Le pape François et Arnaud Bédat.

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HOMMAGE - François et Arnaud Bédat

Le pape et le journaliste

30 Avr 2025 | Culture, histoire, philosophie

Ce fut une amitié aussi respectueuse et discrète que profonde, qui s’était nouée au fil du temps: décédé le 21 avril dernier à l’âge de 88 ans, le pape François entretenait un dialogue à distance avec le journaliste jurassien Arnaud Bédat, disparu lui aussi prématurément à l’âge de 58 ans, le 18 juillet 2023. Ce dernier lui avait consacré deux ouvrages très originaux, dont une biographie saluée pour sa singularité et sa richesse, «François l’Argentin» (Editions Pygmalion).

Il avait bourlingué dans le monde entier tout au long d’une trentaine d’années, multipliant les reportages à hauts risques et les scoops impossibles, promenant partout sa grande carcasse de 1,88 mètre et ses cheveux bouclés, son culot et sa curiosité, sa gentillesse et ses grands éclats de rire. Natif de sa «bonne ville de Porrentruy», comme il aimait le répéter, Arnaud Bédat avait participé tout jeune, à 20 ans, à la «Course autour du monde», un jeu télévisé des chaînes francophones qui proposait à dix jeunes sélectionnés de parcourir le monde caméra au poing, pendant une année, et d’en ramener des images fortes. D’emblée, il avait eu le sens du scoop: une interview avec l’un des assassins de Gandhi, une autre avec le président Senghor du Sénégal…
Arnaud Bédat était devenu ensuite journaliste, travaillant au magazine romand «L’Illustré», pour lequel il avait enquêté, entre autres, sur la sinistre épopée et les tueries à répétition de la secte du Temple solaire. Il avait écrit un livre sur cette affaire, «Les chevaliers de la mort» (Editions TF1), avec son ami Gilles Bouleau, qui deviendra ensuite le présentateur du «20 Heures» de TF1. Une étrange incursion dans une forme de spiritualité dévoyée, une plongée dans une parodie démoniaque de religion qui avait plutôt conforté ce catholique de naissance dans son scepticisme résolu.

Rencontres à Buenos Aires

Envoyé spécial à Rome pour couvrir l’élection du nouveau pape après la démission surprise de Benoît XVI, Arnaud Bédat s’était envolé aussitôt pour Buenos Aires, où il avait rencontré la sœur, le neveu, les proches et les amis du nouveau Souverain Pontife. Comme le footballeur allemand Franz Beckenbauer, qui confiera plus tard avoir «recouvré la foi» en rencontrant François au Vatican, le journaliste jurassien avait été touché malgré lui, et sans trop savoir pourquoi, par ce pape au style plutôt joyeux et au ton plus vivant et intuitif que le ton plus professoral et strict de son prédécesseur Benoît XVI. Le discours de François s’adressait à tout le monde, mais il résonnait curieusement davantage chez ceux qui ne se situaient pas forcément dans la grande nef centrale, mais plutôt aux «périphéries», dans les petites chapelles, les chemins de traverse, les embranchements plus ou moins visibles.

Des accents mystiques

Comme Arnaud Bédat le raconte dans «François l’Argentin», une biographie très documentée et inspirée, nourrie par les témoignages de tous ceux – famille, amis, condisciples, médecins, syndicalistes, prêtres, etc. – qui avaient croisé ou côtoyé le futur pape, François est un croyant qui refuse la raison raisonnante et son inéluctable impuissance, qui veut se laisser stimuler et entraîner par sa foi, par ses élans du cœur, par ses fulgurances, par ses passions, ses révoltes. C’est un esprit libre qui n’a rien d’un calculateur et prend au sérieux la fameuse parole de Jésus: «Viens et suis-moi».
Après Jean Paul II, ce pape politique qui a contribué à faire exploser le bloc communiste, après Benoît XVI, ce pape intellectuel qui aura rêvé, vainement, de refaire l’Europe, François aura été un pape prophétique, citant souvent de purs mystiques comme Léon Bloy ou Jacques Maritain, sans se laisser arrêter par les retombées politiques ou sociales créées par ses propos. Un fou de Dieu en quelque sorte, dans la meilleure tradition de l’Eglise, comme Arnaud Bédat, devenu entre-temps un invité régulier du pape dans ses voyages à l’étranger, l’expliquera dans un deuxième livre, «François, seul contre tous» (Editions Flammarion).
Le journaliste jurassien avait écrit un troisième livre sur ce pape qu’il ne se lassait pas d’observer et d’admirer pour son audace et sa ténacité. Il préparait aussi un film sur sa vie, de ses années argentines à ses années romaines. A l’automne 2022, il avait passé plusieurs semaines à Buenos Aires pour retrouver les proches de François l’Argentin, négligeant les premières douleurs d’un cancer qui allait l’emporter en quelques mois. Après une opération apparemment réussie, Arnaud Bédat avait eu la joie d’être reçu en audience privée par le pape, au mois de juin 2023. «Nous avons parlé de nos maladies respectives, lui de son mal de hanches et moi de mon cancer», m’avait-il dit en riant à sa sortie du Vatican. Ils avaient parlé en réalité des éternelles questions sur la foi, sur le sens de la vie, sur l’amour, qui devaient boucler le dernier chapitre de ce troisième livre, qui ne paraîtra jamais.

 

Robert Habel

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