, si ce n’est que certains, comme Genève, connaissent non pas une, mais deux instances de recours cantonales successives, ce qui ralentit les procédures. Depuis le début de mon activité, la critique est récurrente, mais sans vraiment examiner les chiffres réels. L’augmentation du nombre de procédures et la raréfaction du territoire, ainsi que la densification actuelle, suscitent forcément un peu plus de recours, car ceux qui sont proches sont plus sensibles et peut-être plus exigeants sur les aménagements extérieurs, les espaces verts et la qualité architecturale. Je constate souvent que progressent sans difficulté les projets élaborés par des architectes et des développeurs immobiliers expérimentés, visant un profit à long terme plutôt qu’une promotion où seule la rentabilité maximale compte, au détriment même des futurs occupants. Cette dernière situation est d’ailleurs source de procès avant le projet et après sa réalisation.
– Pourquoi l’octroi d’une dérogation est-il délicat?
– Parce qu’il s’agit de dépasser le cadre usuel défini par les règles de la zone, par exemple en construisant plus près de la limite voisine ou plus haut que prévu par le plan d’affectation. Dès lors, la dérogation doit être octroyée avec parcimonie, après une pesée des intérêts publics et privés. Il faut éviter que ce soit au détriment des voisins. Les cantons de Fribourg et du Jura ont à cet égard une procédure qui permet auxdits voisins de se faire indemniser en contrepartie des dérogations concédées au constructeur. Vu les difficultés et limites de ces dérogations, qu’il ne faut pas confondre avec des violations de la loi, j’y ai consacré quelques pages, car je reçois de nombreuses questions à ce sujet.
– Qu’est-ce qui vous a motivé à rédiger ce guide?
– Je m’intéresse au permis de construire depuis les années 1980. A cette époque, j’avais consacré ma thèse de doctorat en droit à ce sujet, en comparant les pratiques vaudoises à celles d’autres cantons suisses. C’était un sujet très concret pour un doctorat qui, en principe, porte plutôt sur des aspects théoriques. Payot a alors publié mes écrits et à ma grande surprise, tous les exemplaires de la première édition (1986) ont été écoulés en quelques mois; une seconde édition, remaniée, est venue s’ajouter. Ma longue pratique dans ce domaine et les nombreuses questions de mes clients méritaient une nouvelle synthèse, objet de ce livre paru au Savoir suisse.
– Vous avez une centaine de publications à votre actif. Comment s’est passée l’écriture de ce livre?
– Synthétiser une matière aussi vaste a été beaucoup plus compliqué que de rédiger un traité de droit! Le défi consistait à vulgariser le sujet, tout en évitant le jargon juridique; l’objectif était de présenter les étapes et formalités de la procédure de permis de construire. Il s’agissait aussi d’établir des passerelles entre les différents cantons, ces derniers disposant d’une certaine latitude dans le domaine. Des questions comme: «Je suis propriétaire dans le canton de Vaud et je souhaite transformer un chalet en Valais. Est-ce que la procédure est la même?», me sont régulièrement posées. Des tableaux comparatifs permettent d’y répondre, informations qui peuvent servir aussi à des juristes qui ne connaissent pas forcément ce qui se passe dans les cantons voisins. En parallèle, les encadrés ont pour but de fournir des éclairages sur des cas concrets.
– Quels échos avez-vous eu jusqu’à présent?
– La compréhension des textes de loi n’est pas évidente. Les collectivités publiques apprécient d’avoir ce petit livre comme référence, tout comme les mandataires et les particuliers (propriétaires, riverains, etc.). Développer un projet est une symphonie complexe, dont la procédure de permis de construire sert de partition commune aux particuliers et aux autorités!
Propos recueillis par
Véronique Stein
«Le permis
de construire»,
Savoir suisse,
Lausanne, 168 pages
www.savoirsuisse.org